logo d'Évangile et Liberté

Numéro 182 - Octobre 2004
( sommaire )

Commenter

Ce nouveau siècle sera sans doute celui de la globalisation, et ceci à tous les niveaux : économique, culturel, linguistique. L’utilisation d’une seule langue, l’anglais, est déjà devenue une réalité. S’agit-il alors d’un retour à une humanité unie comme celle que l’on trouve au début du récit de la tour de Babel ?

« La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots » (Genèse 11,1)

Puis-je le révéler aux lecteurs d’Évangile et Liberté ? Depuis de longues années, je suis avec passion le « Concours Eurovision de la Chanson », rebaptisé récemment « Eurovision Song Contest », un événement qui chaque année est regardé par plus que 400 millions de téléspectateurs dans le monde entier. Outre son ambiance « kitsch » et souvent involontairement comique, cette grande messe de la chanson populaire offrait, il y a quelques années encore, l’unique occasion d’entendre à la télévision française des chansons interprétées en finnois, hongrois, islandais, et d’autres langues qui font la richesse du patrimoine linguistique européen. Puis intervint un changement dans le règlement du concours qui coïncida avec son changement de nom. Désormais les ressortissants des pays n’étaient plus tenus de chanter dans leur langue nationale ; ils étaient maintenant libres de présenter leur contribution dans n’importe quelle langue de leur choix. Le résultat ne se fit pas attendre. La très grande majorité des candidats proposèrent des chansons en anglais. Presque toute l’Europe ne chante plus que dans une seule langue. On retrouve ainsi une situation qui ouvre le récit biblique dit de la tour de Babel ; Genèse 11,1 : « La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots ». Dans ce récit, qui clôt le cycle des origines, le fait de disposer d’une seule langue donne à l’humanité l’idée d’exprimer son identité (son « nom » selon le narrateur du récit) dans la construction d’une ville splendide. La suite est connue. Yahvé, mécontent de cette entreprise, décide de créer la diversité des langues : « Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres » (Gn 11,7). Comme résultat de l’intervention divine, les hommes arrêtent la construction de la ville. Ils se dispersent sur toute la terre et perdent leur unité initiale.

Une lecture positive

Traditionnellement, on a compris ce récit comme relatant une ultime punition de Dieu faisant suite à celles de l’expulsion du paradis et du déluge. Cependant, de temps à autre, des exégètes et des théologiens se sont posé la question de savoir s’il fallait vraiment comprendre la diversité linguistique exclusivement d’une manière négative (on peut lire à ce sujet l’ouvrage de François Marty, La bénédiction de Babel, Paris, les Éditions du Cerf, 1990). La version primitive du récit de Gn 11, dans laquelle ne figuraient ni la tour, ni l’allusion à Babylone, permet en effet une lecture positive de l’intervention de Yahvé. Ce récit a sans doute été composé peu après 705 avant notre ère. Il reflète l’abandon soudain de la construction de Dur-Sharrukin, la nouvelle capitale de l’empire assyrien, suite au décès du roi Sargon II.

Dès la deuxième moitié du VIIIe siècle, les Assyriens dominèrent la Mésopotamie et le Levant. Les petits royaumes qui s’y trouvaient furent incorporés dans l’empire et furent obligés de se comporter en vassaux fidèles. On pourrait presque dire que l’empire assyrien réalisa, le premier dans l’histoire, l’idée de globalisation. La religion et la culture assyriennes furent largement exportées et imposées ; et pour faciliter la circulation des biens et des idées une seule langue s’imposa. L’araméen devint donc la langue officielle pour toute la partie ouest de l’empire. Tout le monde devait dès lors parler « une même langue ». Son utilisation signifia aussi la reconnaissance de la supériorité de la civilisation assyrienne que le roi Sargon voulut matérialiser en faisant construire une nouvelle capitale monumentale, dépassant toutes les autres. L’arrêt inattendu de cette construction fut interprété par l’auteur de Gn 11 comme un signe évident que le Dieu d’Israël s’opposait aux rêves de toute-puissance et à l’uniformisation de la pensée.

Ne nous plaignons pas de la diversité des langues. Elle exprime la richesse de nos différentes cultures, de nos différentes conceptions du monde et du divin. Pour profiter de cette richesse, un effort est nécessaire pour comprendre celui qui parle et raisonne autrement que nous. À cet égard, une langue véhiculaire peut s’avérer utile. Le latin a longtemps joué ce rôle, et pour ce nouveau siècle, c’est l’anglais qui prendra le relais. Veillons cependant à ce que la nouvelle langue ne vienne pas imposer à ceux et à celles qui la parlent une pensée unique. Le récit biblique de « la tour de Babel » nous invite à cette vigilance. feuille

Thomas Römer

haut

Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)

 


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs


Article Précédent

Article Suivant

Sommaire de ce N°


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions