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Numéro 188 - Avril 2005
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À l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Sartre en 1905, on a omis de parler de son rapport à la foi, ce que fait ici L. Gagnebin ; rappelons qu’ il est l’auteur d’un Connaître Sartre (Resma, 1972, éd. poche : Marabout, 1977) aujourd’hui épuisé.

Sartre et la foi

L'athéisme de Sartre n’a rien à voir avec l’indifférence. Il fut pour lui « une entreprise cruelle et de longue haleine ». Si, dans son enfance, les livres furent, comme il le dit encore dans ce récit autobiographique Les mots, sa religion et la bibliothèque un véritable temple, il reconnaît avoir longtemps substitué à la vocation chrétienne celle de l’écrivain. Il lui fallut des années pour défroquer, c’est-à-dire accepter intégralement l’idée que son métier ne correspondait à aucun mandat extérieur à vivre comme une sorte de sacerdoce. Le croyant est, justement, celui qui ne supporte pas l’idée d’être de trop sur cette terre et se veut alors justifié par une volonté divine. C’est à nous seuls qu’il appartient pourtant de donner, et non de trouver tout fait, un sens à notre vie.

Sartre a toujours ainsi éprouvé comme odieuse l’idée de Providence divine, d’autant plus que le regard de celle-ci sans cesse braqué sur nous représente un « viol perpétuel » (Le sursis). Mieux vaut alors choisir l’athéisme qu’une foi en un Dieu perçu comme l’insupportable voyeur d’un loft universel dans lequel notre liberté n’existe pas. Il convient d’ajouter, comme Sartre y insiste dans Les mots, qu’il a trouvé dans sa famille une religion purement héritée et jamais personnellement assumée, un « patrimoine commun » où la foi n’était qu’ « un nom d’apparat ». Dans son milieu, l’athée passait pour « un maniaque de Dieu », et même pour quelqu’un qui avait des convictions religieuses : « Le croyant n’en avait point ».

C’est probablement dans L’être et le néant que Sartre a le mieux défini l’acte du croire et sa source profonde. L’être humain est toujours, pour l’existentialisme sartrien, à la recherche de son identité ; il vit au-delà de lui-même dans un dépassement vers les autres, vers l’avenir et des projets portés par l’espoir. Il reçoit ainsi, de son existence même, la part la plus importante de son être. Mais cet homme, toujours en marche, envie la fixité des choses qui ne se posent pas de questions et ne connaissent pas l’angoisse du choix. Notre désir le plus ardent serait de connaître à la fois la paisible coïncidence des choses avec elles-mêmes et ce dépassement qui leur est pourtant refusé. Or Dieu seul conjugue en lui-même une plénitude avec laquelle il est totalement ce qu’il est (comme les choses) et un mouvement perpétuel (comme les hommes), à savoir une parfaite Transcendance. Dans ce sens-là, Dieu représente l’idéal impossible de l’homme, un but toujours recherché et toujours manqué, une image inaccessible. L’homme rêve d’être Dieu, il est « fondamentalement désir d’être Dieu ».

L’explication sartrienne de la divinité confère à la foi de l’homme une dimension profonde. Si le propre de l’homme réside dans cette soif incessante que nous avons d’opérer la synthèse des hommes et des choses, de la conscience libre et de la plénitude pétrifiée, de la transcendance dynamique et de l’être statique, alors Dieu devient, en tant qu’aspiration de l’homme, une composante indépassable de notre existence. C’est par conséquent le propre de l’homme de croire en Dieu. L’Eternel ne disparaîtra de l’horizon humain qu’à condition que l’homme ne soit plus l’homme et se trouve réduit à la fixité d’un caillou. Chaque individu, pareil à Oreste dans Les Mouches, doit donc toujours à nouveau tuer Dieu, sa chimère… adorée. C’est, d’après Sartre, une lutte coûteuse et exigeante, jamais achevée et toujours à reprendre. Notre liberté véritable serait à ce prix. feuille

Laurent Gagnebin

à gauche, Jean-Paul Sartre au Lycée Pasteur de Neuilly (1937-38) ;
à droite Albert Schweitzer à Strasbourg vers 1895.
La mère de Sartre était la cousine d’Albert Schweitzer. Ils étaient donc petits-cousins, se sont bien connus, et se sont d’ailleurs beaucoup plus appréciés que la légende de leur prétendue hostilité le soutient. Quand Sartre dira de son fameux roman La Nausée qu’il « ne fait pas le poids » (Le Monde, 18 avril 1964) en regard d’un enfant qui meurt de faim, n’exprimait-t-il pas alors une idée que le départ d’Albert Schweitzer, comme médecin à Lambaréné, traduisait à sa manière ?

 

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