Numéro 208
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LÉglise et la Synagogue. Peinture sur bois. Période estimée entre 1150 et 1200. Zillis, Église Saint-Martin |
Homme priant au Mur des Lamentations. Les papiers entre les pierres comportent des prières. Photo DR. |
Dans les cercles de lAmitié judéo-chrétienne, la spécificité du dialogue judéo-chrétien relève de lévidence. Jésus nétait-il pas juif ? Le christianisme ne vient-il pas du judaïsme ? Et depuis sa naissance en 1947 le travail de dialogue accompli par des juifs et des chrétiens naccumule-t-il pas preuve sur preuve de cette spécificité ?
Pourtant, il ne faudrait pas prendre pour une évidence ce qui relève en réalité dun choix, dun travail intellectuel et dun approfondissement spirituel. En effet, si le dialogue judéo-chrétien est devenu très spécifique par rapport à dautres dialogues interreligieux, cest en raison dun investissement dans ce dialogue, pour des raisons diverses et variées selon les personnes : raisons historiques, raisons religieuses, raisons familiales. Pour certains chrétiens, la découverte de la Shoah et le questionnement quelle a ouvert sur la responsabilité historique des chrétiens et théologique du christianisme ont joué un rôle majeur dans ce désir dinvestissement dans le dialogue. Car après sêtre porté à lécoute de nombreux témoignages de la souffrance juive, ils nont pas voulu en rester à cette mémoire tragique, et ont désiré faire connaissance du judaïsme.
Alors le dialogue judéo-chrétien est né dune passion ou est devenu une passion ; passion qui parfois devient communicative, et parfois effraie, comme toute passion. En ce cas largument de raison consistant à invoquer la judéité de Jésus et lenracinement biblique et historique du christianisme dans le judaïsme ne suffit pas à convaincre de la spécificité du dialogue judéo-chrétien qui ne veut pas en être convaincu, ou qui est persuadé du contraire. Et les réticences peuvent provenir, soit dune difficulté à appréhender le judaïsme lui-même, soit plus largement dune réticence à dialoguer avec les autres religions quelles quelles soient.
Notre contexte multiculturel et le pluralisme religieux de nos sociétés peuvent faussement nous faire croire que louverture à lautre est devenue à la fois nécessaire et évidente. Or rien nest moins vrai, et sil ne veut pas rester dans le vu pieux ou son propre carcan religieux, le chrétien doit sinterroger en profondeur sur le regard quil porte sur lautre religion. Dans une conférence, donnée il y a plusieurs années, sur la relation du christianisme avec les autres religions, le professeur de théologie André Gounelle répartissait les attitudes chrétiennes devant les autres religions en quatre catégories. Il peut être intéressant de les rappeler aujourdhui :
Le christianisme sest vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et na jamais cessé de lêtre, ses disciples également. Le christianisme sest dabord développé à lintérieur du judaïsme. |
Ce rappel des attitudes chrétiennes face aux autres religions nous aide à découvrir la spécificité de la relation entre christianisme et judaïsme. Cette spécificité est liée à un paradoxe : le christianisme sest vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et na jamais cessé de lêtre, ses disciples également. Le christianisme sest dabord développé à lintérieur du judaïsme. Après la mort de Jésus, les premiers païens à devenir chrétiens sont devenus en fait juifs-chrétiens, avant que leur nombre et les exigences de la loi juive ne mettent en question la nécessité de cette entrée dans le judaïsme pour devenir chrétien. Ce débat est notamment présenté au chapitre 15 du Livre des Actes des apôtres, à lassemblée de Jérusalem que lon situe vers lan 5 1. Cest Paul, ancien pharisien converti au Christ, qui incarne ce tournant majeur où christianisme et judaïsme vont se séparer et bientôt sopposer violemment. Même si le souci de Paul pour les non-juifs nest pas en totale contradiction avec la préoccupation juive du sort des nations de la terre, sa prédication dun Évangile universel fera de lÉglise le nouvel Israël et de la Nouvelle Alliance laccomplissement de lAncienne. Ceci fondera la théologie de la substitution. Par ailleurs dès sa naissance, le christianisme a mené une ardente polémique contre la loi juive en lui opposant la grâce : seule la foi en Jésus assure le salut. À la génération de Paul, cet exclusivisme est dautant plus fort que lon croit vivre la fin des temps et que lon attend la parousie, cest-à-dire le retour du Christ. Même si la perspective de Paul est linvitation à la foi et non lexclusion, il sème avec zèle les germes du futur exclusivisme chrétien, qui ne voit aucun salut hors du Christ. De plus, la rédaction des quatre évangiles, qui sétale de lan 70 à lan 100, est profondément marquée par les conflits, de plus en plus aigus, qui opposent pagano-chrétiens, judéo-chrétiens et juifs. Entre les attaques contre les scribes, les pharisiens et les sadducéens, et la narration du procès de Jésus, les évangiles vont être parsemés des ingrédients propres à générer laccusation des juifs qui restera séculaire comme peuple déicide. Et plus tard, certains Pères de lÉglise enfermeront lAncien Testament dans un sens christocentrique, cest-à-dire quils linterprèteront exclusivement comme annonce du Christ. Dès lors, dans lhistoire chrétienne, il ny aura plus pour les juifs quune solution pour être sauvés : celle de se convertir. De siècle en siècle se transmettra un antijudaïsme alimenté par largumentation théologique et des décisions doctrinales et politiques discriminantes. Les juifs, rendus errants et misérables, seront présentés comme les témoins permanents de la malédiction de Dieu, leur sort relevant du châtiment divin pour navoir pas cru au Christ et lavoir tué. Pascal écrit encore dans Les Pensées : « Cest une chose étonnante et digne dune étrange attention, de voir ce peuple juif subsister depuis tant dannées, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et quil subsiste pour le prouver, et quils soit misérable, puisquils lont crucifié : et quoiquil soit contraire dêtre misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère... »
Cet antijudaïsme aura des répercussions sociales importantes en livrant régulièrement les juifs à la vindicte populaire dans les temps de crise ou de malheur, et ce dans presque tous les pays dEurope. Sil faut donc distinguer antijudaïsme et antisémitisme, lhistoire empêche de les séparer, et même sil a existé un antisémitisme avant et en dehors du christianisme, les thèses de lantijudaïsme chrétien, « lenseignement du mépris » comme la qualifié lhistorien Jules Isaac, ont été un terreau nourricier de lantisémitisme. Il note dans son livre Jésus et Israël que même la Réforme protestante, qui se caractérise pourtant par un retour à la Bible, et en particulier au texte hébreu de lAncien Testament, napporta pas de grand changement et continua de professer des thèses anti-juives.
Sur le plan théologique, il faudra attendre que le choc de la Shoah agisse sur les consciences, pour que des positions officielles expriment un revirement à légard du judaïsme. La naissance de lAmitié judéo-chrétienne en 1947 allait ouvrir une époque de connaissance mutuelle et de travail en commun, se donnant pour but de « travailler à réparer les iniquités dont les juifs et le judaïsme ont été victimes depuis des siècles, à en éviter le retour, et à combattre lantisémitisme et lantijudaïsme dans toutes leurs manifestations », tout en excluant « de son activité toute tendance au syncrétisme et toute espèce de prosélytisme » (article 2 des statuts). Pour lÉglise catholique, le concile Vatican II allait inaugurer un changement radical dans ses relations avec le judaïsme. Larticle IV du document Nostra Aetate, encore ambigu et insuffisant à bien des égards, franchissait cependant un pas immense en rompant avec les thèses séculaires de lantijudaïsme et en reconnaissant au peuple juif une vocation toujours actuelle. Pour laffirmer, il sappuyait sur cette parole de Paul dans lépître aux Romains 11,29 : « Les dons gratuits et lappel de Dieu sont irrévocables. » Les implications de cette ouverture allaient être importantes : non seulement la préparation des consciences à la démarche de repentance vis-à-vis du peuple juif, mais aussi laffirmation des racines juives du christianisme et du lien vivant et privilégié quil doit entretenir avec son « frère aîné ». Le Père Jean Dujardin, dans son livre LÉglise catholique et le peuple juif 1, relate tout ce parcours accompli en présentant les documents officiels qui en témoignent. Mais dautres implications se faisaient entrevoir dès le début, qui expliquent la réserve de beaucoup de catholiques et notamment des patriarches des Églises orientales : la mise en cause de lantijudaïsme séculaire entraîne une mise en cause de la Tradition, qui, dans le catholicisme, est une des deux sources de la révélation, avec la Bible.
Côté protestant, un grand travail a été également accompli depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans les différents pays dEurope. Entre 1996 et 2000, la communion ecclésiale de Leuenberg, qui réunit depuis 1973 les Églises luthériennes et réformées dEurope, a élaboré un document Église et Israël 2, dans lequel sont reconnues « les interprétations fautives de certaines affirmations et traditions bibliques », responsables pour une grande part de la malveillance des chrétiens à légard du peuple dIsraël. Le chapitre 11 de lépître aux Romains est également sollicité pour rappeler les racines juives du christianisme, la pérennité de lélection du peuple juif, et encourager les uns et les autres à la connaissance mutuelle et au dialogue. De ce fait la relation au judaïsme ne peut être considérée comme relevant du seul rapport externe du christianisme avec les autres religions, mais comme nécessaire à la compréhension interne que lÉglise a delle-même. Cette affirmation est essentielle et a des conséquences à la fois théologiques et ecclésiologiques majeures, car elle suggère quun christianisme qui voudrait effacer ou refouler son lien avec le judaïsme dhier mais aussi daujourdhui se trahirait lui-même.
Deux élèves menant
une dispute dans une yeshiva |
Tout en attendant les réponses du judaïsme à ce travail de réparation et de reconnaissance, le christianisme se doit de mener à bien le défi quil sest lancé concernant sa relation nouvelle au judaïsme.
Son premier devoir est dordre herméneutique et apologétique. Il sagit de faire en sorte que les avancées théologiques réalisées par les groupes de chercheurs soient communiquées à la base et aient un impact sur les esprits. Ceci se fait à travers la formation, la catéchèse, lenseignement biblique, la liturgie. Cest à ce niveau quil convient de rappeler un travail réalisé par une commission de lAmitié judéo-chrétienne de France sur lévangile de Jean : il sagit dune nouvelle traduction du mot « juif » dans lévangile de Jean, visant à remettre en contexte ce qui apparaît souvent à la lecture comme une accusation sans appel des juifs en général 3. Et une nouvelle commission examine maintenant les liturgies chrétiennes et les lectionnaires, avec ce même souci danalyse du rapport chrétien au judaïsme et de nouvelle pédagogie. Car cest au niveau de la vie des Églises et des communautés que se situe lépreuve de vérité. Y a-t-il un nouveau regard sur les juifs, sur le judaïsme, et en quoi le dialogue judéo-chrétien peut-il lenrichir ?
Cette question nous renvoie à deux autres questions :
Il y a donc aujourdhui un énorme chantier à réaliser pour faire connaître les fruits du dialogue judéo-chrétien, mais il faut réaliser que cette communication doit se faire au-delà même des Églises chrétiennes, dans lespace public. La télévision peut en être un outil performant, notamment le cadre des émissions religieuses du dimanche matin, qui sont très regardées par un public ne se rendant pas souvent aux offices, de même que sont écoutées les émissions religieuses sur France-Culture. Par ailleurs, lAmitité judéo-chrétienne prépare pour lautomne prochain une semaine qui concentrera un certain nombre de rencontres et dévénements. Mais lenjeu reste la sensibilisation de la jeunesse et la médiatisation auprès dun large public. Un exemple dynamique a été donné par lAmitié judéo-musulmane qui a su fêter joyeusement sa naissance il y a deux ans et organiser une sorte de tour de France.
Mais le travail théologique doit également se poursuivre pour comprendre la vocation dIsraël et du judaïsme telle que celui-ci la conçoit. Jusquà présent, les travaux réalisés côté chrétien ont veillé à rendre justice au judaïsme mais aussi à ce que cet acte de justice ne touche pas vraiment au cur de la révélation chrétienne. Or laffirmation que la relation au judaïsme ne relève pas dune relation extérieure mais affecte la compréhension que lÉglise a delle-même conduit obligatoirement le christianisme à se repenser lui-même par rapport au judaïsme.
Pour faire lexpérience de la vérité juive il ne suffit pas davoir abandonné les termes traditionnels et méprisants daveuglement et dendurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». |
Il nest de véritable dialogue judéo-chrétien qui ninterroge en profondeur la foi chrétienne, et qui ne comporte donc un risque pour elle. Le Cardinal Ratzinger, bien avant dêtre pape, déclarait dans son livre LUnique Alliance de Dieu et le pluralisme des religions : « La question demeure posée : la foi chrétienne, si on lui laisse sa gravité intérieure et sa dignité, est-elle apte, non seulement à tolérer le judaïsme mais, bien plus, à laccepter dans sa mission historique ? Ou bien en est-elle incapable ? Peut-il y avoir une réconciliation réelle, sans abandon de la foi, ou toute réconciliation est-elle liée à un tel abandon 5 ? » Et le Cardinal dénonçait le piège qui consisterait à relativiser les grandes affirmations christologiques pour faciliter le dialogue ou éviter les questions fondamentales. Ceci dit, poser la vérité de la doctrine chrétienne en préalable permet-il dopérer le renversement qui consiste à penser, non seulement le judaïsme par rapport au christianisme, mais également le christianisme par rapport au judaïsme ?
Affirmer lenracinement du christianisme dans le judaïsme relève dun travail historique et exégétique nécessaire et prometteur. Mais cela ne suffit pas à rendre compte de la fraternité interne et de la complémentarité des vocations juive et chrétienne aujourdhui. Nous ne pouvons rejouer de manière artificielle la scène primitive dune sorte de judéo-christianisme retrouvé, et qui balaierait à la fois vingt siècles dhistoire et la simple question de la vérité en théologie. Autrement dit nous ne pouvons faire comme si nous étions les premiers chrétiens de lhistoire ou du mythe. Mais si nous acceptons pleinement la question théologique que le judaïsme nous pose sur la révélation chrétienne, nous faisons lexpérience dune sorte de kénose 6 du christianisme, ou de nuit de la foi chrétienne, comme si nous ne savions plus rien du Christ. Cette proposition peut effrayer si lon en saisit les conditions et lenjeu, mais en même temps elle nous ramène au lieu dhumilité de la spiritualité chrétienne la plus profonde. Et nest-ce pas là que le christianisme a aujourdhui rendez-vous avec lui-même ?
Dans son dialogue avec le judaïsme il sagirait donc pour le christianisme dinterroger, dans une totale bonne foi, la non-conversion des juifs au christianisme, et la non-reconnaissance de Jésus comme Messie. Cette non-conversion et cette non-reconnaissance, au-delà des raisons historiques, sociologiques, religieuses, deviendraient un lieu théologique où le christianisme pourrait sinterroger lui-même et sur lui-même. Un lieu théologique où le christianisme, en faisant lexpérience de la vérité juive, ferait lépreuve de sa propre vérité, laquelle ne relève pas des catégories logiques du vrai et du faux, mais de la fécondité symbolique, spirituelle et éthique.
Mais pour faire lexpérience de la vérité juive il ne suffit pas davoir abandonné les termes traditionnels et méprisants daveuglement et dendurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». En même temps quils expriment le respect, ces deux mots font jaillir la grande question : quelle force de vérité, quelle promesse y avait-il à sauver, et à assurer, au point que pendant des siècles, à travers persécutions, exils, inquisition, extermination, cette fidélité juive perdure et maintienne vivants lhéritage et la transmission de la Parole du Dieu des Pères ? Le maître pharisien Gamaliel du Livre des Actes nous la enseigné, il ne peut être question seulement dun trésor humain ethnographique ou religieux à sauvegarder, car ce qui vient des hommes disparaît avec le temps. Or lenjeu de la fidélité juive est théologique : cest le maintien de la vocation juive au milieu des nations et pour elles. Et cela peut sexprimer justement en terme de lucidité le contraire de laveuglement attribué à la synagogue. Mais de quelle lucidité sagit-il ?
La naissance de la foi chrétienne a été baignée de la lumière eschatologique dun Christ ressuscité annonçant laccomplissement final des temps. Loin dêtre assignée aux questions de la cité politique et de lhistoire, lÉglise primitive a eu pour mission de préparer lavènement du Règne de Dieu. Les premiers chrétiens vivaient dans la perspective du Jour du Seigneur, cest-à-dire dun retour du Christ imminent. Les lettres de lapôtre Paul en témoignent suffisamment : ils étaient en marche pour le Règne de Dieu, et non pour traverser lhistoire ou même la faire, comme ce fut finalement le cas pour le christianisme.
Par rapport à cette vocation du christianisme qui doit témoigner de la lumière révélée dans le Christ, la vocation juive peut être comprise comme une vocation à la lucidité face au temps et à lhistoire. Alors la fidélité qui laccompagne se présente comme fidélité au Dieu présent dans lhistoire, et imprimant sa marque dans le temps par le don de la Torah et du chabbat.
Cest à entrer dans la compréhension de cette lucidité juive et de cette fidélité chabbatique que le chrétien est invité aujourdhui. Cela signifie quil prête pleinement attention à ce que le dépassement déclaré de la loi par la grâce la conduit à méconnaître : à savoir lintime et indestructible union entre la loi et la grâce. Mais sil peut satteler à cette tâche, qui est comme lapprentissage dun autre regard, cest en acceptant humblement que ce regard lui manque, et que tant quil lui manquera, il naura pas compris le judaïsme.
Aujourdhui, on peut penser que lexpérience de la vérité juive, ici traduite en termes de lucidité et de fidélité, offre au christianisme un lieu privilégié où il peut se ressaisir lui-même en revenant sur sa propre genèse et sa propre théologisation : comment est-on passé de la révélation chrétienne aux affirmations doctrinales, et comment aujourdhui opérer une lecture inversée des affirmations doctrinales à la révélation ? Le vis-à-vis de la pensée midrachique qui est commentaire et non systématisation peut constituer un nouvel outil pour repenser, différemment, la relation dinterprétation aux Écritures et à la révélation. De plus le rôle de la tradition dans le judaïsme interroge forcément celui quelle a dans le catholicisme, et quelle na pas dans le protestantisme. Et ce dernier devrait se sentir encouragé à réexaminer les grands principes mis en avant par la Réforme, à savoir « lÉcriture seule, la Grâce seule au moyen de la Foi seule ». De principes libérateurs nés dans un contexte violemment polémique, ne sont-ils pas devenus parfois des dogmes qui nous enferment dans une vision restrictive de la vie de lhomme avec Dieu ? Entrer dans la compréhension chabbatique, rencontrer vraiment lesprit de la Loi juive, pourrait nous permettre de découvrir « la loi de foi » comme la suggéré le Rabbin Rivon Krygier dans sa conférence du 5 juin 2006 à Montpellier : « Paul et Israël, du retranchement à la greffe ». Il y invitait juifs et chrétiens à « se dépêtrer de la doctrine unijambiste de la justification par la grâce seule ou par les uvres seules, pour célébrer conjointement, avec Paul et Hillel, celle de la loi de foi. Dès lors, disait-il, lÉglise pourrait se rattacher à une doctrine du salut par le Christ seul, comme la Synagogue au salut par la Tora seule sans se désavouer lune lautre puisque aussi bien, elles incluent en leur cur, en dénominateur commun, limpératif de lamour et lespérance de la délivrance, nourris de la conviction que nous sommes venus au monde, non pour y mourir mais pour y naître ». Alors il serait enfin possible, après tant de siècles, dabandonner la logique de dissociation quexprime le mot « retranchement » pour satteler à la logique dassociation pressentie dans le mot « greffe ». Enfin Paul le chrétien pourrait se réconcilier avec Paul le juif.
Intervention à lAssemblée générale de lAssociation Judéo-Chrétienne de France, le 22 mai 2005
Notes
1. Jean Dujardin, LÉglise catholique et le peuple juif, Un autre regard, Calmann-Lévy, 2003.
2. « Église et Israël, contribution des Églises issues de la Réforme en Europe sur les relations entre les Chrétiens et les Juifs » in Foi et vie, février 2002.
3. Les « Juifs » dans lévangile de Jean, Revue Sens 2004, no1/2.
4. Catherine Chalier et Marc Faessler, Judaïsme et christianisme, lécoute en partage, p. 33, Le Cerf, 2001.
5. Cardinal Ratzinger, Lunique alliance de Dieu et le pluralisme des religions, p. 17, éditions Parole et silence, 1999.
6. Ce terme désigne labaissement et le dépouillement du Christ dans lincarnation (NDLR).
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