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Numéro 180-181
août-septembre 2004
( sommaire )

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Les Discours sur la religion de Schleiermacher
retrouvent leur force dans une nouvelle traduction

Paul Tillich a écrit de Schleiermacher qu’il « est le père de la théologie protestante moderne », et que, malgré critiques ou réserves, il se rangeait « tout à fait de son côté » et suivait « la même méthode que lui » (La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante). Quand on considère que les Discours vont d’une réflexion sur « l’essence de la religion » à une autre sur « les religions », on devine en effet toute la modernité d’une telle démarche.

Schleiermacher (1768-1834) a été pasteur, professeur de théologie à Halle et surtout Berlin, dont il fut alors la figure phare en regard, voire en contrepoint, de celle de Hegel à la même époque. Fait remarquable, il a toujours et fidèlement maintenu son ministère de prédicateur, unissant ainsi l’exigence scientifique de l’enseignement universitaire et celle du témoin engagé par la proclamation de l’Évangile.

C’est en 1799, à l’âge de 31 ans, un siècle exactement avant L’essence du christianisme d’Adolf Harnack, qu’il publie, dans une perspective apologétique et avec la flamme d’un certain romantisme, son De la religion. Discours aux personnes cultivées d’entre ses mépriseurs. Marqué par Kant, mais surtout Platon et Spinoza (« le saint réprouvé »), il répond là, avec verve, vivacité, profondeur et une argumentation serrée, aux détracteurs de la religion, tels que nous les rencontrons encore si souvent aujourd’hui !

Les Discours, qui connurent un succès retentissant et six éditions déjà du vivant de leur auteur, ne furent traduits en français qu’en… 1944 ! Le livre est depuis longtemps épuisé. Il faut exprimer à Bernard Reymond une profonde reconnaissance pour cette nouvelle traduction. Le mérite est immense, quand on sait la très grande difficulté de la langue de Schleiermacher. Grâce à lui, ces Discours retrouvent une force, une nervosité et un élan renouvelé. Il réussit le tour de force de garder à la langue et au style de Schleiermacher toute leur originalité, une tonalité propre au siècle qui fut le sien, mais, simultanément, de redonner à ces pages une actualité, une vie et une écriture qui parlent à nos contemporains. Cette réédition par Van Dieren et cette traduction par B. Reymond deviennent véritablement ainsi un événement à la fois théologique et littéraire.

On se rappelle que Schleiermacher (voir à son sujet Évangile et Liberté de février 2004, p.12) définit la religion avec les notions complémentaires de sentiment et d’intuition, de contemplation de l’Univers, par quoi il faut entendre un humble accueil de l’Infini en nous et une ouverture de notre cœur à l’Univers(el) qui nous dépasse et qui transcende toutes nos catégories mentales. Refusant à la fois une approche trop cérébrale de la religion et une approche d’ordre moral, qui la réduirait à son utilité, Schleiermacher, de tradition réformée, s’inscrit, par cette gratuité de la démarche religieuse et son accueil sans mainmise rationnelle de notre part sur Dieu, dans une perspective qui reste bien celle d’un soli Deo gloria. Mais attention, le sentiment n’est pas l’émotion subjective, éphémère et facile ; l’accueil qui le caractérise est effort, voire ascèse exigeante de l’esprit, et Schleiermacher de stigmatiser tous ceux qui ont des accès de mysticisme, comme d’autres auraient des accès de fièvre. Il dit sentiment pour dédogmatiser et dérationaliser la religion, pour ne pas transformer la Transcendance inaccessible en objet. Il parlera plus tard, dans sa dogmatique, d’un sentiment de dépendance inconditionnelle devant Dieu. On comprend alors que Tillich ait vu là une grande proximité avec sa notion de « préoccupation ultime » définissant la foi. feuille

Laurent Gagnebin

 

« Personne ne saurait dire aujourd’hui si nous avons vraiment dépassé Schleiermacher ou si, malgré toutes les protestations, vigoureuses et fondamentales, qui s’élèvent contre lui, nous ne continuons pas d’être tout au fond les enfants de son siècle. […] Nous avons affaire à un héros comme il en échoit rarement à la théologie. […] L’œuvre de même envergure et le personnage qui pourrait se mesurer avec Schleiermacher plutôt que de le critiquer n’existent pas encore. »

Karl Barth,
La théologie protestante au dix-neuvième siècle.

 

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