Voici la pâte même des
Écritures : lécriture, la volonté, la décision,
lacte décrire
pour un lecteur.
Dans les évangiles, lécriture soffre comme
dépôt de traditions ordonnées non pour une biographie
de Jésus, mais pour un témoignage de foi.
Les épîtres, adressées à une personne ou
à une communauté, reflètent des débats,
des conflits, des encouragements.
Quant au livre de lApocalypse, son écriture est obéissance
à un ordre plusieurs fois réitéré au bénéficiaire
de la vision : « Écris », écris ce que tu
vois.
Ainsi lacte décrire opère une traversée
de la distance et de la durée, une migration permettant un ensemencement
aux moissons non maîtrisées et non achevées.
Quel que soit le genre littéraire, lacte décrire
témoigne dun rapport à une mémoire vive,
toujours impliquée dans le présent et requérant
le partage et la transmission. Ce qui est transmis par lécrit
est toujours distinct de lévénement rapporté,
de lauteur, et du lecteur : le lien créé par lécrit
nest jamais un lien dimmédiateté, ce dont
témoigne Luc dans le prologue de lévangile adressé
à Théophile.
Lacte décrire trouve son accomplissement dans la
lecture de lécrit. Du côté de lécrivain,
écrire se tient entre maîtrise des mots, des images, de
la composition et transpiration de ce qui lanime profondément.
Du côté du lecteur, lécrit soffre comme
un espace à habiter.
Les écrivains du Nouveau Testament ne se sont eux-mêmes
pas privés dhabiter lespace décrits
précédents : la Torah, les Psaumes, les Prophètes,
au point de les imbriquer intimement dans leurs propres écrits,
explicitement ou non. Ainsi, la moitié des emplois du verbe grapho
dans le Nouveau Testament se rencontre dans la formule : « il
est écrit ». « Il est écrit » dans les
Psaumes, le livre des Prophètes, dans la Loi, par Moïse.
Sous-jacent à ces citations, lenjeu de linterprétation
parcourt les écrits des évangélistes, de Paul et
dautres encore. Luc la merveilleusement posé en deux
courtes questions adressées par Jésus à un légiste
inquiet de recevoir la vie éternelle : « Dans la Loi quest-il
écrit ? Comment lis-tu ? » Quant à Marc, il le met
en acte, en récit dune manière aussi magistrale
que bouleversante dans le récit de la mort de Jésus interprété
dans sa trame par le Psaume 22.
Ce qui a été écrit est accompli, ce qui est maintenant
écrit ouvre un nouvel espace à la fois en rupture et en
continuité : un monde nouveau.
Si la citation de la Loi et des prophètes est, pour les évangélistes,
fidélité renouvelée et vive, elle peut savérer
aussi manipulation, prétexte à des visées quasiment
diaboliques, ce que mettent en scène les évangiles de
Matthieu et de Luc dans le récit de la tentation de Jésus
au désert. Largement délivré, répandu, offert,
lécrit est aussi livré au lecteur.
Quant au grand épistolier du Nouveau testament, Paul, il semble
quil nécrivait pas lui-même mais dictait à
un secrétaire. Le recours au secrétaire est largement
attesté dans lAntiquité, ainsi que lexistence
dun système décriture rapide, la future sténographie.
Il en est de même pour la pseudépigraphie, cest à
dire lattribution dun texte à une personne qui nest
pas lauteur, procédé très courant dans lAntiquité
et qui ne soulève aucun scandale. Cest le cas des épîtres
aux Colossiens et aux Éphésiens, ou encore des lettres
à Tite et à Timothée. Elles semblent trop tardives
pour pouvoir être attribuées à Paul. Cette utilisation
du nom de lapôtre atteste de son autorité, même
après sa disparition.
Aucun original décrits du Nouveau Testament na
jamais été retrouvé. Mais de copies en traductions,
derreurs de copies en difficultés de traduction, les écrits,
les Écritures, ont pérégriné jusquà
aujourdhui, lues, relues, interprétées, réinterprétées.
Et à la fin des éditions actuelles de la Bible, il y a
encore une page blanche
