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Numéro 178-179
juin-juillet 2004
( sommaire )

Débattre

Beaucoup de protestants, plus particulièrement libéraux, estiment que le message de l'Évangile, et par là du christianisme, se concentre sur l'amour divin et l'amour du prochain. Cette approche est parfois vivement critiquée. Il y a bel et bien là un débat. ilfaut savoir y entrer et écouter les arguments des uns et des autres.

« Tu aimeras ton prochain… » Est-ce possible ?

On peut relever quatre arguments principaux qui reviennent régulièrement dans cette discussion.

L’amour divin banalisé

Il est devenu banal d’affirmer que Dieu nous aime, nous dira-t-on. Cette proclamation répétitive ne nous surprend plus autant qu’à l’époque où les Réformateurs firent entendre le message de la grâce. Nos contemporains ne vivent plus dans la terreur de l’enfer. Leur dire l’amour de Dieu, c’est donc, à bien des égards, prononcer un message qui, pour eux, va de soi.

Ce reproche met en question la force d’appel de notre prédication actuelle. D’aucuns iront même jusqu’à dire qu’évoquer sans cesse la tendresse de Dieu, comme on le fait également dans nos liturgies, est une tarte à la crème. En réalité, proclamer la grâce peut avoir quelque chose de neuf, voire de difficilement acceptable. C’est peut-être cela qu’il conviendrait alors de mettre en relief pour souligner l’originalité de l’Évangile. La grâce n’est-elle pas en effet une forme d’injustice faite aux plus exemplaires qui se voient, dans l’ordre du salut, logés à la même enseigne que les autres ? Le frère aîné, si méritant, de la parabole de l’enfant prodigue en sait quelque chose. C’est donc lui, surtout, que l’amour de Dieu peut interpeller aujourd’hui.

La doctrine oubliée

Défendre l’idée selon laquelle l’amour du prochain est ce que l’Évangile nous enseigne de manière prioritaire consisterait aussi à sous-estimer l’importance des doctrines, dans une vérité chrétienne accueillie en plénitude. Sans tomber dans l’excès indéfendable d’un dogmatisme qui remplace la foi par des croyances, comme si la foi authentique devait être confondue avec le fait de souscrire à des dogmes conformes, il n’en reste pas moins vrai que la réflexion théologique n’est pas indifférente et superflue. L’éthique ou l’orthopraxie ne suffisent pas. Aimer Dieu, selon le fameux commandement, c’est aussi l’aimer « de toute notre pensée » (Mt 22,37). On reproche fréquemment au christianisme son manque de crédibilité. Il est donc plus que jamais nécessaire de penser notre foi et de l’exprimer dans des termes recevables, ne serait-ce que d’un point de vue scientifique. C’est là une condition indispensable de survie pour le christianisme. La pensée peut être d’ailleurs une manière d’aimer notre prochain en répondant à ses interrogations. Elle est également une manière d’aimer et glorifier Dieu qui nous l’a donnée.

Un salut par les œuvres

Les adversaires d’une priorité accordée à l’amour du prochain redoutent une renaissance, dans le protestantisme, d’un salut par les œuvres. Il convient de prendre au sérieux une telle mise en garde. À bien des égards, s’il est juste d’affirmer que l’amour du prochain est l’essentiel de la vie chrétienne (voir Jn 13,35) et non pas, par conséquent, le fait de souscrire à des doctrines, il ne s’agit pas pour autant de retomber dans une sorte de légalisme. Cet essentiel en effet ne nous sauve pas. Là réside le paradoxe protestant. Nos actions et nos œuvres sont totalement désintéressées. « Quant à nous, aimons, parce que Dieu nous a aimés le premier » (1 Jn 4,19) et non pas pour que Dieu nous aime.

Une exigence culpabilisante

Enfin, on insiste sur le fait que prêcher toujours et encore l’amour du prochain a de quoi culpabiliser celles et ceux qui nous entendent et qui savent, pour l’avoir douloureusement expérimenté, qu’il est parfaitement impossible de vivre vraiment l’agapè. Albert Schweitzer, après avoir simultanément montré la beauté du commandement de l’amour du prochain et son caractère impraticable, déclarait dans une prédication : « C’est la grande énigme de la morale chrétienne qu’il est impossible de transposer directement dans la vie les paroles de Jésus, même avec la volonté fervente de les appliquer. » Mais il ajoutait : « De là aussi le grand danger de se contenter de leur faire une profonde et respectueuse révérence, d’exalter leur idéal, tout en les faisant taire dans la vie courante. »

Ne faut-il pas alors voir dans le futur des commandements du Sommaire de la loi une promesse et non pas un simple ordre, parce qu’ils ne sont précisément pas exprimés à l’impératif ? Oui, un jour « tu aimeras ton prochain comme toi-même », et non pas simplement « aime ton prochain comme toi-même ». La grâce est ici présente, parce que Dieu donne ce qu’il ordonne. Une telle promesse ne saurait alors être traumatisante. feuille

Laurent Gagnebin

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