logo d'Évangile et Liberté

couverture du magazine

Numéro 178-179
juin-juillet 2004
( sommaire )

Questionner

En quoi la Bible fait-elle autorité pour la réflexion théologique et la prédication ? S'il est souvent admis de refuser d'utiliser les textes bibliques comme de vulgaires prétextes, Raphaël Picon relance le débat en soutenant que « la proclamation de l'Évangile n'est en rien conditionnée par l'excellence de l'exégèse». La Bible, lue dans sa force suggestive et poétique, peut être valorisée comme l'heureux prétexte d'un Évangile pleinement vécu.

Une Bible prétexte?

D’abord étudier le texte en profondeur

Il est assez convenu dans le protestantisme réformé et luthérien, dans les milieux d’Église, mais aussi parmi les spécialistes de la Bible et les théologiens, de résister à réduire la Bible à un recueil de textes qui ne seraient que des « prétextes ». Est stigmatisé ici le geste de se servir d’un texte biblique sans l’avoir étudié avec profondeur et sérieux et afin de rendre légitimes une option théologique, une vision spécifique du monde, une approche particulière de l’existence humaine.

Cette méfiance est largement positive. Elle nous rappelle tout d’abord que le texte biblique n’est pas celui que nous avons nous-mêmes écrit. Il nous plonge dans une histoire qui n’est pas la nôtre, il nous rapporte des expériences que nous n’avons pas vécues, il nous présente des points de vues que nous ne partageons pas forcément. Prendre au sérieux le texte biblique, revient donc à s’exposer à une différence qui élargit l’horizon de notre foi et de nos réflexions. Cette confrontation à une altérité nous révèle ainsi que Dieu n’est pas limité à ce que nous en disons. Il peut être pensé, cru, expérimenté de manières variées, selon les sensibilités, les contextes, les histoires de chacune et de chacun.

Refuser de faire de la Bible un livre-prétexte, entend aussi nous rappeler que, celle-ci, du fait même de son altérité, nous questionne plus qu’elle ne nous cautionne. Nous retrouvons ici l’un des gestes caractéristiques de la Réforme, celui de soumettre l’Église, et tout ce qu’elle pense et met en pratique, à l’autorité des Écritures. Comme l’écrit, à juste titre, Freddy Durrleman, le fondateur de la Cause : « le protestantisme, c’est l’Église jugée par l’Écriture. » Ce geste relativise de fait nos doctrines et nos institutions et inscrit l’Église dans le courant d’une réforme permanente. Nous pourrions même affirmer ici que ce principe rend le protestantisme fondamentalement libéral. En acceptant de se soumettre à la Bible, l’Église fait le choix de l’ouverture au questionnement, à la critique, à la nouveauté. Soumise à une autorité autre, l’institution ecclésiale demeure toujours relative, elle ne puise pas son autorité en elle-même pas plus qu’elle n’est un but en soi.

Ne pas se contenter d’un texte « prétexte » est enfin une manière de récuser ce fondamentalisme pratique qui se satisfait d’un petit air de Bible pour justifier tout et n’importe quoi. Comme si la simple allusion biblique rendait le propos plus autorisé, plus juste et plus vrai. Or n’y a-t-il pas une véritable mauvaise foi à se réfugier derrière la légitimation d’un texte pour ne pas assumer pleinement la liberté de ses convictions personnelles ?

Mais l’Évangile n’est-il pas toujours au-delà des évangiles ?

Cette mise en garde comprise et partagée, elle ne saurait cependant épuiser les bonnes raisons de maintenir, malgré tout, la possibilité d’une Bible lue et utilisée comme… prétexte.

La méfiance à l’égard du texte utilisé comme « prétexte » a bien souvent voulu réduire la prédication à n’être qu’une étude biblique et à limiter la créativité théologique en l’obligeant à simplement transcrire intellectuellement les données de la Bible. Une telle démarche oublie que l’autorité des Écritures demeure avant tout celle de la Parole de Dieu qui, conjointement, anime le texte et son lecteur. Or cette Parole, ne peut-elle pas nous saisir profondément à travers un détail que le petit mot d’un simple verset suffit à nous livrer ? La dynamique propre d’un récit biblique, sa puissance suggestive, sa force poétique, ne sont-elles pas capables, à elles seules, de ravir notre entendement, de stimuler notre imagination, de nous saisir profondément ? Un verset est parfois tout un monde… Sa simple lecture suffit parfois à faire naître en nous une parole résolument évangélique par sa capacité à dire la grâce pour tous et pour chacun.

La lecture immédiate d’un texte ne peut-elle pas aussi, presque à son insu, donner vie à l’Évangile ? Pensons à la Théologie de la Libération ou à ces théologies du « tiers-monde »… Celles-ci sont bien souvent l’expression d’hommes et de femmes qui ont trouvé dans la Bible une parole qui les libère de l’oppression et qui les encourage dans la lutte pour un monde meilleur. Il y a, selon nous, une véritable indécence à leur reprocher de se référer à des textes bibliques à des fins identitaires ou idéologiques. Pourquoi nos méthodes en exégèse seraient-elles les seules valables ? Et pourquoi une approche supposée critique, rigoureuse et désintéressée, devrait-elle servir de norme universelle à notre approche théologique de la Bible ? Quand le texte biblique est devenu une telle source de vie, n’est-il pas l’heureux prétexte à un Évangile réellement vécu ? La proclamation de l’Évangile n’est en rien conditionnée à l’excellence de l’exégèse…

L’une des grandes vertus de la Bible, n’est-elle pas, aussi, de nous offrir des images, des récits, des versets, qui nous accompagnent dans nos pensées, qui aiguisent notre imaginaire et relancent nos réflexions ? L’autorité de la Bible ne repose pas sur sa capacité à dire le sens, à délivrer un savoir sur Dieu, sur l’existence humaine et sur le monde. La Bible fait réellement autorité en autorisant chacune et chacun à librement chercher et construire ce sens. La Bible est ici pré-texte à travers sa capacité à nous projeter au-delà d’elle-même, pour nous provoquer à la parole et nous inciter à écrire une nouvelle page d’Évangile. De même que Dieu est toujours au-delà de Dieu, l’Évangile n’est-il pas toujours au-delà des évangiles ?

 

« On peut même se demander en fin de compte si la prédication doit toujours se faire seulement par une parole exprimée et si elle ne peut pas aussi s'effectuer par une action sans parole. Il est certain que l'action peut avoir le caractère d'une interpellation. Mais il s'agit seulement alors d'une action qui peut valoir comme prédication chrétienne. [..]L'œuvre d'Albert Schweitzer ne s'offre-t-elle pas à nous comme une prédication par l'action ? »

Rudolf Bultmann, Foi et compréhension, Paris, Seuil, 1969, vol. II, p. 153

A trop vouloir inféoder la réflexion ou la prédication à l’étude rigoureuse de la Bible, ne courons-nous pas, enfin, le risque de rendre quelque peu archaïques nos théologies et notre foi ? Ne risquons-nous pas de rester tributaires d’images et de concepts qui brident notre créativité et nous ramènent sans cesse à des figures du passé ? Une exégèse trop savante risque bien souvent de nous replier sur le texte et de nous empêcher de le réactualiser avec vivacité ? En prédication, l’objet de la lecture biblique n’est précisément pas de colporter ce que le texte dit depuis deux mille ans, mais de recueillir ce qu’il nous dit ici et maintenant. La théologie est appelée à la créativité, à faire de nouvelles propositions théologiques. Il ne s’agit pas simplement pour elle de trouver les mots contemporains pour dire les intuitions d’antan. Il s’agit d’inventer la foi ! Il convient de créer de nouveaux rapports possibles à la transcendance.

Si le travail biblique reste pour le prédicateur une source intarissable de stimulation et de remise en question, il ne garantit en aucune manière la qualité d’une prédication. Le prédicateur doit cesser de se sentir coupable de ne pas consacrer les heures qu’il n’a pas à cette exégèse savante, prétendument objective et gratuite. La Bible est juste offerte à sa prédication pour qu’il y puise de quoi permettre à chacun d’être, simplement, saisi par la Grâce. La prédication se doit d’être une Bonne Nouvelle, une parole bonne et neuve, créatrice, libre, motivante. C’est à ce prix que la Bible ne sera pas ce livre musée pour une foi d’antiquaire, mais un livre de vie ; tout simplement. feuille

Raphaël Picon

 

haut

Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)

 


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs


Article Précédent

Article Suivant

Sommaire de ce N°


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions