L.G. : Existe-t-il
une orthodoxie libérale aujourdhui ?
A.L. : Si libéral qualifie
une remise en cause des données de la Révélation
divine, fixée dans lÉcriture, elle-même inscrite
dans la Tradition de lÉglise, la théologie orthodoxe
y répond difficilement. Mais si ce terme désigne une réflexion
critique, celle-ci est au cur de toute pensée théologique
orthodoxe.
Cette théologie critique concerne-t-elle
aussi la lecture de la Bible ?
Il a été indispensable, à travers lhistoire
de lÉglise, dexpliciter la Révélation
pour la protéger contre des interprétations erronées
ou un confinement dans des formules répétitives tendant
au fondamentalisme des menaces toujours actuelles.
Existe-t-il un point de contact du point de
vue anthropologique entre lorthodoxie et un certain « humanisme
» chrétien ?
Institut Saint Serge de théologie
orthodoxe à Paris
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Lapôtre Paul avertit déjà les disciples
contre divisions et partis (Ac 16,29-30 ; cf. 1 Cor 11,19 ; 1 Tim 4,2)
en des contextes dangereux pour lintégrité du message.
Puis Irénée de Lyon (IIe s.) expose la vraie foi, protégeant
la « saine doctrine » (1 Tim 1,10) contre des erreurs quil
nomme fausses gnoses. On lui doit un adage devenu célèbre,
repris par plusieurs Pères : « Dieu Sest fait homme
pour que lhomme devienne dieu. » La doctrine de la déification
demeure une préoccupation majeure dans la théologie de
nombreux auteurs chrétiens : lêtre humain na
pas pour vocation de se transformer en une autre personne, mais de participer
à la nature divine qui lui est conférée par Dieu
(cf. 2 P 1,4). La distinction entre personne et nature est fondamentale.
Pouvez-vous donner quelques exemples de théologiens
orthodoxes pour qui le dialogue interconfessionnel ou interreligieux
a été important ?
Dans un contexte de dialogue, le moine Jean Damascène (VIIIe
s.) engage à connaître les opinions des adversaires pour
pouvoir les discuter ou les combattre, non dans un but polémique,
mais pour la Vérité (Jn 14,6). Il dialogue aussi avec
lIslam quil connaît bien.
Grégoire Palamas (XIVe s.), un moine devenu évêque,
a formulé théologiquement une expérience de lunion
à Dieu, vécue par des chrétiens orthodoxes de son
époque appelés hésychastes : cette formulation
la conduit à des contacts avec des spirituels non chrétiens.
À lépoque moderne, Silouane lAthonite (
1938) faisait preuve dune grande ouverture dont témoigne
aujourdhui limpact de ses écrits, dépassant
largement les frontières de milieux chrétiens orthodoxes.
Pouvez-vous donner le nom de quelques théologiens
orthodoxes contemporains soucieux darticuler la Tradition avec
notre monde actuel ?
Le XXe siècle offre une pléiade de théologiens
et penseurs : S. Boulgakov ( 1945), N. Berdiaev, cher aux protestants
libéraux ( 1948), G. Florovsky ( 1979), C. Andronikof ( 1997),
E. Behr-Sigel ( 2005), O. Clément
Leur souci est de mettre la Révélation à la portée
de leurs contemporains, croyants ou non.
On poursuit lanalyse de ces auteurs pour en confronter la pensée
avec les éléments de la Tradition : les Écritures,
les formules théologiques liturgiques, les Pères, licône...
Comme la Parole de Dieu est reçue et actualisée dans les
communautés chrétiennes, les formulations avancées
par les Pères anciens et leurs successeurs modernes sont appelées
à produire leur effet dans lÉglise : le peuple de
Dieu, dernier garant de leur authenticité doctrinale, en reçoit
et entérine les seuls éléments jugés conformes
à lensemble de la Tradition, comprise comme réalité
théologique et non ensemble dusages. Ladhésion
à la Tradition constitue une recherche de la Vérité,
démarche véritablement libératrice (Jn 8,32) dans
la mesure où elle fait adhérer toujours plus le chrétien
au Christ. Un auteur chrétien orthodoxe contribue à cette
démarche par des essais de formulations théologiques parfois
audacieuses, soumises à lapprobation de ses contemporains.
André
Lossky
Propos recueillis par Laurent Gagnebin