logo d'Évangile et Liberté

Numéro 201
Août-Septembre 2006
( sommaire )

Cahier : Dire Dieu aujourd’hui.
Nouveaux courants de la théologie

par Raphaël Picon, Alice Gombault, Marc Muller, Claude Geffré, o.p.

Graffiti sur le Mur de Berlin. Photo DR.
Graffiti sur le Mur de Berlin. Photo DR.

La théologie (du grec qeologa, « discours sur la divinité ») est l’étude des réalités relatives au divin. Platon utilise ce mot à propos de la mythologie. L’emploi du terme dans la philosophie classique a, au début, suscité une méfiance de la part des auteurs chrétiens car il reste associé à la mythologie païenne. Cependant les théologiens latins ont fini par l’utiliser couramment dans leurs écrits et le mot « théologie » a alors reçu le sens d’étude de la doctrine chrétienne. À partir du XVIe siècle, ce terme est utilisé dans l’expression théologie naturelle, qui désigne la connaissance de Dieu d’une manière considérée comme « naturelle ». Dès cette époque, il est également utilisé pour d’autres religions que le christianisme, notamment dans des perspectives d’étude comparée des religions. La théologie désigne alors l’image de Dieu et du divin dans les différentes religions.

Les textes que nous vous proposons ici sont loin d’épuiser le sujet car de nombreux mouvements ne sont pas présentés, ni même évoqués ; citons par exemple les théologies de la post-modernité, les théologies dites contextuelles (africaine, asiatique, du Pacifique, noire américaine), les théologies non théistes (Spong), les théologies homosexuelles ou de la critique des genres (Queer notamment), et les théologies animales (Linzey). La théologie est aujourd’hui le lieu d’une intense recherche de nouvelles manières d’explorer et d’exprimer nos préoccupations ultimes, le sens de l’existence, ou à défaut, l’essentiel de la vie. Ces recherches renouvellent de façon parfois déconcertante nos conceptions de Dieu, ainsi que nos manières d’exprimer notre foi. La richesse et la pluralité de ces théologies soulignent ainsi le caractère inévitablement limité et donc relatif de chaque conviction, de chaque doctrine et confession.

  • Claude Geffré, théologien catholique, professeur honoraire à la Faculté de Théologie Catholique de Paris, présente la théologie du pluralisme religieux.
  • Marc Muller, pasteur, docteur en théologie, ancien enseignant à la Faculté de Théologie de Managua (Nicaragua) nous parle de la théologie de la libération et de son évolution.
  • Alice Gombault, ancienne enseignante à la Faculté de Théologie Catholique de Paris, et rédactrice en chef de la revue Parvis expose quelques théologies féministes.
  • Enfin Raphaël Picon, théologien, professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Paris présente la théologie du Process. feuille

Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

Les textes qui suivent sont les actes du colloque organisé les 14 et 15 janvier 2006 par l’Association des Conférences de l’Étoile et le pasteur Alain Houziaux, sur le thème : « Les nouveaux courants de la théologie ».

haut

La théologie du Process

Photos du service documentaire du Center for Process Studies, Claremont (Californie)
site internet : www.ctr4process.org

A. N. Whitehead

J. B. Cobb

D. R. Griffin

M. Suchocki

Née au début du XXe siècle à l’Université de Chicago, la théologie du Process est l’un des plus importants systèmes théologiques du XXe siècle. Les théologiens qui se rattachent à ce courant, John Cobb, David Griffin, Marjorie Suchocki, pour ne citer qu’eux, sont fortement inspirés des travaux du mathématicien et philosophe Alfred North Whitehead (1861-1947), de l’empirisme anglais, des sciences de la nature, de la physique quantique. Ils entendent proposer une compréhension générale du réel telle que Dieu et le monde puissent être pensés ensemble dans leurs interactions réciproques. Pour eux, le réel n’est pas composé d’entités statiques et indépendantes les unes des autres, il se caractérise par un flux constant de transformations et d’interdépendances. La réalité est dynamique, changeante, en « process » (en cours, en marche, en évolution) ; la création n’est donc pas définitive et achevée mais évolutive et ouverte sur l’avenir ; de même, la personne humaine, comme tout ce qui compose le réel, n’est pas définie une fois pour toute et reste en constant devenir. Ce vaste réseau de dépendance et de transformation qui structure le réel appelle une manière spécifique de penser Dieu et les éléments de la foi chrétienne.

Pour les théologiens du Process, Dieu est pensé comme une force de nouveauté et de créativité qui transforme le monde, ne cesse de l’ouvrir sur de nouvelles possibilités qui visent à le rendre plus harmonieux, moins déchiré et torturé. « Dieu, écrit Cobb, est un amoureux du monde qui attire celui-ci toujours plus loin, au-delà de ce à quoi il est parvenu, en affirmant la vie, la nouveauté, la conscience et la liberté, encore et toujours. » Dieu est ce qui permet au possible de l’emporter sur l’impossible, et se laisse lui-même transformer par ce qui s’y produit : Dieu est aussi une possibilité du monde. Comme l’écrit Whitehead dans Procès et Réalité (1929), pièce maîtresse de la philosophie du XXe siècle : « Il est aussi vrai de dire que Dieu transcende le monde, que de dire que le monde transcende Dieu. Il est aussi vrai de dire que Dieu crée le monde que de dire que le monde crée Dieu. »

Dieu n’est pas impassible et indifférent, il est affecté par les événements de l’histoire et de notre existence. Sa capacité à susciter une nouveauté est toujours en partie déterminée par l’état du monde présent et par l’ouverture des entités du réel aux forces persuasives de Dieu. Celui-ci ne peut en effet transformer le monde à sa guise, il rencontre des résistances, s’affronte aux immobilismes et connaît des échecs. À défaut de pouvoir nous contraindre, il ne peut que nous persuader.

C’est précisément cette dépendance de Dieu à l’endroit du réel qui atténue sa responsabilité devant la marche du monde. Contrairement à ce que l’on croit parfois, pour les théologiens du Process, Dieu n’est pas, en lui-même, identifiable à la créativité. Si tel était le cas, Dieu ne serait pas distinct du réel, il serait une sorte de fluide, d’énergie créatrice qui surgirait à travers toutes choses. Si Dieu était identifié à la créativité, il serait l’auteur et le responsable de tous les événements qui se produisent dans le monde, et d’une créativité dont on reconnaît facilement le caractère ambigu, pouvant tout autant être source de vie, de vérité et d’harmonie que de mort, de mensonge et de chaos. Si Dieu détermine ce qui est, le mal lui devient alors coextensif. C’est ainsi qu’il convient plus justement, pour John Cobb notamment, de penser Dieu, non comme le responsable de ce qui arrive mais de la possibilité qu’il arrive quelque chose. Dieu en vient alors à désigner cette force initiale de vie à partir de laquelle une nouveauté peut surgir.

Pour les théologiens du Process, Dieu est « bipolaire », absolu (comme puissance de créativité) et relatif (comme dépendant du reste de l’univers). Cette approche permet de souligner l’unité de Dieu et du monde tout en les maintenant à distance. Éternel et indépendant, à travers sa capacité à faire advenir une nouveauté, Dieu n’est pas pour autant absorbé dans le monde, même s’il demeure toujours avec lui.

Dans ce cadre théologique, et pour John Cobb en particulier, le Christ désigne cette puissance de créativité à l’œuvre dans le monde et dans nos vies. « À chaque fois que Dieu agit, l’événement Christ se produit », écrit Cobb. « Le Christ est présent en tant qu’il est l’appel qui donne la vie, l’appel à être plus que nous n’étions, à la fois pour notre propre intérêt et dans l’intérêt des autres », précise-t-il encore. Il convient toujours ici de distinguer Jésus du Christ, le premier nous renvoyant à une personne historiquement déterminée, le second à une fonction ou à un titre, celui d’être oint, choisi, habité par Dieu. Dire « Jésus-Christ », revient à confesser sa foi en un Jésus qui est reconnu comme étant Christ. Ce qui, aux yeux d’un John Cobb, rend Jésus si important pour la foi chrétienne, c’est que l’ensemble de son existence est structuré par la présence transformatrice de Dieu. C’est la force persuasive de cette présence divine à l’œuvre en Jésus qui explique l’impact qui fut le sien auprès de son entourage et la puissance encore actuelle de la prédication chrétienne.

« Répondre à ce Dieu, écrit Cobb, signifie oublier la sécurité de ses habitudes, de ses coutumes, de ses conformismes. Cela veut dire vivre pour un avenir radicalement nouveau. » La foi, pour les théologiens du Process, n’est pas une adhésion à une doctrine mais une véritable aventure qui nous inscrit dans un monde travaillé par la présence de Dieu, et dont l’histoire n’est pas jouée d’avance. Cette foi, ouverte sur l’avenir et qui se refuse au passéisme, est en constante recherche de nouvelles formulations sur Dieu. C’est ainsi que la théologie elle-même, la prédication chrétienne, se doit sans cesse de chercher de nouvelles images de Dieu pour contribuer à rendre celui-ci crédible et, chemin faisant, à permettre à chacun de s’ouvrir davantage à sa présence créatrice. Être sauvé, dans cette perspective, consiste à être touché par cette grâce qui nous transforme et rend notre existence et le monde plus harmonieux.

Cette théologie, à la fois optimiste et réaliste, donne la part belle aux catégories du devenir, de l’événement, de la nouveauté. Son originalité audacieuse est de repenser Dieu à partir de ces mêmes catégories afin de rendre la foi toujours plus vive et bouleversante. feuille

Raphaël Picon

haut

Les théologies féministes

Manifestation de mouvements féministes contre les manequins vivants dans les vitrines d’un grand magasin parisien. Photo DR.

Manifestation de mouvements féministes contre les manequins vivants dans les vitrines d’un grand magasin parisien. Photo DR.

C’est l’épithète « féministe » qui interpelle et dérange la théologie. Le mot provoque souvent une réticence voire de l’aversion. Il évoque l’excès, la révolte et une opposition à tout ce qui s’apparente au mâle, au masculin. Or le féminisme est d’abord la prise de conscience collective d’une minorisation sociale des femmes et les moyens pour lutter contre leur discrimination. Les modèles de sujétion des femmes font partie des mentalités tant masculines que féminines ; ce sont des modèles sociaux, fortement intériorisés. Les hypothèses qui soutiennent la réflexion féministe se retrouvent dans la théologie féministe : il s’agit notamment de deux grands courants. Le premier essentialiste ou différentialiste pense que les différences entre hommes et femmes sont irréductibles et commandent leur comportement. Les réflexions de Luce Irigaray contribuent à une prise en compte du fait sexué. Le genre humain n’est pas à confondre avec le genre masculin. Il faut reconnaître réellement deux genres et accepter une révélation venant de l’autre genre. L’autre tendance est dite universaliste. Elle met l’accent sur ce qui est commun entre les hommes et les femmes, notamment leur nature humaine. Elle se méfie des spécifications du masculin et du féminin qui ont généralement abouti à des hiérarchisations (E. Badinter). « Tout discours qui prétend définir, connaître et sacraliser une ou des différences est vain et se fait odieux » (M.T. van Lunen Chenu).

Les représentations collectives du masculin et du féminin, véhiculées par les religions, prennent un caractère particulièrement fort, voire sacré, car ils sont en référence à Dieu, légitimés par sa volonté ou son dessein et inscrits dans les livres saints. Ils deviennent, de ce fait, intouchables et immuables. Ce qu’il faut être et faire se trouve inscrit dans un code d’autant plus redoutable qu’il est affirmé « code de Dieu ». Dès le commencement, d’après une lecture de la Genèse, Dieu a voulu non seulement une différenciation sexuelle (hommes/femmes), mais une hiérarchie des sexes : l’homme étant le chef de la femme, et la femme son aide, seconde. Il y a matière à s’interroger, si ce n’est à s’indigner. C’est aussi pourquoi tant de théologiennes féministes ont travaillé la Bible avec leurs propres grilles d’interprétation. La Bible ayant servi à légitimer et maintenir l’état de sujétion imposé aux femmes, il est normal de la remettre en cause et d’en réviser l’interprétation. Il est nécessaire de la libérer d’une vision patriarcale, androcentrique et sexiste du monde. La figure patriarcale de Dieu justifie la domination des hommes sur les femmes. Il y avait donc urgence à s’investir dans la théologie.

Divers courants

Cette activité théologique s’est manifestée sous une forme plurielle. D’abord la critique du passé, puis la découverte de l’histoire perdue des femmes dans la tradition chrétienne, enfin une reconstruction des catégories chrétiennes prenant en compte l’égalité et l’expérience des femmes .

Le courant radical

La Bible n’est plus en adéquation avec les questions des femmes d’aujourd’hui, elle n’est donc même plus à ouvrir mais à oublier. La figure marquante de ce courant est Mary Daly. Sa phrase : « Si Dieu est mâle, alors l’homme est dieu » est désormais célèbre. De chrétiennes, les théologiennes radicales sont devenues postchrétiennes et prennent de la distance par rapport à la tradition judéo-chrétienne.

Les biblistes

La majorité des féministes chrétiennes estiment que l’Église est toujours réformable. Elles optent pour une herméneutique délibérément féministe. C’est ainsi qu’on parle des « matriarches », Sara ou Rebecca, mises en parallèle avec les histoires des patriarches, Abraham ou Jacob. Il y a aussi ces femmes sacrifiées qui deviennent images du Christ : comme Tamar, la sœur violée ou Agar, sacrifiée à l’élection d’Israël. On fait resurgir l’histoire de Myriam, sœur de Moïse, celle de l’onction de Béthanie, dont on a passé sous silence l’importance théologique ou encore la profession de foi de Marthe qui fait pendant à celle de Pierre et dont on n’a pas tiré les même conséquences. On recherche donc l’histoire et le rôle des femmes dans les premières communautés chrétiennes où les femmes avaient des responsabilités importantes. Par un travail de détective et une recherche historico-critique, on établit le mouvement de Jésus comme une communauté de disciples égaux, avant la repatriarcalisation du mouvement qui a suivi rapidement.

Une théologie de la libération

Les théologies féministes sont protestataires (elles déplacent les priorités), et sont solidaires des théologies de la libération. Elles sont une théologie de la libération de l’oppression et du sexisme. Le salut est d’abord dans la justice sociale, et Dieu a besoin que les croyants et croyantes l’aident à réaliser cette justice. C’est par l’engagement pour la justice et le droit des peuples que se réalise la relation entre l’humain et le divin. L’action pour la justice unit, au-delà de l’unité doctrinale, croyants et non-croyants. Sont opprimés ceux et celles qui sont privés de l’exercice plénier de leur humanité. La théologie de la libération vise aussi à être l’instrument qui permettrait à tous les chrétiens quels qu’ils soient de poser leurs propres questions et de rechercher ensemble des perspectives pour le sens et la dignité de l’être humain. Les femmes souhaitent voir déboucher la dynamique de l’Évangile sur une accession de chacune au pouvoir et à l’autorité de transformer les structures.

Il n’y a pas de vision commune partagée par toutes les féministes. On constate ce qu’Elisabeth Parmentier appelle une hypercontextualisation. L’oppression pouvant être physique et psychologique, personnelle et sociale, politique et économique, raciale et sexuelle, selon le contexte ou le point de vue privilégié, on aura, chaque fois, une nouvelle inculturation de la théologie.

Une théologie écoféministe

Le concept d’écoféminisme est né de l’analogie entre la subordination de la femme et l’écrasement de la nature par l’homme. Si on ne pense pas en terme de réciprocité dans la relation, on risque des réveils difficiles. Toute relation d’exploitation, que ce soit celle de la terre ou celle des êtres humains, nuit non seulement à l’exploité, mais aussi l’exploiteur. Ils sont dans une relation d’interdépendance.

De la même manière, les féministes privilégient un concept de réciprocité absolue entre le divin et l’humain. Les féministes font de Dieu un Dieu pareil aux petits, aux pauvres, aux déshérités. Dieu n’est plus le tout-Autre, n’est plus différent de ses créatures, mais accessible, disponible, touchable. C’est une révolution de la pensée théologique.

La théologie féministe française

En France, la théologie féministe est quasiment invisible du paysage. Aucune des théologiennes qui enseignent en faculté de Théologie, ne se dit ouvertement « féministe ». Cette situation provoque l’étonnement des Nord Américaines sur le peu d’engagement des femmes au pays de S. de Beauvoir. Le cléricalisme et la domination masculine seraient-ils moins oppressifs en France ou bien est-ce un héritage de l’amour courtois ? Les femmes en France ne se perçoivent pas d’abord comme femmes, mais comme individus libres et égaux – héritage de l’humanisme à la française et de la mixité de la société – et elles hésitent à se considérer comme une minorité sans pouvoir.

La con-ception française, se tourne plutôt vers une théologie du partenariat et de la réciprocité. On peut évidemment l’interpréter comme un manque d’audace, un crypto-androcentrisme persistant, un retard de la recherche, une peur de se démarquer des hommes, voire une théologie conservatrice. Une parole féministe est plus facile par le biais de la sociologie (Françoise Lautmann, Florence Rochefort), de l’histoire (Martine Dubesset et l’ouvrage mixte de Georges Duby-Michelle Perrot), de la politique que par le biais de la théologie.

Conclusion

Lorsque les théologiennes font le ménage, c’est l’ensemble du bâtiment qui se trouve nettoyé de fond en comble ! Dorothée Sölle disait : « Nous ne voulons pas notre part de gâteau, nous voulons en faire un autre. » Cet absolu, cet aspect global de la proposition féministe a été l’un des facteurs les plus redoutables pour la théologie classique, qui voyait s’écrouler l’un après l’autre les fondements de son édifice, comme un jeu de dominos qui s’entraînent mutuellement (Elisabeth Parmentier). Dans les essais de fabrication d’un « nouveau gâteau », on voit se dessiner la rencontre de la pensée de femmes et d’hommes, donc une théologie écrite en commun, mixte ; la rencontre entre les postulats féministes et d’autres critères épistémologiques, ouvrant le seul cadre du féminisme, tel le concept de genre ; la rencontre de confessions et de religions différentes ; et la rencontre avec les autres disciplines théologiques, mais aussi sciences humaines : psychologie, ethnologie, histoire, lettres…

Il y a là des défis majeurs qu’il serait bon que les Églises accueillent. Les questions des femmes ne sont pas des questions de femmes, mais des questions globales de société et d’Églises. feuille

Alice Gombault

haut

La théologie de la Libération latino-américaine ?

xxxxxxxxxxxxxxx

En une période qui consacre le confinement de la réflexion théologique dans un cercle d’initiés de plus en plus restreint, du moins en France, est-il pertinent de tourner nos regards vers des contextes différents du nôtre et vers des courants de pensée susceptibles de renouveler nos perspectives ? Une telle démarche ne va pas de soi car les dynamiques sociales de cloisonnement, liées à des replis identitaires, sont aujourd’hui dominantes et affectent notre capacité à nous projeter. D’un autre côté, de façon simultanée, les flux croissants d’information réduisent nos capacités de discernement et stérilisent les opportunités de rencontre et d’échange. Autant dire que, pour un protestant français, s’intéresser durablement aux théologies latino-américaines engage sur un chemin plutôt solitaire, qui suscite peu d’enthousiasme. Gageons pourtant que cette expérience nous place au cœur de la condition « post-moderne » et met au défi notre fidélité à l’Évangile.

La théologie de la libération émerge en Amérique latine, à la fin des années 60, dans un contexte socio-politique marqué par « L’ère du développement », lancée par le président Harry Truman lors du discours de l’État de l’Union de 1948 et qui marque une profonde mutation dans des sociétés essentiellement rurales, par la guerre froide et la menace communiste sur la zone d’influence des États-Unis, avec la Révolution cubaine victorieuse en 1959, par l’établissement de dictatures ou de régimes militaires qui défendent les intérêts des États-Unis d’Amérique et qui sont marqués par le caudillisme, le clientélisme et le corporatisme.

Dans ce continent, l’Église catholique romaine domine très largement le champ religieux. Si les pays d’Amérique latine ont connu l’accession à l’indépendance dès le début du XIXe siècle (après trois siècles de souveraineté espagnole et portugaise), ils n’ont pas été façonnés par les grandes transformations dont l’Europe a été le théâtre à partir du XVIe siècle. Comme l’a montré le sociologue Jean-Pierre Bastian, ce continent entretient un rapport asymétrique avec la modernité européenne et il est caractérisé par des relations économiques de dépendance, par une société duale (oligarchie blanche et masses métisses ou autochtones très pauvres) et par un catholicisme autoritaire.

Cependant, des théologiens proches des secteurs progressistes et révolutionnaires firent naître un nouveau courant de pensée.

Méthode et affirmations fondamentales de la Théologie de la Libération

Même s’il conviendrait de montrer des différences de sensibilité parmi ses promoteurs, le mouvement de cette théologie entend avant tout répondre à une situation d’urgence, de crise, de souffrance des masses, dans un contexte qui présente certes des caractéristiques propres au continent, mais qui est aussi constitué par une opposition idéologique qui divise le monde en deux blocs (communiste et capitaliste) et qui polarise aussi les débats dans la vie des Églises.

La Théologie de la Libération s’emploie à développer une perspective théologique nouvelle : « l’option prioritaire pour les pauvres », pensée comme praxis libératrice à partir de l’Église des pauvres, qui implique d’assumer la dimension politique de la théologie, au cœur de l’alternative socialisme/capitalisme, mais en ne s’enfermant pas dans une idéologie « développementiste ». Cette option sera adoptée dans la déclaration finale de la Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain à Medellin en 1968, mais finalement combattue par Jean-Paul II (pontife à partir de 1978) comme axe exclusif de la pastorale. Cette théologie développe une méthode théologique : il s’agit de s’affranchir des modèles occidentaux, incapables de porter un regard critique sur un ordre social aliénant. L’alternative est de travailler à partir d’un raisonnement inductif, second par rapport à la praxis (« dis-moi d’où tu parles »), qui doit se substituer au raisonnement déductif (qui tire les conclusions à partir d’une doctrine, d’un Magistère) et qui doit être informé par une analyse de la réalité nourrie des données fournies par les sciences sociales. Cette méthode s’applique aussi à la lecture de la Bible, elle sert de base à la pédagogie de conscientisation (Paolo Freire) et donne lieu à une réécriture de l’histoire de l’Église. Plutôt qu’une orthodoxie ou qu’une certaine application de principes, la Théologie de la Libération propose plutôt une « orthopraxie », à savoir une pratique juste, et une théologie pratique.

Les thèmes récurrents de ce courant théologique sont notamment centrés autour de quelques concepts fondamentaux :

  • Les « pauvres » identifiés au peuple de Dieu (« el pueblo ») et qui donnent lieu à une relecture systématique des Écritures pour mettre en évidence qu’ils sont les sujets de l’histoire.
  • La notion de « péché structurel » se démarque d’une approche qui ne considère que les relations entre Dieu et des individus ; il s’agit de montrer que le péché a aussi une dimension sociale, collective.
  • La « libération » qui est collective et qui prend racine dans l’histoire des hébreux ; elle est la victoire sur le « péché structurel » qui aliène le monde.
  • La « suivance » du Christ qui implique un engagement solidaire.
  • Le « royaume de Dieu » qui se réalise dans l’histoire, à partir de l’Église des pauvres et non de l’Église pour les pauvres.

Le mouvement libérationniste mis au défi de la mondialisation

Très rapidement, cette théologie fut perçue comme une menace tant par certains responsables ecclésiastiques que par des politiques, globalement conservateurs, inquiets de voir ce mouvement remettre en question les pouvoirs traditionnels détenus par le haut clergé diocésain et par les oligarchies locales alliées des intérêts nord-américains.

Deux fronts peuvent être repérés dans le conflit ouvert contre la Théologie de la Libération.

D’une part, la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi (présidée par le Cardinal Ratzinger) mit en examen cette théologie, accusée de marxisme, et dirigea la reprise en main systématique tant de l’épiscopat que du clergé régulier, notamment pour s’opposer à l’émergence d’une « Église populaire ». D’autre part, l’Administration des États-Unis porta l’offensive sur le terrain politique et militaire, avec l’installation et le soutien de régimes dictatoriaux, mais appuya également des campagnes missionnaires d’évangélistes étrangers ou de milieux protestants locaux acquis à leur vision du monde. Il faut encore signaler que, dans un tout autre esprit, un dialogue constructif s’est noué avec des théologiens progressistes européens qui, tout en exprimant leur sympathie avec les luttes sociale et politique pour la justice, n’en critiquaient pas moins une certaine idéalisation des « pauvres » dans la Théologie de la Libération et mettaient en évidence les limites de la méthode « inductive ».

Il faut bien reconnaître que près de quarante ans après la naissance de la Théologie de la Libération, le courant qu’elle représentait s’est essoufflé. Les « communautés de base », sur lesquelles reposait la structuration du mouvement, se sont réduites à peu de choses. Ses figures les plus éminentes – évêques ou théologiens – sont parfois considérées comme de véritables icônes (Ignacio Ellacuria, Monseigneur Romero, Dom Helder Camara), toutefois ces « saints populaires » ne sont plus moteurs d’un mouvement social. Faut-il parler d’échec ? Il est plus pertinent d’essayer de comprendre les raisons de cette évolution, comme les théologiens latino-américains se sont employés eux-mêmes à le faire en entrant dans une réflexion critique sur le passé récent.

Progressivement, avec la chute des régimes communistes, un virage a été pris ; il a consacré la fin des visions révolutionnaires et des mouvements internationalistes voués au changement de société. Dans le champ théologique, cela se traduit par un éclatement herméneutique :

La priorité n’est plus donnée à l’instauration d’une société égalitaire par le biais d’une Église populaire. On privilégie la perspective de l’inculturation* de l’Évangile avec, parfois, une valorisation de la « religion populaire » et avec le développement d’une ethnothéologie, qui nourrit les affirmations identitaires raciales et culturelles. La teologia latinoamericana se caractérise par l’émergence de théologies autochtones, noires, métisses, populaires ou féministes.

De nouvelles questions ont fait leur entrée dans la réflexion théologique, en particulier celles liées au défi écologique, ou encore celles qui essaient de penser un monde nouveau, dit « postmoderne ».

Les mouvements politiques nationaux ou continentaux n’ont pas été capables de dépasser une réalité sociale latino-américaine éclatée depuis des siècles. L’échec de l’Église catholique, ou de « l’Église populaire », à unifier l’Amérique latine est un constat. Malgré certaines dynamiques interconfessionnelles nationales ou continentales, on peut observer la globalisation de l’atomisation des Églises. La fragmentation des théologies et des courants qu’elles traduisent est favorisée par la « contextualisation » de la foi, contre un universalisme jugé conquérant et soupçonné d’incarner un ethnocentrisme occidental occulte.

De la proclamation d’une eschatologie historique, quasi politique, on est passé à une eschatologie de type apocalyptique et les masses ont eu recours à l’invention d’un langage fou pour dénoncer la folie du monde des sages. La « pentecôtisation » de nombreux secteurs en Amérique latine, jusque dans les Églises historiques, interroge les théologiens de la libération. Les valeurs anti-œcuméniques de ce catholicisme de substitution apparaissent à certains analystes comme la confirmation d’un monde soustrait aux idées philosophiques et religieuses de la modernité occidentale. feuille

Marc Muller

* Fait d’inscrire la proclamation de l’Évangile dans les cultures où il est annoncé en les respectant et privilégiant. NDLR.

haut

Le pluralisme religieux comme nouveau paradigme de la théologie

Il n’est pas abusif de penser que le pluralisme religieux représente un nouveau paradigme dans l’histoire de la théologie chrétienne .Dans les quelques réflexions qui suivent, je voudrais montrer que loin de conduire à une sorte de relativisme qui compromet l’unicité du christianisme parmi les religions du monde, le défi du pluralisme religieux représente une chance pour l’avenir de la théologie chrétienne. À cette fin, il faut commencer par rendre compte théologiquement d’un pluralisme religieux qui semble historiquement insurmontable. On comprend alors que la théologie des religions qui s’élabore depuis plusieurs décennies est autre chose qu’une simple théologie du salut des infidèles. Elle tend à devenir une théologie du pluralisme religieux qui s’efforce d’assurer le fondement théologique du dialogue interreligieux.

Le pluralisme religieux comme question théologique

Le dialogue interreligieux, qui est recommandé par l’Église catholique comme par la plupart des Églises qui relèvent du Conseil Œcuménique, coïncide avec une conscience nouvelle de la pluralité et de la vitalité des traditions religieuses. Ce fut la nouveauté du concile de Vatican II, d’avoir considéré cette pluralité comme un défi positif. On connaît la déclaration très claire de Nostra aetate, n°2 : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. »

On ne peut ignorer tous les textes qui témoignent de la volonté universelle de salut de Dieu.

À partir de notre expérience historique d’un pluralisme religieux de fait, il semble donc légitime de s’interroger sur un pluralisme de principe qui correspondrait à un vouloir mystérieux de Dieu… La théologie des religions devient alors une théologie qui s’interroge sur la signification de la pluralité de traditions religieuses à l’intérieur de l’unique dessein de Dieu. Elle nous invite ainsi à élargir notre vision de l’histoire du salut qui est coextensive à l’immensité de l’histoire universelle. C’est en même temps le seul moyen d’assigner un fondement théologique au dialogue interreligieux. Si les Églises en effet encouragent le dialogue interreligieux, ce n’est pas seulement parce que nous sommes à l’âge de la tolérance religieuse et du respect de la liberté de conscience de tout être humain.

Une théologie d’orientation herméneutique va justement chercher à interpréter théologiquement ce phénomène irrécusable du pluralisme religieux. Certes, toutes les religions sont humaines, trop humaines, c’est-à-dire pleines d’ambiguïtés. Mais comment penser que la très longue histoire religieuse de l’humanité témoigne seulement de l’aveuglement coupable des hommes ? Et pour s’en tenir à l’histoire récente, comment expliquer la vitalité des grandes traditions religieuses de l’humanité par une sorte d’échec de la mission de l’Église depuis vingt siècles ?

Si nous ne trouvons pas dans l’Écriture de réponse directe au pourquoi du pluralisme religieux et s’il faut même faire état d’un jugement globalement négatif sur les religions païennes, on ne peut ignorer tous les textes qui témoignent de la volonté universelle de salut de Dieu. On citera volontiers le grand texte de la première Épître à Timothée (2,4) : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » Et c’est Pierre qui, dans les Actes des Apôtres, cherche à faire partager sa conviction intime (Ac 10,34-35) : « Je me rends compte en vérité que Dieu n’est pas partial et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. »

Quand les textes de concile parlent de semences de vérité, de bonté et même de sainteté, ce ne sont pas seulement des valeurs positives qui peuvent se trouver dans le cœur des membres des autres religions. Il s’agit de valeurs intimement liées aux éléments constitutifs des diverses traditions religieuses : « (L’Église) considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostra aetate, n°2). Un tel texte nous permet de mesurer toute la distance entre une théologie du salut des infidèles et une véritable théologie du pluralisme religieux qui se demande si le pluralisme religieux ne correspond pas à un dessein mystérieux de Dieu dont la signification dernière nous échappe.

Finalement, le fondement du dialogue interreligieux, c’est l’idée que l’économie du Verbe incarné est le sacrement d’une économie plus vaste qui coïncide avec l’histoire même de l’humanité. L’histoire n’a jamais été abandonnée à elle-même. Elle est déjà depuis toujours une histoire du salut qui ne cesse d’être le lieu des semences du Verbe et des visitations de l’Esprit de Dieu. Telle était la conviction de la théologie des semences du Verbe des Pères grecs.

Le christianisme comme religion dialogale

Certains théologiens, surtout ceux qui vivent quotidiennement au contact d’une grande religion comme l’islam ou l’hindouisme, ressentent avec acuité la difficulté majeure du dialogue interreligieux : comment pratiquer un dialogue avec d’autres sur un plan d’égalité alors que dès le départ, le christianisme se place en situation d’exception puisqu’il se réclame d’un fondateur qui n’est pas un médiateur parmi d’autres mais le Fils même de Dieu envoyé comme l’unique sauveur du monde ?

Ils sont alors tentés de relativiser le salut en Jésus-Christ. Puisque Dieu seul sauve, ne faut-il pas admettre que Jésus-Christ est la voie normative du salut pour les seuls chrétiens ? Or, selon l’enseignement le plus clair du Nouveau Testament, il est certain que, depuis l’instant même de la création, Dieu a voulu de toute éternité lier son dessein universel de salut au Christ qui est à la fois l’Alpha et l’Omega. Cela ne signifie d’ailleurs pas que la médiation en Jésus-Christ soit exclusive d’autres voies de salut à condition d’ajouter aussitôt que ces autres médiations, en particulier les religions du monde, n’ont de portée salutaire qu’en vertu de leur lien secret avec le mystère du Christ.

En reprenant le vocabulaire du théologien catholique Jacques Dupuis, il me semble donc possible de concilier un christocentrisme constitutif et pas simplement normatif avec un pluralisme inclusif, qui prend au sérieux les valeurs positives qui sont disséminées dans les autres religions. Nous ne sommes donc nullement obligés de sacrifier le christocentrisme à un théocentrisme indéterminé pour favoriser le dialogue du christianisme avec les religions non chrétiennes.

Le christianisme a une prétention légitime à l’universel, mais il peut dialoguer avec les autres religions parce qu’il porte en lui-même ses propres principes de limitation. J’oserai dire que le christianisme est congénitalement une religion de dialogue. Pour le comprendre, et c’est la chance du dialogue interreligieux comme nouvel horizon de la théologie, nous sommes invités à méditer sur le paradoxe de l’incarnation et sur le mystère d’un Dieu crucifié.

1. Avec toutes les Églises depuis l’âge apostolique, nous confessons Jésus comme Fils de Dieu. Mais nous devons nous garder d’identifier l’élément historique et contingent de Jésus et son élément christique et divin. La manifestation de l’absolu de Dieu dans la particularité historique de Jésus de Nazareth nous aide à comprendre que l’unicité du Christ n’est pas exclusive d’autres manifestations de Dieu dans l’histoire. C’est en insistant sur le paradoxe même de l’incarnation, c’est-à-dire sur l’union de l’absolument universel et de l’absolument concret (cf. Paul Tillich) qu’on est en mesure de désabsolutiser le christianisme comme religion historique et donc de vérifier son caractère dialogal. Depuis vingt siècles, aucun des christianismes historiques ne peut avoir la prétention d’incarner l’essence du christianisme comme religion de la révélation finale sur le mystère de Dieu. On ne peut donc confondre l’universalité du Christ comme Verbe incarné et l’universalité du christianisme.

J’oserai dire que le christianisme
est congénitalement
une religion de dialogue.

Le Christ comme Verbe de Dieu est de droit universel. Il est au centre de l’histoire. Mais comme tout phénomène historique le christianisme est lui-même relatif. Nous pouvons reconnaître que la vérité chrétienne n’est ni exclusive, ni même inclusive de toute autre vérité d’ordre religieux. Disons qu’elle est singulière et relative à la part de vérité dont les autres traditions religieuses sont porteuses. Les semences de vérité répandues dans les autres religions peuvent avoir été suscitées par l’Esprit même du Christ au travail dans l’histoire. Il est donc préférable de ne pas parler trop vite de valeurs implicitement chrétiennes. Il est préférable de parler de valeurs christiques. Elles témoignent d’un certain irréductible, et c’est dans leur différence même qu’elles trouveront leur accomplissement dernier en Jésus-Christ même si elles ne trouvent pas historiquement leur explicitation visible dans le christianisme.

2. Pour exorciser tout venin de totalitarisme et manifester l’originalité du christianisme comme religion de dialogue, il convient d’ajouter que la théologie des religions doit faire mémoire d’une théologie de la Croix. La Croix a une valeur universelle. Elle est le symbole d’une universalité liée au sacrifice d’une particularité. C’est la kénose * du Christ dans son égalité avec Dieu qui a permis la Résurrection du Christ établi en figure d’Universel concret. À la lumière du mystère de la Croix, nous comprenons mieux que le christianisme, loin d’être une totalité close et englobante, se définit en termes de relation, de dialogue, d’ouverture et même de manque . De même qu’il n’y a pas d’expérience religieuse profonde sans conscience d’une Origine absente, il n’y a pas de pratique chrétienne sans conscience d’un manque par rapport aux autres pratiques des hommes.

Conclusion

À partir de ce qui précède, on peut conclure que la tâche d’une théologie qui prend au sérieux la nouveauté du dialogue interreligieux est d’endurer intellectuellement l’énigme d’une pluralité de traditions religieuses dans leur différence irréductible. Celles-ci en effet ne se laissent pas facilement harmoniser avec le christianisme et ce serait méconnaître le prix unique de la révélation chrétienne que de chercher à la compléter à partir des vérités issues des autres religions. Mais en même temps, mieux nous connaissons les richesses propres des autres religions et plus nous sommes en mesure de procéder à une réinterprétation féconde des vérités qui nous sont confiées dans la révélation. Selon la pédagogie même de Dieu dans les récits bibliques, il y a une fonction prophétique de l’étranger pour une meilleure intelligence de sa propre identité.

Une théologie qui se meut selon l’horizon du dialogue interreligieux doit manifester qu’elle n’ignore pas la recherche du Dieu inconnu que toute religion désigne à sa manière maladroite et même du Christ inconnu qui est latent dans toute religion, voire en tout être humain. Cet intérêt pour le religieux qui nous est étranger est aussi le meilleur moyen de dépasser une mentalité de propriétaires. Nous sommes par pure grâce les témoins de la révélation qui nous a été confiée en Jésus-Christ .

J’ai donc cherché à restituer la profonde évolution de la théologie des religions depuis quarante ans. Mais si on prend au sérieux le pluralisme religieux comme nouveau paradigme de la théologie, alors nous sommes invités à élaborer une théologie interreligieuse qui réinterprète la singularité chrétienne en tenant compte des richesses d’ordre religieux dont témoignent les autres traditions religieuses. feuille

Claude Geffré, o.p.

* Ce terme désigne l’abaissement et le dépouillement du Christ dans l’incarnation. NDLR.

haut

Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)


Vous pouvez nous écrire vos remarques,
vos encouragements, vos questions



Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs


Article Précédent

Article Suivant

Sommaire de ce N°