Connu pour avoir été
à la fois lun des chantres du romantisme et de la démocratie
libérale, Benjamin Constant lest beaucoup moins pour ses
travaux sur lanthropologie religieuse, discipline dont il est
dune certaine façon le créateur et qui aura été
la grande passion de sa vie. Dès lâge de 18 ans,
il décide de satteler à cette question qui le hante
depuis longtemps : pourquoi, au cours de sa longue histoire, lêtre
humain a toujours été habité par ce quil
appelle le « sentiment religieux » ? Sa grande intuition
est de penser que la compréhension du phénomène
humain ne peut pas faire léconomie de celle de la religion.
Il ne se doute probablement pas que quarante années de travail
et de réflexion lattendent. Lintégralité
de son manuscrit ne sera publié quen 1831, après
sa mort, sous le titre : De la Religion considérée dans
ses sources, sa forme et son développement.
Né
en 1767 en Suisse où ses ancêtres français avaient
trouvé refuge à la suite de la Révocation de lÉdit
de Nantes, Benjamin Constant sinstalle à Paris en 1795,
quelques semaines avant linstauration du Directoire. Foncièrement
attaché aux acquis de la Révolution française,
il défend une voie moyenne à égale distance des
extrémistes royalistes et jacobins. Par crainte dun retour
en arrière, il soutiendra discrètement le coup dÉtat
du 18 brumaire, mais son opposition à toute forme de despotisme
le rendra vite suspect aux yeux de Napoléon : il est exclu du
Tribunat en 1802 et doit quitter la France.
Le retour forcé au pays natal lui donne loccasion de
retrouver Germaine de Staël avec qui il entretiendra une liaison
mouvementée jusquà leur rupture définitive
en 1808. En 1815, il peut enfin regagner la France et reprendre sa place
dans larène politique. Durant la Restauration, il apparaîtra
comme le grand apôtre du libéralisme et sopposera
avec force aux tentations passéistes de la monarchie et du catholicisme.
Libéral en politique, Constant lest également
en théologie. Sa prise en compte du sentiment religieux, quune
certaine dogmatique protestante a trop souvent feint dignorer,
le range dans la catégorie de ceux qui mettent en doute la révélation
ce qui nest pas son cas comme latteste son attachement
à lÉglise réformée et à sa
paroisse de Sainte-Marie à Paris où seront célébrées
ses obsèques. Comme le fait remarquer Tzvetan Todorov (Un chef-duvre
oublié, in De la religion, Benjamin Constant, Actes Sud, 1999),
la haute idée quil se fait du sentiment religieux le rend
suspect aux yeux des dévots autant quà ceux des
athées : « Pour B. Constant, lêtre humain ne
coïncide jamais entièrement avec lui-même. Il est
fait de sensations et dexpériences mais aussi dune
conscience de soi qui lui permet toujours de simaginer autre quil
nest, donc dimaginer un mieux en dehors de lui
La religion et lhistoire existent pour la même raison, à
savoir cette capacité quont les hommes de se transcender
eux-mêmes, dimaginer un ailleurs qui les pousse à
changer. » Détail qui a son importance, B. Constant ajoutait
que la religion navait dintérêt que dans laccueil
de lagir de Dieu : « Que les hommes ne se mêlent pas
de religion. Laissons-la à Dieu et à elle-même.
»
À sa volonté de comprendre le sentiment religieux dans
ses relations les plus complexes dun point de vue psychologique,
sociologique et culturel, B. Constant ajoute le souci dancrer
sa réflexion dans lhistoire des religions. Il distinguera
ainsi les religions « sacerdotales » quil critique
vertement des religions « libres » qui ont évidemment
sa préférence. Distinction que reprendra plus tard Auguste
Sabatier dans Les Religions dautorité et la religion de
lEsprit.
Geoffroy
de Turckheim