Je veux me perdre encore.
Loin des chemins perdus de lumière et de vent
, me voici
de retour dans les rues classées, étiquetées de
la ville, dans ces rues qui semblent savoir où elles vont, faisant
croire à leurs usagers que la vie est un itinéraire balisé
où tout est prévisible. Les rues quadrillent lespace,
comme les colonnes et les cases de mon agenda quadrillent le temps pour
lempêcher de fuir, de ségarer ailleurs. Moi
qui aime me perdre, seul ou avec dautres, dans des petits chemins
de montagne oubliés par les cartes, me voilà enfermé
dans un réseau de voies sans surprises.
Voilà mon temps et mon espace découpés
en petites parcelles autonomes, empêchant tout élan vers
linconnu. Me voilà emporté dans cette circulation
sans fin dindividus qui semblent nexister que pour eux-mêmes,
enfermés dans les circuits fermés dun temps artificiel
préfabriqué.
Et si le vrai temps était le temps des songes
? Si ce temps fabriqué, morcelé, était bien moins
réel que le temps éclaté, sans frontières,
du rêve ? Mais comment retrouver ce temps-là, loin de la
liberté des vacances ou de linconscience du sommeil ? Existe-t-il
dautres moments où on peut vivre la profondeur du présent
sans semmêler dans les fils du passé et la trame
invisible ou pré-visible de lavenir ?
Laissons de côté la drogue ou lalcool
qui dilatent ou disloquent le temps et défigurent lespace.
Parfois la contemplation dune peinture, la fusion dans une musique,
linstant dun regard ou dune écoute, peuvent
effacer le temps, libérer de lillusion rassurante et asservissante
dune existence qui se mesure.
Il me faut retrouver le temps de rassembler les morceaux
épars de ma vie, ou plutôt de pulvériser les cloisons
qui la morcèlent, et pouvoir ainsi revenir à ce qui me
fonde, à lélan qui me projette plus loin que les
murs qui menferment, vers linconnu, linconnaissable,
linfini, léternel.
Jacques
Juillard