Ouverture et Actualité
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haut
Deux jours à tuer
De Jean Becker, avec Albert Dupontel, Marie-Josée Croze, Pierre
Vaneck, Cristiana Reali, Alessandra Martines ; durée 1h25.
Antoine (Albert Dupontel) a tout
pour être heureux : une épouse agréable, Cécile
(Marie-Josée Croze), deux enfants adorables, des amis sur lesquels
il peut compter et une bonne situation dans la publicité. Un
matin, après sêtre emporté contre un client
puis contre ses collaborateurs, il démissionne. A midi, il
déjeune avec une très belle femme qui lui offre une
bouteille dun grand cru millésimé pour son anniversaire.
Témoin de la scène, une amie de sa femme en fait part
à cette dernière. Cécile demande une explication
à son mari qui lui assure quelle se trompe. La dispute
éclate et Antoine dort sur le canapé.
Ce drame familial classique nous semble manquer doriginalité.
Mais le réalisateur nen reste pas là, tout bascule
pour Antoine dont lattitude surprend puis inquiète. Au
cours du repas organisé par son épouse, pour son anniversaire,
il se lance dans une violente critique de ses amis. Il sagit
aussi dune condamnation dure mais lucide du milieu auquel ils
appartiennent et de lhypocrisie de la société
dans son ensemble. Le spectateur sourit devant certaines réactions
des invités sans toutefois oser trop se réjouir car
les intentions véritables dAntoine linterpellent.
Des situations semblables reviennent à lesprit, comme
dans le film « Festen » lorsque le fils accable son père
devant toute la famille. Dans ce cas, le fils avait des raisons évidentes
de se comporter ainsi mais ici, nous ne comprenons pas lattitude
dAntoine. Cette autodestruction atteint aussi douloureusement
son entourage.
Antoine quitte tout le monde, prend le bateau pour
lIrlande et retrouve son père avec qui il na pas
parlé depuis de nombreuses années. Le vieil homme est
peu engageant, mais est-ce une raison pour son fils de régler
ses comptes comme il la fait auparavant avec sa famille et ses
amis ? Nous apprenons enfin le pourquoi du comportement dAntoine
; le film se termine sur la chanson émouvante, « Le temps
qui reste » de Jean-Loup Dabadie magnifiquement interprétée
par Serge Reggiani.
Ce film est une adaptation du roman éponyme
de François Dupeyroux. La mise en scène de cette histoire
noire et cruelle illustre brillamment les problèmes de lisolement
des individus dans notre société. Nous sommes incapables
de communiquer avec nos proches et à force de juger sans comprendre,
nous considérons injustement les autres comme des névrosés.
Jean Becker aborde aussi la perte des valeurs humaines et dénonce
lhypocrisie, légoïsme et les mensonges qui
finalement nous rongent. Antoine, merveilleusement interprété
par Albert Dupontel, na plus rien à perdre, alors il
dit tout ce quil pense et joue le rôle de miroir pour
ses amis dont leur image sest déformée au fur
et à mesure de leurs compromissions. Cest aussi une façon
pour le réalisateur de critiquer les soixante-huitards ; inutile
de penser pouvoir vivre en totale harmonie, il sagit dune
utopie.
Pierre Nambot
haut
Désengagement
Film franco-israélien d'Amos Gitai
avec Juliette Binoche, Liron Levo, Jeanne Moreau. (1 h 55)
Le cinéaste israélien,
Amos Gitaï, sest toujours élevé contre labsurdité
des frontières qui dressent les peuples les uns contre les
autres. En 2005, il a assisté à lévacuation
des colons israéliens de la bande de Gaza et à lintervention
des forces de lordre, il se devait daller sur les lieux
pour filmer lévénement dautant que son fils
sy trouvait engagé comme appelé. Il a réalisé
une fiction qui explore une nouvelle fois les thèmes de lidentité
et de lexil tout en plongeant dans la réalité
comme le ferait un reportage.
Le prologue pose dentrée le problème
des frontières. Dans le train, deux personnes que les préjugés
ethniques et politiques devraient opposer, font connaissance : un
franco-israélien Uli (Liron Levo) et une palestino-hollandaise
(Hiam Abbas). Le contrôle suspicieux de leurs papiers par le
douanier, les échanges verbaux difficiles en différentes
langues créent une atmosphère despionnage. La
femme disparaît définitivement à limage
de limpossibilité du vivre sensible. Uli arrive à
Avignon et pénètre dans une grande et vieille demeure.
Il y trouve sa demi-sur, Ana (Juliette Binoche) qui veille la
dépouille de leur père et dont le comportement excentrique
intrigue et interpelle. Selon le testament, lhéritage
du père revient à sa petite fille. Très jeune,
lorsquelle était en Israël, Ana a eu une fille quelle
a abandonnée à la naissance et la sans cesse occultée
depuis. Maintenant, elle doit et veut la retrouver. De son côté,
Uli est rappelé en urgence par son unité pour prendre
part au désengagement de Gaza. Ana et Uli partent ensemble,
se séparent puis se retrouvent à Gaza
Cest
la partie la plus intense et la plus émouvante du film entre
les colons qui, douloureusement touchés, saccrochent
à cette terre devenue leur vie et les forces dintervention
qui doivent faire abstraction de tout sentiment et dégager
la place pour les Palestiniens.
Gitaï réalise une uvre intimiste
sur lhéritage et labandon au sein dune famille
qui se délite et dun territoire qui se déchire,
en mêlant le symbolique au réalisme. Le cinéaste
na jamais approuvé limplantation des colonies israéliennes
mais il est touché par le sort de ces personnes, encouragées
à simplanter dans ces territoires quelles doivent
brutalement quitter. Le Moyen-Orient est montré du doigt, «Je
crois que les Israéliens et les Palestiniens feront la paix
seulement lorsqu'ils accepteront l'idée que les solutions politiques
sont imparfaites par nature
Se désengager du passé
permet de se diriger vers une forme de réconciliation»
dit Amos Gitaï.
Pierre Nambot
haut
La Zona, propriété privée.
Réalisé par Rodrigo Pla (Mexique). Avec Daniel Gimenez
Cacho, Maribel Verdu, Carlos Bardem. Durée : 1h 38min.
Une cité résidentielle
de Mexico, la Zona, est entourée de murs très hauts,
surveillée par de nombreuses caméras et placée
sous la vigilance dune police privée. Cest un havre
de paix pour ses riches habitants protégés de la violence
et des agressions mais cest aussi une citadelle inaccessible
pour la population des favelas qui l'encerclent. La communauté
ainsi recluse a créé ses propres règles au mépris
de la loi, quitte à acheter le silence des autorités.
Lautogestion dégénère souvent : elle
laisse se dérouler des actions répréhensibles
et sinstaller la haine vis-à-vis de « létranger » qui
devient « lennemi à abattre ».
Un soir, lorage provoque leffondrement
de piliers ce qui permet un accès. Trois adolescents des quartiers
pauvres pénètrent dans ce ghetto de riches et sintroduisent
dans une des maisons. Le cambriolage tourne mal. Plutôt que
de prévenir les autorités, les résidents décident
de faire justice eux-mêmes. Une chasse à l'homme sans
pitié commence...
Le film est une adaptation du conte éponyme
de lécrivain Laura Santullo, épouse du réalisateur
Rodrigo Plà. Une société espagnole a pris le
relais du studio américain Columbia pour assurer le financement.
Le coût du tournage a été très modique
ce qui a permis à Plà dengager lacteur espagnol
de renon, Daniel Gimenez, interprète de "La mauvaise éducation"
de Pedro Almodovar.
Né à Montevideo (Uruguay), le cinéaste
vit au Mexique depuis l'âge de 9 ans. Pour lui, "Au Mexique,
où règnent le néolibéralisme et la corruption,
une poignée de gens s'enrichisse tandis que l'immense majorité
de la population reste à l'écart
il y aurait 60
millions de pauvres ". Pour dénoncer ce scandale, Plà
a choisi délibérément la fiction et le thriller.
Cela lui donne une grande liberté : il nest pas
obligé de respecter scrupuleusement la réalité
et peut dénoncer vigoureusement les scandales en créant
une forte tension dramatique. La Zona mérite bien le prix du
Meilleur Premier Film décerné au festival de Venise.
Cette histoire sonne comme un avertissement pour tous
les pays qui, face à la violence et à dégradation
de leur tissu social, laissent se constituer de nombreux îlots
réservés. Comme le dit Plà, « cette
Zona est un organisme à part entière qui se nourrit
de lui-même, et qui, à travers son incapacité
à détecter ses contradictions et ses défauts,
sème les graines de sa propre autodestruction ».
« Le Christ a détruit le mur de séparation,
l'inimitié»1, ne le reconstruisons pas !
Pierre Nambot
1- épître aux éphésiens (2,
14)
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