Depuis toute petite
Nicole est une têtue, une acharnée. Sur son front, cest
comme si elle avait inscrit : « doit réussir ». Prise
dans des contraintes de perfection et de responsabilité, Nicole
a limpression de ne jamais en faire assez. Comme si tout dépendait
delle. Consultante dans un cabinet international, elle peut passer
des nuits entières à travailler sur des dossiers. Elle
se bat seule et surtout contre tous ses collègues pour prouver
ses compétences. Quitte à renoncer à ses loisirs,
à user sa santé, elle veut relever tous les défis
que lui lance son patron, « pour montrer quelle est capable
». Dailleurs, lorsquelle reçoit un nouvel ordre
de mission et quelle sait pertinemment que leffort à
fournir va être énorme pour répondre à la
demande, elle ne sait pas refuser. Renoncer réclamerait un réel
effort. Le combat nest pas contre son supérieur, il est
contre limage quelle se fait delle-même.
« La pauvreté de pensée
qui accompagne la fièvre daction du monde occidental
apparaît avec évidence lorsquelle se compare
avec la pensée de lExtrême-Orient. Celle-ci
est restée préoccupée par la recherche du
sens de la vie et nous force à nous interroger sur le sens
de notre agitation, problème que nous nous obstinons à
éluder. »
Albert Schweitzer, La civilisation
et léthique
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Les entreprises, et les paroisses aussi (!) apprécient
ces personnes, perçues comme des acharnées du travail,
efficaces sil en est, mais profondément solitaires.
Et Nicole réussit ! Elle sait et observe quelle
senferme dans sa toute-puissance et quelle ne sait pas demander
de laide. Lenjeu est vital. Ce serait faire l'aveu d'une
faiblesse et renoncer à sa toute-puissance.
Nicole parcourt le monde comme un enfant qui naurait
jamais pu donner la main à un adulte pour traverser la rue en
toute sécurité. Elle ne peut compter que sur elle-même.
Soucieuse de tout maîtriser, elle ne peut se laisser
interpeller, faire confiance.
Lâcher est une épreuve. Pour elle, la foi
a un côté insupportable dans le lâcher prise. Nicole,
pour continuer dexister, se doit de porter le monde plus quêtre
portée. Lentement, elle fait lexpérience aujourdhui
de sabandonner, à commencer dans les bras dun autre.
La foi qui était pour elle un exercice intellectuel, ouvre lentement
ses fenêtres sur un abandon serein. Le chemin spirituel dans la
rencontre dun Dieu à la fois puissant et impuissant la
libère progressivement de sa toute puissance.
Jean-Paul
Sauzède