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Actualité cinématographique

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Précédents articles sur un film :

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Julia
Film franco-américain d'Erick Zonca avec Tilda Swinton, Saul Rubinek, Kate del Castillo, Aidan Gould. Durée : 2 h 20.

affiche du film Dans un bar enfumé de Los Angeles, des hommes d’affaires éméchés n’ont d’yeux que pour Julia (Tilda Swinton), une femme d’environ quarante ans, aux yeux embués d’alcool, qui titube et parle fort. Alcoolique, elle a perdu son travail et poursuit sa descente aux enfers en ne s’intéressant à rien ni à personne, en couchant avec n’importe qui pour payer ses dettes. Le matin, elle soigne sa gueule de bois et ses difficultés à s’exprimer avec de grandes rasades de vodka tonic.

Au cours d’une réunion des Alcooliques Anonymes, elle rencontre Elena, une mégalomane illuminée, peu fiable, qui lui raconte que son fils est retenu par son grand-père milliardaire. Elle a besoin d'une complice pour le récupérer et propose à Julia une curieuse association : kidnapper l’enfant contre de l’argent. Dans son esprit imbibé d’alcool, la perspective de rembourser ses dettes et de pouvoir ensuite boire sans contrainte, amène Julia à accepter. Elle s’embarque avec l’enfant dans une cavale hasardeuse pleine de rebondissements.

C’est pour elle une fuite en avant, une escalade de manipulations au cours desquelles elle tente d’exploiter tout le monde sans réaliser qu’elle a la charge d’un pauvre gosse. Elle croit pouvoir doubler son informatrice, agir masquée, récupérer la rançon à la consigne d’une gare avec autant de facilité que dans les thrillers… mais elle est dépassée par les actions qu’elle initialise et ses nombreux mensonges. La situation se retourne contre elle mais elle s’entête et se retrouve au Mexique, dans une impasse, cernée par des crapules qui inversent les rôles.

Le film est un road-movie dans lequel l’important n’est pas la destination mais le voyage en lui-même qui laisse des traces et fait que nous devenons quelqu’un d’autre. Julia doit choisir elle-même son chemin et après de nombreuses épreuves finit par sortir de l’aveuglement où l’alcool l’avait plongée. Le passage de la frontière mexicaine, lui fait prendre conscience d’une autre frontière, celle au-delà de laquelle il n’y a pas de retour possible pour les actes commis.

La mise en scène remarquable nous entraîne aux côtés de l’actrice Tilda Swinton, qui joue comme s’il en était de sa vie. En dépit de quelques longueurs, Eric Zonka réalise une œuvre magistrale dans laquelle tout jugement fait place à la compassion et à la tendresse. Le spectateur se réjouit du résultat de l’influence, reconnue par le réalisateur lui-même, de son maître John Cassavetes dans « Gloria ».

Pierre Nambot

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L’heure d’été

affiche du film Les héritages provoquent souvent des conflits familiaux. Que se passe-t-il pour que les relations entre héritiers changent et se détériorent ? La cupidité n’est pas forcément la cause fondamentale des désaccords, le problème est plus complexe, occasionné par des bouleversements insidieux des personnes qui n’en prennent pas conscience. C’est ce que nous montre Olivier Assayas dans « L’heure d’été »

Durant l’été, dans leur maison familiale située à la campagne, dans une nature resplendissante, Frédéric, Adrienne, Jérémie et leurs enfants fêtent les 75 ans de leur mère, Hélène Berthier, qui a consacré sa vie à préserver l'oeuvre de son oncle, le peintre Paul Berthier. Hélène aimerait bien parler de la succession mais l’ambiance est joyeuse et il n’est pas facile d’aborder ce sujet, d’ailleurs pour Frédéric, l’aîné, rien ne changera !

A l’automne, Hélène meurt. Les enfants discutent et souhaitent sauvegarder l’héritage dont ils sont dépositaires et qui reste le symbole de la famille et de son passé. Mais progressivement un changement se fait jour, ils s’interrogent sur cette nouvelle situation. Leurs intérêts divergent, Adrienne et Jérémie, qui vivent très loin, font valoir qu’ils n’auront que rarement l’occasion de venir ici. Jérémie a besoin d’argent pour s’installer en Chine.

Ils doivent se rendre à l’évidence, la décision qu’aucun d’eux n’avait envisagée parait soudain inéluctable : tout doit être vendu. Les épreuves commencent. La maison familiale ne sera plus pour les générations successives le havre de paix, le lieu de rencontres et de manifestations joyeuses. L’attachement émotionnel place les enfants dans une situation déchirante. En outre, ils doivent aussi se séparer de tout ce que contient cette demeure, tableaux de maîtres, objets de valeur et sources de souvenirs affectifs, accomplir les démarches administratives fastidieuses : voir le notaire, faire expertiser…

La famille se trouve dépossédée de toutes ses richesses qui changent de main et deviennent « prisonnières et enfermées » dans le Musée d’Orsay. La page est tournée. Les enfants gardent les souvenirs sentimentaux mais les petits-enfants ne s’embarrassent pas de toutes ces « histoires » !

« L’heure d’été » est en rapport permanent avec la nature, la modernité, le temps qui passe et qui marque la finitude de l’homme et souligne la pérennité des œuvres et des objets. C’est un film simple et émouvant sur la mémoire, la transmission entre générations. De quoi héritons-nous ? Que retenons nous de ceux qui nous ont précédé ? Les jeunes rejettent la plus part des valeurs proposées mais vont-ils s’affranchir de l’héritage de leurs aînés?

Pierre Nambot

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Soyez sympas rembobinez

affiche du film Michel Gondry fait à nouveau preuve d’une imagination débordante et n’hésite pas à utiliser les artifices les plus déjantés pour nous étonner et nous distraire.

Avec une certaine nostalgie, il nous fait découvrir un magasin vidéo qui propose à ses clients uniquement les bonnes vieilles cassettes VHS. Il utilise tout d’abord un subterfuge digne de certains philosophes qui prônent la déconstruction pour innover. Toutes les cassettes sont effacées accidentellement par Jerry qui, ayant tenté de saboter une centrale électrique, se trouve maintenant doté d’un pouvoir magnétique. Cela n’arrange pas les affaires du magasin, menacé de démolition si les travaux de réfection ne sont pas faits. Il faut vite trouver une solution, les clients sont mécontents et le patron peut revenir d’un moment à l’autre. Mais, Mike, momentanément en charge du magasin et son collègue Jerry, n’ont pas un dollar en poche pour racheter le stock détruit. Rien n’arrête les deux comparses, ils décident de tourner les films à leur façon. Ils se réapproprient les personnages des grands succès d’Hollywood et les extraits qu'ils revisitent : Men in Black, Le roi Lion, 2001, l’Odyssée de l’espace sont un enchantement. Avec des moyens désuets mais grâce à un sens peu commun du bricolage et de la débrouille (des vieilles boîtes de conserve, deux boulons, un aspirateur, une caméra pourrie…) ils refont les cassettes. Le résultat est un bric à brac invraisemblable et pourtant l’initiative rencontre un tel succès auprès des habitants de la petite ville que l’ensemble de la communauté s’investit bientôt dans le projet.

Michel Gondry crée un excellent duo : Mos Def qui joue avec un naturel déconcertant le personnage de Mike, sympathique mais maladroit, et l’inénarrable Jack Black qui interprète Jerry, malchanceux et comique. Chaque dialogue entre Jack Black et Mos Def bénéficie d'un comique de situation irrésistible. A l’opposé Danny Glover campe M. Fletcher, un personnage trop gentil, dont le magasin est au bord du gouffre.

Avec cette farce de potache déjantée et truffée de gags, le cinéaste pose un regard ironique mais bienveillant sur ces pitres qui font preuve d’une créativité remarquable. Il singe le cinéma savant et intellectuel qui tente souvent d’étouffer cette inventivité hors norme, et donc forcément dérangeante. Il milite aussi pour les projets collectifs afin que chacun retrouve le goût de faire les choses par lui-même et aussi avec les autres tout en souhaitant que cet espoir puisse s’étendre à la société dans son ensemble.

Ce film d’une très grande humanité sera apprécié des amateurs de films ubuesques.

Pierre Nambot

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Redacted
Film réalisé par Brian De Palma (USA) avec Kel O'Neill, Ty Jones, Daniel Sherman , durée: 1h 30min. Il a obtenu le Lion d’argent du meilleur réalisateur au festival de Venise 2007.

affiche du film Nous savons que Brian de Palma excelle dans la dénonciation des conflits : « …Une guerre absurde a provoqué une tragédie absurde… ». Après son film « Outrages » sur les exactions des soldats américains pendant la guerre du Vietnam, que pouvait bien faire le cinéaste pour parler de la guerre d’Irak sans éviter les redites ?

« Redacted » est plus qu’une surprise pour le spectateur, c’est un choc, un terrible choc d’images plus horribles les unes que les autres mais pourtant vraies ! La caméra DV du G.I. Salazar filme ses copains avec leurs lassitudes, leurs détresses, leurs peurs, leurs haines et leurs folies. Un documentaire français nous montre le travail des américains aux check points ; le but est de sécuriser le territoire mais l’efficacité est peu convaincante, il y a même souvent des malentendus avec la population locale et des « bavures ». La télévision locale relaye l’actualité mais le manque d’informations précises induit des interrogations et des suppositions qui accentuent l’ambiance apocalyptique. Puis viennent se rajouter les brèves des chaînes d’informations télévisées arabes, les images des vidéos de surveillance des lieux, des blogs, des témoignages et confidences circulant sur le web. C’est un déferlement de scènes terriblement choquantes qui finit par hypnotiser le spectateur. Il s’attend au pire mais il reste néanmoins interdit devant le viol de la jeune Samara, son assassinat et celui de toute sa famille parce que des G.I. qui ont perdu tout repère ont voulu tout simplement s’amuser!

Conscient des évolutions de l’information devenue de plus en plus spectaculaire, Brian de Palma innove et présente ici un documentaire composé d’images numériques instantanées venant de différentes sources ; il a cependant pris soin de les reconstituer pour ne pas être légalement attaqué. De plus le réalisateur ne hiérarchise pas ses sources d’informations et ne privilégie aucun point de vue, il laisse le spectateur se positionner. A travers la mise en scène du film, nous prenons conscience du système médiatique qui nous entoure et qui, loin de nous informer, nous manipule si nous n’y prenons pas garde. L’image est maintenant un outil indispensable en communication mais c’est aussi un outil dangereux que l’utilisateur doit maîtriser. Dans le passé, le protestantisme s’en méfiait et recommandait même de s’en affranchir, ce n’est plus le cas aujourd’hui mais la prudence et l’esprit critique restent de mise.

Pierre Nambot

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Juno

affiche du film En 2005, Jason Raitman avec « Thank you for Smoking », nous séduisait par cette satire d'une société hypocrite. Il quitte ici le monde des adultes pour celui des adolescents.

Comme les filles de son âge, Juno affronte le dilemme de l’adolescence, l’accès précoce à l’âge adulte mêlé à l’absence d’une réelle maturité. Elle se protège et camouffle sa fragilité en adoptant une attitude provocante. A 16 ans, Juno n’a pas réalisé qu’elle pouvait être enceinte dès son premier rapport sexuel ; elle estime d’ailleurs qu’il y a une erreur de diagnostic mais au 3ème test, elle doit se rendre à l’évidence.

Dans une Amérique dévote et culpabilisante, l’annonce de sa grossesse à ses parents prend l’allure d’un désastre : « Elle ne pouvait pas simplement conduire en état d'ivresse ou être renvoyée du lycée au lieu de … ». Mais, très vite, dans ce couple recomposé et décomplexé, l’amour parental reprend le dessus. Pas de morale, le père et la belle-mère font preuve d’une grande bienveillance et se mettent à l’écoute de leur fille.

Une décision importante s’impose. Juno ne peut pas faire confiance à son ami Bleeker. Trop jeune, immature et comme beaucoup de garçons face à ce même problème, il la laisse assumer seule. Au premier abord, c’est simple, Juno n’a pas d’hésitation, elle décide d’avorter. Mais, en parlant autour d’elle et en rencontrant une de ses camarades en campagne contre l’avortement, elle réfléchit et le doute s’empare d’elle. Pourquoi ne pas devenir mère porteuse ? Non pour l’argent mais par générosité, pour aider un couple qui ne peut pas avoir d’enfant. Par instinct maternel, sa belle-mère hésite à l’encourager, mais son père la soutient dans cette démarche. Le comportement des conjoints du couple candidat à l’adoption diverge très vite : impatiente d’être « mère », la femme est enthousiaste, mais, ne se sentant pas mûr pour être « père », l’homme prend peu à peu ses distances et veut divorcer.

Dans une ambiance chaleureuse et tendre faite d’un mélange de comportements infantiles et de pudeur adulte, de dialogues crus et de non dits évocateurs, le spectateur suit avec passion l’apprentissage de la vie par une toute jeune fille. Excellemment mis en scène, ce film aborde deux réalités souvent occultées, les grossesses précoces et l'adoption.

Pierre Nambot

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Sweeny Todd
Réalisé par Tim Burton avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Sacha Baron Cohen, Alan Rickman. Durée 1 h 55.

affiche du film Nous sommes dans un quartier de Londres obscur, crasseux, inquiétant qui semble sorti tout droit d’un roman de Charles Dickens. Le « Ciel » est couvert de nuages sombres d’où s’échappe un filet de sang écarlate qui s’écoule à travers les rouages d’une sinistre mécanique avant d’atteindre les égouts noirâtres de la ville, les bas-fonds de l’enfer.

Ce générique nous met rapidement en condition pour aborder l’univers de Tim Burton. Sweeney Todd apparaît avec une chevelure à la Cruella, la voix grave, le regard inquiétant, le teint blafard d’outre-tombe. Il s’appelle en fait Benjamin Barkeret, il était barbier. Le Ciel (le destin) l’a condamné à souffrir, en perdant sa femme dont la beauté a troublé l’infâme juge Turpin qui l’élimine en l’envoyant au bagne. A sa sortie, ce même Ciel apocalyptique met sur sa route Mme Lovett, qui par amour, lui cache l’existence de son épouse et lui remet ses précieuses lames de rasoirs en argent. Todd et Mme Lovett sont animés d’une haine farouche envers les « saigneurs » qui abusent de leur rang et oppriment (« saignent ») les plus faibles.

Ces deux êtres sans scrupule mettent en oeuvre un stratagème diabolique. Todd attire ses victimes dans son échoppe, les égorge puis laisse le soin à Mme Lovett de faire disparaître les corps dont une partie est recyclée dans des tourtes à la viande très appréciées par de nombreux clients. Peu à peu sa passion vengeresse et « purificatrice » s’étend jusqu’aux consommateurs de tourtes auxquels il destine le même sort. Pour débarrasser Londres de tous ces individus rebutants, Tood a du travail. C’est l’enfer au sens propre comme au sens figuré mais la situation va se retourner contre l’exterminateur…

Ce film est une adaptation de la comédie musicale de Stephen Sondheim et Hugh Wheeler Sweeney Todd, the Demon Barber of Fleet Stree qui a eu beaucoup de succès à Broadway. Tim Burton a choisi de garder la partition initiale plutôt que de faire appel à son compositeur fétiche. Il a recrée un Londres glauque, ultra stylisé, sans souci de vérité historique. Grâce au procédé de “désaturation” des couleurs, les images saisissantes approchent du noir et blanc. Le tout donne un mélange d’horreur et d’émotion souligné de touches d’humour noir décapant (“Je gage que je rase avec dix fois plus de dextérité que n’importe quel bonimenteur.”)

C’est une tragédie humaine où les êtres sont tiraillés par leurs pulsions contradictoires au centre desquelles règnent l’amour et la haine de la société.

Burton signe ici son œuvre la plus aboutie mais aussi la plus tourmentée. Les spectateurs qui apprécient ce mode d’expression penseront qu’il s’agit du plus humain des films de ce réalisateur, pour les autres, le risque de rejet est grand.

Pierre Nambot

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Lumière silencieuse
Film mexicain de Carlos Reygadas avec Cornelio Wall Fehr, Miriam Toews, Maria Pankratz. (2 h 16)

affiche du film Dans l'immensité de la province Chihuahua, au nord du Mexique, vit une communauté mennonite d’environ 100.000 membres. Ils sont les descendants d'une minorité protestante dissidente éminemment fervente et pacifique mais très conservatrice. Les fondateurs ont quitté l'Europe au cours du 17ème siècle pour le Canada puis le Mexique vers 1920 où la majorité d'entre eux vit encore aujourd'hui et parle un dialecte du nord de l’Allemagne, proche du néerlandais médiéval. Très pieux, ils possèdent leurs propres écoles, leurs hôpitaux, un système juridique spécifique et refusent tout modernisme.

Dans cette communauté, un fermier, Johan, vit avec sa femme et ses six enfants. Modérée, cette famille accepte les voitures et la médecine, mais ne tolère pas le téléphone ; elle place au centre de ses activités un rituel aux nombreuses prières. Amoureux d’une autre femme, Johan trompe son épouse, ce qui constitue une faute impardonnable vis-à-vis de sa famille, de la communauté et de Dieu dont il devrait être le serviteur exemplaire. Un véritable dilemme s’empare de lui : peut-il vivre avec une femme qu’il aime et qui tient à lui et abandonner celle qui l’aime toujours ? Est-il l’objet d’une attirance charnelle ou d’un sentiment irrépressible ?

Le film commence par un très long plan fixe sur la nature qui s’éveille : les étoiles scintillent à travers une brume légère puis le ciel passe progressivement du rouge au jaune au bleu alors qu’une brise remue légèrement les branches et que les bruits d’abord discrets se font plus audibles. D’entrée, le spectateur attentif et sensible est captivé par cette « Lumière Silencieuse » d’où émane une forme de grâce qui lui fait prendre toute la mesure du Temps et de l’Espace. Nous découvrons ensuite les hommes, les femmes et les enfants qui vivent dans la douceur, parlent peu, ce qui souligne la sensualité des êtres et l’harmonie de leur vie avec la nature. La conduite de Johan ne provoque pas de réactions hostiles des membres de la communauté mais de la compassion pour celui qu’ils considèrent comme une victime aux prises avec les conflits de son âme. Johan oscille entre les remords et l’espoir d’une solution paradisiaque qui lui viendrait de Dieu mais il sera surpris et bouleversé par l’issue finale. L’épouse nous apparaît comme la sacrifiée qui sauve les dogmes et les croyances et la maîtresse comme celle qui accomplit une action miraculeuse. Cette action nous rappelle le film « Ordet » de Dreyer.

Reygadas réalise ce film avec une exceptionnelle maîtrise. Les images semblables à de magnifiques tableaux représentent des paysages grandioses. Le réalisateur a choisi de filmer des non professionnels, les mennonites, eux-mêmes très motivés pour transcrire cinématographiquement leur existence alors qu’ils ne connaissent pas la télévision. L’utilisation de très longs plans séquence donne l’impression au spectateur de suivre les événements en temps réel.

Ce film magnifique, qui nécessite une attitude contemplative et un état d’esprit ouvert à l’aspect mystique et salvateur, met l’accent sur la complexité de l’être humain Le jury du festival de Cannes 2007 lui a décerné son prix, il aurait cependant mérité une distinction du jury œcuménique.

Pierre Nambot

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L’Homme sans âge
Film américano-roumain de Francis Ford Coppola avec Tim Roth, Alexandra Maria Lara, Bruno Ganz, André M. Hennike, Alexandra Pirici. (2 h 05.)

affiche du film La sortie d’un film de Francis Ford Coppola après une longue absence constitue un événement qu’il nous est difficile de passer sous silence.

Nous sommes en 1938, le réalisateur nous présente un professeur roumain Dominic Matei (Tim Roth) qui se consacre à un essai gigantesque sur les origines du langage. Il décide de tout sacrifier à son oeuvre, y compris son amour pour la jeune Laura (Alexandra Maria Lara). Il est désespéré car, à 70 ans, il craint, de ne pas pouvoir terminer ses recherches. Un soir, frappé par la foudre un soir il en sort rajeuni. Cet événement miraculeux lui donne des moyens extraordinaires et il pense alors pouvoir remonter aux sources du langage et au début de la conscience humaine. Malheureusement les nazis puis les alliés s’intéressent à son cas. Il va devoir faire un choix cornélien…

Personnage quelque peu monstrueux le professeur joue à l’esprit pur et dominateur. Il estime être un homme d’exception et doit éviter les obstacles que constituent l’amour, la politique, le vedettariat…

Le film aborde de nombreux thèmes : la nostalgie de la jeunesse, l’identité qui limite la liberté, la manipulation,… Coppola s’interroge surtout sur le savoir et sur le temps, celui qu’on emploie et celui qui passe. Il utilise la magie et le fantastique. Sur le plan de la mise en scène, L’homme sans âge comporte beaucoup de plans fixes. Le scénario fluide et séduisant nous ramène au style cinématographique habituel de Coppola. Il n’en reste pas moins que cette adaptation de l’œuvre ésotérique du philosophe Mircea Eliade qui se réfère au mythe de Faust, nécessite de la part du spectateur une attention particulière pour en avoir une lecture enrichissante.

Pierre Nambot

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Nous les vivants
Un film de Roy Andersson (Suède) avec Fred Anderson, Björn Englund, Robert Grundström, Elisabeth Helander, Elisabeth Jörgensen, Jessica Lundberg... De 2007, durée :1h34.

affiche du film Le réalisateur nous promène dans la vie quotidienne où se déroulent des scènes qui semblent absurdes. Pourtant, des liens subtils se dessinent progressivement entre elles. Les nombreuses situations déconcertantes qui se succèdent montrent la difficulté des « vivants » à communiquer et à vivre en société.

Le film est tout simplement une comédie tragique ou une tragédie comique dont le spectateur est le témoin : un membre d'une fanfare municipale s'entraîne à jouer de la grosse caisse dans son appartement, un homme tente de dormir dans une pièce qui donne sur une voie ferrée, un autre rêve qu’il est condamné à mort pour "négligence vis-à-vis du bien d'autrui" car il a brisé la vaisselle familiale héritée de plusieurs générations et lorsqu'il se débat pour ne pas être attaché sur la chaise électrique, quelqu'un lui suggère de "Penser à autre chose !", une institutrice fond en larmes devant ses élèves parce que son époux l'a traitée de "nigaude", une ivrogne traite sa belle-mère de sadique car elle lui sert de la bière sans alcool, un coiffeur arabe se venge sur un client raciste en lui donnant un coup de tondeuse au front et à la nuque, un psychiatre est désespéré de devoir redonner le goût de vivre à ses patients méchants ou moins abattus que lui, une épouse inconsolable prie pour son défunt mari, sollicite le pardon pour les personnes viles et cupides tout en ignorant que son époux mort d’une crise cardiaque au cours d’une séance du Conseil d’administration de l’entreprise dont il était le Président procédait sans état d’âme au licenciement d’un grand nombre d’employés…

Le spectateur est face à une fable onirique et burlesque où les rêves, mais aussi les cauchemars, peuvent devenir réalité. Le cinéaste nous soumet à une mosaïque d’images où dominent le gris-bleu et le vert pâle en harmonie avec le monde disloqué des villes sans âme où errent des ersatz humains. Mais il utilise en alternance un ton jovial fait de gags plongés dans une musique de la Nouvelle Orléans créant ainsi des instants anodins et dérisoires qui nous renvoient à la futilité des choses. Tous les personnages semblent venir de la vie quotidienne où l’être humain, qui se laisse dominer par les acquis matériels, devrait ne pas se prendre trop au sérieux sous peine de devenir un fléau pour les autres.

Ce film est « un Essai sur le penser à l’autre » comme le dirait Emmanuel Levinas, brillamment mis en scène par un cinéaste suédois dont l’humour rappelle celui de Tati.

Pierre Nambot

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Paranoïd Park
Film américain de Gus Van Sant avec Gabe Nevins, Dan Liu, Jake Miller. Durée :1 h 30. Prix du 60ème anniversaire de Cannes 2007.

affiche du film Paranoïd Park est l'adaptation du roman éponyme de Blake Nelson (écrivain originaire de Portland). Alex vit mal le divorce de ses parents, son meilleur camarade le délaisse et il est peu attaché à sa petite amie, Jennifer. Il s'ennuie et passe de plus en plus de temps à Paranoïd Park appelé aussi Punk Park et connu comme le skatepark le plus malfamé de Portland. Insuffisamment mur pour affronter la piste sous le regard des autre, Alex contemple plus qu'il ne « roule ». Un soir, dans un délire avec un skater inconnu, après avoir bu de la bière, l'idée leur vient de sauter sur des trains de fret. Durant cet exercice, Alex provoque involontairement un accident mortel.

Le spectateur suit la lente évolution mentale de l’adolescent qui ne prend pas tout de suite la mesure de son geste malencontreux. Dépourvu de réelle attache affective, il n’a personne à qui se confier, il croise les autres sans pouvoir leur adresser la parole et ne se sent intégré ni au monde des jeunes ni à celui des adultes : il est hors du temps et de la société. Sa situation est illustrée par la signification métaphorique de Paranoïd Park. Triste, renfermé sur lui-même, il affronte seul la « bêtise » qui le hante. Son chaos mental se traduit par une grande confusion dans sa manière de s’exprimer peu intelligible, dans sa perception des images déformées, floues ou ralenties et celle des sons ressentis comme provocateurs sous forme d’airs d’opéra, de rock, de techno. Ses troubles s’atténuent au fur et à mesure qu’il prend conscience de la gravité de son acte ; il devient plus responsable, plus mature. Une véritable amie et non Jennifer trop égocentrique, lui donne la clef pour résoudre son problème. La bonne voie enfin trouvée, l’angoisse laisse place à l’apaisement et au soulagement. L’espoir renaît, la jeunesse n’est pas perdue !

La maîtrise des images et de l’accompagnement musical est remarquable ; elle fait appel aux sens et nous entraîne dans le monde intérieur de cet adolescent avec une intense émotion. Nous passons des performances époustouflantes des skaters qui défient l’équilibre, comme ils défient la société, à un monde plus stable et plus posé. Non professionnels, les acteurs jouent avec une grande authenticité, plus spécialement Gabe Nevins (Alex), parfaitement dans la peau de son personnage.

Après Gerry, Elephant, Last Days, Paranoïd Park s’inscrit dans une filmographie consacrée à l’isolement de l’individu, en particulier des jeunes, et à ses conséquences. Dans les trois premiers films, en particulier Elephant, la mort fait partie de la mythologie de l’adolescence. Ici, la mort est un accident trivial qui interroge sur l’être humain, son libre arbitre, sa conscience morale et son humanité. C’est un film qui mérite d’être vu !

Pierre Nambot

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Secret Sunshine
Film sud-coréen de Lee Chang-dong avec Jeon Do-yeon, Song Khang-ho. (2 h 22) Prix d'interprétation féminine 2007 pour Jeon Do-yeon à Cannes.

affiche du film Shin-ae (Jeon Do-yeon) quitte Séoul après la mort accidentelle de son mari, pour s'installer dans la ville natale de ce dernier, Myriang, qui signifie "abri du soleil secret". En compagnie de son jeune fils, Jun, elle désire prendre un nouveau départ. Bien que son intégration à ce milieu provincial ne soit pas sans difficultés, elle refuse l’aide d’un garagiste (Song Kang-ho, le plus célèbre des acteurs coréens) qui s'attache sincèrement à elle. Une nouvelle tragédie surgit : son fils est assassiné par un malade mental. Tout bascule pour elle…

Pendant la première partie du film, le spectateur pense assister au chemin initiatique de Shin-ae vers l’apaisement et un nouveau bonheur. Elle donne des cours de piano pour subvenir à ses besoins et tout indique qu’elle peut refaire sa vie. Mais, progressivement le doute s’installe : méfiance et hostilité des habitants de la petite ville qui l’espionnent, colportent des propos malveillants à son encontre, attitude de son fils qui joue à disparaître et à faire le mort…

La mort de Jun plonge Shin-ae dans une horrible souffrance. Elle tente de survivre, de paraître forte mais le jour où la douleur accumulée s'extériorise, les autres en sont terriblement offusqués , éprouvent de l'angoisse et de la peur face à la profondeur des sentiments exprimés. Accablée par la solitude et le malheur, Shin-ae se laisse enrôler dans une église sectaire chrétienne aux effets cultuels démonstratifs qui n’a rien d’autre à proposer que l’amour de Dieu. Elle se convertit et devient une croyante zélée résolue à appliquer tous les principes du christianisme, dont le pardon inconditionnel des pêcheurs. Mais, lorsqu’elle est confrontée à l’assassin de son enfant et à la question du pardon, sa foi vole en éclats…

"Secret Sunshine" est un film noir. Il commence par un plan sur un ciel radieux et se termine sur la vision triste et sombre du sol d'une cour où traîne un sac plastique sale. Il s’agit d’une analyse sans concession de notre société et d’une invitation à mieux regarder, à mieux entendre et à mieux comprendre ceux qui nous entourent, c’est-à-dire les Autres.

Pierre Nambot

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4 mois 3 semaines 2 jours
Film roumain réalisé par Cristian Mungiu avec Anamaria Marinca (Otilia), Laura Vasiliu (Gabita), Vlad Ivanov (le docteur Bébé). Durée : 1h 53min.

affiche du film Nous nous devions de parler du film qui a reçu la palme d’or à Cannes, cette année, même si pour la rentrée nous aurions aimé aborder un sujet plus léger.

Nous sommes en Roumanie en 1987, sous le régime moribond de Ceausescu, la misère est omniprésente et l'avortement sévèrement puni. Deux étudiantes solidaires et amies, Gabita et Ottilia, partagent la même chambre dans un foyer. Enceinte de plus de 4 mois, Gabita n’a pas d'autres choix que l’avortement. Ottilia qui fait tout pour l’aider, appelle le Docteur Bébé et la situation tourne au drame.

Mungiu nous place d’entrée dans une ambiance oppressante presque cauchemardesque : une résidence universitaire semblable à un casernement, une police omniprésente, la misère qui conduit les plus démunis à pratiquer des trafics délictueux. La caméra nous montre cette réalité sordide par de longs plans séquences où le gris bleu domine sauf dans les scènes nocturnes où le noir s’impose. Le réalisateur fait preuve de délicatesse en utilisant de nombreux hors plans mais pas au moment crucial et c’est dommage !

Otilia prend les choses en main, aide son amie à trouver une chambre d’hôtel, le Docteur Bébé pour l’avortement (à noter l’ironie dans le choix de ce nom) sans se douter du traumatisme qui l’attend. C’est aussi un choc pour le spectateur entraîné par les mouvements de la caméra qui s’accélèrent avec la tension et l’horreur de la situation. C’est Otillia, la moins effrayée et apparemment la plus solide des deux, qui paraît la plus éprouvée.

Ce film dur et moralement exigeant offre, malgré sa rudesse apparente, deux magnifiques portraits de femmes qui luttent avec courage ; les actrices sont époustouflantes. En plus du thème central qui peut relancer le débat entre les anti-avortement et les pro-avortement, c’est la Roumanie de Ceausescu que nous montre Mungiu et métaphoriquement « l’avortement » de cette sinistre époque.

C’est un film à voir à condition d’être dans de bonnes dispositions.

Pierre Nambot

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Au jury œcuménique du festival de Cannes 2007

logo du Jury Œcuménique Avec les projections, le marché des films, les célébrités, les participants, l’environnement, le festival de Cannes se présente sous de multiples aspects. Pour le cinéphile et par surcroît le membre du jury œcuménique que j’étais cette année, le véritable spectacle était évidemment dans les salles obscures.

Comme à chaque festival, je me suis senti plongé dans un océan cinématographique. J’ai eu l’impression de perdre pied, d’être transporté dans un univers imaginaire et de me retrouver dans un état psychologique second. La variété des situations et des questions implicites et explicites développe l’acuité du sens critique et y associe un plaisir certain.

Le jury œcuménique était composé, pour les catholiques de Jean-Yves Fischbach (France), Marina Sanna (Italie), Catherine Wong (Hong Kong) et pour les protestants de Anne-Béatrice Schwab (Suisse), présidente, Marisa Villareale (Allemagne) et moi-même. Nous avions pour mission de faire un choix destiné à attirer l’attention du public sur les valeurs humaines et spirituelles largement partagées dans toutes les cultures et qui sont aussi celles de l’Evangile.

Les échanges au cours de nos débats ont été d’autant plus enrichissants que nos divergences sur les évaluations ont été abordées dans un esprit fraternel. Les impressions objectives et subjectives de chacun ont été partagées et le souci d’accomplir au mieux la mission donnée nous a permis de dépasser nos divergences pour établir facilement le choix final.

Nous avions à nous prononcer sur les 22 films de la sélection officielle pour décerner le prix auxquels s’ajoutaient tout ou partie des 20 films d’« Un Certain Regard » pour attribuer éventuellement une mention. Comme il n’est pas possible ici d’évoquer tous ces films, je me limiterai à l’essentiel de ceux de la Sélection Officielle.allocution de Pierre Nambot

Notre décision d’écarter les films style « paillettes » : - Death Proof de Tarantino, - Ocean’s 13 de Soderbergh et ceux dont le thème était éloigné de notre objectif comme : - Zodiac de David Fincher, - The man from London de Béla Tarr, - No country for old man de Joel § Ethan Coen - Une vieille maîtresse de Catherine Breillat, a été vite prise. Les 15 films restant n’étaient pas dépourvus d’intérêt comme par exemple : - 4mois 3 semaines et 2 jours de Christian Mungus qui illustre le terrible problème de l’avortement en Roumanie sous la dictature de Ceausescu – Lumière silencieuse de Carlos Reygadas évoque la vie au sein d’une communauté mennonite au Méxique - Le scaphandre et le papillon de Julian Schnabel dans lequel Jean-Dominique Bauby atteint de « locked-in syndrome » communique seulement avec un battement de cil - Alexandra d’Alexander Soukurov qui par la visite d’une mère russe à son fils soldat, dénonce l’absurdité de la guerre en Tchétchénie.

Notre choix s’est porté sur De l’autre côté de Fatih Akin pour lequel nous avons établi le communiqué de presse suivant : « Ce film raconte habilement les destins croisés, en Allemagne et en Turquie, d’hommes et de femmes d’origines différentes. Il sensibilise le spectateur à la douloureuse complexité des pertes de repères et des relations, ainsi qu’à la richesse des échanges, passages et cohabitations possibles entre ces mondes différents. D’autres thèmes majeurs sont abordés, ce sont ceux de la filiation, du sacrifice et de la réconciliation. »

Vous trouverez l’article que j’ai écrit au sujet de ce film ci-dessous.

Pierre Nambot

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De l’autre côté (Auf der anderen seite)
Prix du Jury Œcuménique Festival de Cannes 2007
Film réalisé par Fatih Akin (turc né en Allemagne), avec Baki Davrak, Patrycia Ziolkowska, Hanna Schygulla. Durée : 2h02.

Affiche du film Fatih Akin, réalisateur allemand d’origine turque, a élaboré un scénario complexe mais bien construit, qui met en scène deux familles et six personnages aux destins entrelacés. Ainsi, un Turc originaire des rivages de la mer Noire enseigne la langue allemande à Brème, une étudiante, dont la mère vit à Brème, se soulève contre le régime en Turquie... Beaucoup d’actes manqués, de retrouvailles impossibles, de révélations tardives, d’accidents, jalonnent ces vies. Un véritable chassé-croisé des personnages et des situations s’établit entre l’Allemagne et la Turquie. Dans le cadre de cette fiction, le cinéaste maîtrise les caractéristiques politiques, humaines et psychologiques qui conditionnent l’existence : l’absence d’une mère, d’un père et le besoin de filiation, le ressentiment et l’amour, la haine et le pardon.

Fatih Akin s’adonne à un véritable métissage des cultures. Avec sa force émotionnelle, son humanisme exacerbé, sa volonté de combattre les préjugés, il fait évoluer ses personnages - l’intellectuel solitaire, le macho traditionnel, la progressiste méfiante, la fervente combattante, l'utopiste occidentale et la prostituée paumée - vers des conceptions plus ouvertes, plus nuancées leur permettant de sortir de leurs impasses et d'accéder à une forme de sérénité.

Ce changement individuel se heurte malgré tout aux contraintes de la société et rend le devenir incertain peut-être même illusoire. Le seul espoir semble résider dans l'acceptation de l'étranger, de l’Autre, ainsi perdre quelqu'un c'est aussi trouver quelqu'un d'autre. Il ne s’agit pas d’un simple substitut mais d’une situation symbolique : le transfert se produit par des objets (un livre permet au père de se rapprocher de son fils), un lieu (les rivages de la mer Noire représentent la paix intérieure), par la mort (avec la mère de sa petite amie un des personnages retrouve ce qui a disparu avec la mort de sa propre mère).

Akin insère son histoire dans un cadre politique où la Turquie et l'Allemagne ont une histoire commune d’amour et de répulsion. Les relations humaines et les opinions de chacun, sont subies, souvent dépendantes d'un contexte plus général qui influe sur la justice et les idéaux. Il en ressort autant de conceptions personnelles de la foi que de protagonistes, ce qui suscite la méfiance entre les gens.

Le réalisateur nous dit avec force que, lorsque les hommes ouvrent leur cœur, échangent, arrivent à se comprendre, leurs obsessions s'effacent. Compte tenu des cultures et des croyances, des sacrifices s’imposent, il faut du temps et de la distance pour que le dialogue, le pardon et l'amour s'instaurent. Nous devons passer de « l’autre côté » par rapport à nous-mêmes, effectuer un déplacement au sens propre et au sens figuré.

Il s’agit d’un chef-d’œuvre qui répond parfaitement à l’esprit du jury œcuménique. Je suis très heureux que nous lui ayons attribué ce prix et que le lendemain, dans le cadre de la compétition officielle, il ait reçu le prix du meilleur scénario.

Pierre Nambot

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Ne touchez pas la hache
Réalisé par Jacques Rivette, avec Jeanne Balibar (Antoinette de Navarreins, Duchesse de Langeais), Guillaume Depardieu (General Armand de Montriveau), Michel Piccoli (Vidame de Pamiers), Bulle Ogier (Princesse de Blamont-Chauvry). 2007, durée 2h17. Sélectionné au Festival de Berlin 2007.

Affiche du film Nous sommes au XIX° siècle, pendant la Restauration, période au cours de laquelle l'aristocratie est en pleine décadence. Lors d’une soirée mondaine, Armand de Montriveau, un Général Français, rencontre la séduisante Antoinette de Navarreins, Duchesse de Langeais, dont il s'éprend. Encouragé par la jeune femme, il envisage de devenir son amant mais coquette, tout en l’encourageant, elle se refuse à lui au nom de la bienséance. Il décide de la prendre à son propre jeu, et pour se venger de sa cruauté, il l’enlève. Les rôles s’inversent alors, lui feint l'indifférence, la repousse au point qu’elle se réfugie dans le cloître des Carmélites à Majorque. Il part pour tenter de l’arracher au couvent...

Il s’agit d’une adaptation du roman, "La Duchesse de Langeais" de Balzac, qui avait au préalable écrit la nouvelle, "Ne touchez pas la hache" Cette expression signifie ici "faire perdre la tête à quelqu’un", en référence au garde de Westminster, qui, lors d’une visite, l’avait prononcée en montrant l’objet ayant tranché la tête du roi d’Angleterre, Charles 1er.

Après "La belle noiseuse" qui a connu un grand succès, Rivette choisit à nouveau Balzac, dont il parle ainsi : "c’est un écrivain que j’ai eu de la peine à lire…, je l'ai découvert une nuit d'insomnie… ce roman m'a converti, et m'a donné la clef pour lire l'ensemble de son oeuvre."

La mise en scène est impressionnante de justesse et de précision historique. Rivette avait dit : "On a très vite choisi de garder aussi précis que possible le contexte de cette histoire. Ce qui nous intéressait, même si cela peut paraître chimérique, était de transposer en termes cinématographiques l'écriture de Balzac". En dépit de la longueur du film, nous suivons avec un intérêt croissant les personnages magistralement interprétés par Jeanne Balibar et Guillaume Depardieu. Au vu de leurs joutes verbales cruelles, le spectateur devine qu’il n’y aura pas de vainqueur, mais reste rivé aux dialogues, à cette guerre des mots au cours de laquelle les deux protagonistes se perdent à en mourir. Rivette a perçu l’écriture de Balzac qui, selon lui, "joue sur des forces contradictoires qui génèrent comme un système d'explosion contenue : les longues phrases coupées par des incidentes, les changements de vitesse surprenants, cette façon de dire presque en passant les choses les plus importantes... Voilà pourquoi il faut effectivement lire Balzac mot à mot. C'est une écriture à trois dimensions."

Le réalisateur a transcrit tout cela en jouant sur le rythme des images et des mots, sur les prises de vue "en ellipse", les regards qui s’observent et se toisent, des moments où tout se fige. Cette fixité se répercute sur l’environnement et glace le spectateur d’effroi. Que signifie cette horloge arrêtée, qui fera manquer le rendez-vous, si ce n’est le destin de leurs amours ? Il y a aussi ce Général défait qui s’avance tel une masse abîmée qui n’arrive à se mouvoir qu’en claudiquant. Rivette, assisté du chef opérateur William Lubtchansky, excelle à magnifier les bleus, les rouges et les ors, le tout procurant l’effet d’une descente au tombeau. Il dénonce une époque où priment l’apparence, le souci de l’argent et du statut social, ce qui n’est pas sans rappeler notre monde présent. Comme habituellement dans ses œuvres, tout s’articule autour du complot sans toutefois tomber dans la catégorie du film sociologique.

Rivette a accompli une œuvre d’une très grande qualité dont la spécificité, peut susciter des approches différentes.

Pierre Nambot

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Ensemble c’est tout
Réalisé par Claude Berri, avec Audrey Tautou, Guillaume Canet, Laurent Stocker, Françoise Bertin… De 2007, durée : 1h37.

Affiche du film Camille (Audrey Tautou), anorexique, fait des ménages le soir dans les bureaux et, à ses moments perdus, s’adonne au dessin avec talent en représentant le monde comme si elle voulait le mettre à distance.

Jeune intellectuel aristocrate très timide, Philibert (Laurent Stocker), malgré une difficulté d’élocution, souhaite faire du théâtre. Dans le grand appartement familial qu’il occupe, il héberge Franck (Guillaume Canet), cuisinier, coléreux mais tendre, qui aime profondément sa grand-mère, Paulette (Françoise Bertin), une vieille dame fragile et drôle. Ces personnages vont se rencontrer, apprendre à se connaître et s’entraider.

Claude Berri met en scène une histoire linéaire, tirée du roman éponyme d’Anna Gavalda. Il nous présente des personnages qui semblent s’adonner maladroitement à un jeu de rôle. Enfermés sur eux-mêmes par incertitude professionnelle, jugements erronés, peur des sentiments ou manque affectif, ils commencent par s’interroger sur leur comportement respectif. Progressivement, ils s’affranchissent des codes comportementaux habituels qui les bloquent, se parlent et se livrent à des confidences. La confiance s’installe, non sans quelques vives explications, et ils en viennent à s’entraider tout naturellement. Camille arrive à dominer ses incertitudes et à s’engager avec Franck qui s’ouvre à l’amour, Philibert obtient un franc succès pour son premier one man show et Paulette est retirée de la maison de retraite pour mourir, comme elle le souhaitait, chez elle.

C’est un film dont la simplicité n’a d’égale que sa sensibilité. Le réalisateur redonne confiance en la vie et montre que le bonheur existe : ensemble nous pouvons surpasser toute renonciation, retrouver des raisons d’apprécier la vie jusqu’au moment ultime. Le quatuor d'acteurs fonctionne à merveille, l’interprétation est remarquable et les rôles parfaitement équilibrés. Cette œuvre est d’autant plus émouvante qu’elle reflète la vie du réalisateur qui, victime d’une dépression, a pu la terminer grâce à l’aide de François Dupeyron. Il s’agit aussi d’une lumineuse illustration du message biblique vis-à-vis de l’Autre.

Contrairement à beaucoup de films actuellement sur les écrans, « Ensemble c’est tout » apporte un rayon d’espoir.

Pierre Nambot

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