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Numéro 211
Août-Septembre 2007
( sommaire )

Débattre

Dans ce texte, qui a été publié dans le mensuel suisse romand « Le Protestant », Jean-François Habermacher montre, au regard de l’histoire, la nécessité d’innover, d’inventer et de produire du nouveau pour transmettre le christianisme.

Que reste-t-il du christianisme ?

Je m’inspire ici de l’approche médiologique, cette discipline qui observe comment une culture, un héritage (mémoire, valeurs, savoirs, significations) se transmet et traverse les époques.

Cette approche nous met en garde contre un schéma simpliste, celui d’un émetteur qui transmettrait l’information à un récepteur ; l’idée selon laquelle la transmission d’une culture, d’une religion, ne serait qu’un problème de communication et d’actualisation d’une information originelle.

Or, transmettre, ce n’est pas d’abord communiquer quelque chose qui serait antérieur ou reproduire ce qui serait à l’origine. Transmettre n’est pas actualiser et reproduire, c’est produire et inventer. Pourquoi ? Parce que le médium, le moyen de transport, transforme le message initial. La médiologie nous amène à renoncer à l’illusion idéaliste des messages fondateurs de notre culture que l’on pourrait simplement colporter à travers les âges.

Comme le dit Régis Debray dans Dieu un itinéraire : « Rien ici-bas ne se transmet de soi, par autopropulsion sans frais ni dommage. Les mathématiques se transportent par l’école et des professeurs qualifiés ; la musique par des conservatoires et des interprètes, la peinture par des musées et des critiques d’art, Dieu par des livres, par des témoins, des communautés. Rien ne traverse les siècles sans un nécessaire de voyage. »

Spontanément, on pourrait avoir l’idée que le christianisme est le développement continu d’un message contenu dès son origine. Or, en y regardant de plus près, on découvre que ce n’est pas Jésus qui a créé le christianisme : ce sont les mouvements chrétiens qui l’inventèrent, du moins ceux qui arrivèrent à s’imposer.

La genèse du christianisme, comme d’ailleurs la figure du Christ, sont liées à trois moments principaux, un pour chaque siècle :

Le milieu judéo-chrétien du ier siècle a construit la figure du Messie (Christ). Le milieu hellénistique – les juifs hellénisés d’Antioche et d’Alexandrie – a fait de ce Jésus-Christ un maître de philosophie rivalisant avec les autres « écoles » grecques ; le christianisme devient alors une doctrine de vérité, une philosophie révélée. Jésus y est certes encore évoqué comme Messie, mais il est surtout pensé comme Logos (parole, principe, raison). La figure sémitique du Messie est subvertie par des catégories conceptuelles empruntées à la philosophie grecque. Enfin, troisième recyclage, le milieu romain (Tertullien, iie-iiie siècle) qui fait de cette sagesse à enseigner une véritable religion à instituer sur le modèle juridico-politique de la cité romaine. Avec l’espace latino-romain, ce qui était devenu philosophie chrétienne révélée deviendra religion chrétienne (« religio Christiana »), c’est-à-dire une socio-structure globale qui se stabilise en organisation institutionnelle. L’autorité épiscopale et le principe de succession, désormais fermement établis, clôturent le déploiement chrétien et commandent à la pensée comme à l’individu. Ceux-ci sont de plus en plus au service de l’institution. L’argument d’autorité régule désormais la liberté de pensée. Avec les mots de Vincent de Lérins (vers 434 environ) : la vérité est « ce qui est cru partout, depuis toujours et par tous ».

Ainsi, pour Jérusalem : « Ce Jésus est bien le Christ ! » ; pour Athènes : « Ce Jésus-Christ est bien un maître de sagesse et de vérité, pour ne pas dire le seul et l’unique ! Car le christianisme est philosophie révélée. » et pour Rome : « Ce maître de sagesse et de vérité est bien notre Seigneur (Dominus), le Seigneur du monde, l’Empereur du ciel et de la terre. »

À chaque étape, il y a eu innovation, création de matériau, production de nouvelles significations. Il n’y a donc pas que reprise et répétition de l’ancien, mais surgissement de contenus nouveaux et imprévisibles.

Comme l’écrit André Gorz dans Misères du présent. Richesse du possible : « L’enjeu actuel, c’est de discerner les chances qui sommeillent dans les replis du présent et d’oser rompre avec cette société qui meurt et ne renaîtra plus. Il nous faut oser l’Exode. » feuille

Jean-François Habermacher

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