Dimanche après-midi, le 6.9.03, à
ma table de Gunsbach
Cest étrange : je comprends mieux les paroles de Jésus
depuis que jentends ce grand rire qui devait les accompagner.
Il y a quelque chose de ce rire dans Jenseits von Gut und Böse
(Par-delà le bien et le mal de F. Nietzsche, N.D.L.R.), qui est
le nouveau testament de la fierté de lhomme, cette fierté
quon voulait étouffer. Il y avait quelque chose de lesprit
du Christ en Nietzsche. Cest un sacrilège de dire des choses
pareilles ? Tant pis, cest vrai quand même ; après
tout, il ny a que les blasphèmes qui soient vrais. Mais
il lui manquait dagir, cest pour cela que sa « fierté
» a tourné en cage comme un lion enfermé, alors
quelle aurait dû sortir de son antre et abattre sa proie.
Finalement, cette fierté se lacéra elle-même. Mais
il était noble, cet homme : sil avait vécu vingt
siècles auparavant, il serait devenu un Saint Paul. (p. 86-87)
Albert Schweitzer âgé
denviron 30 ans. Photo DR
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Vendredi, 25 septembre 1903, au Stift, 9h du
soir
Que Dieu me guide et me bénisse ! Cela dit, je voudrais bien
savoir ce quest ce Dieu que jinvoque. Existe-t-il ? Quel
est cet esprit qui me force à marcher, moi qui ne suis pas un
naïf, mais un être critique, moi qui ne suis pas un «
humble », mais un « fier »
Que sais-je ? Marchons
! Lesprit qui me parle est une réalité, la seule
réalité surnaturelle qui existe vraiment pour moi. Le
reste nest que symbole, dont le sens tient à un seul fait
: je crois parce que jagis. Laction est pour moi le fait
primordial et en agissant je veux être humble et fier à
la fois, vrai comme lacier tranchant. (p. 90-91)
Le 15 mars, la nuit, méditations en chemin
de fer
Lathéisme ne serait-il pas, lui aussi, une religion ?
La plus belle et la plus difficile, celle qui vient faire suite à
la religion du Christ ? Au moment de mourir, na-t-il pas dit :
« Mein Gott, mein Gott, warum hast Du mich verlassen ? »
(« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mas-tu abandonné
? » Marc 15,34, N.D.L.R.) Il est donc mort en athée ? Qui
a le courage de penser cette idée jusquau bout ? (p. 129)
Strasbourg, samedi soir, 26 février 1905
au Stift
Je veux me délivrer de cette vie bourgeoise qui pourrait tout
tuer en moi. Je veux vivre, agir comme un disciple de Jésus.
(p. 167)