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Numéro 194 - décembre 2005
( sommaire )

Débattre

Antoine Bosshard, journaliste au quotidien Le Temps, en Suisse romande, nous livre quelques considérations historiques et géopolitiques sur l’identité de l’Europe, à propos d’un livre récent de Charles Coutel, inspiré par la candidature turque à l’Union européenne

Ré-Orienter lĠEurope

L'Europe, petit cap de l’Asie », remarquait un jour Paul Valéry. C’est un même regard que pose un tout petit livre sur la singularité de l’Europe, dont les racines – l’aurait-on oublié ? – sont d’abord orientales. Et pourtant l’usage, volontiers paresseux, l’identifie à l’Occident. Voilà une manière inhabituelle d’aborder notre relation avec la Turquie. Même si le propos de l’auteur dépasse – et c’est tant mieux – un débat que n’éteint pas la négociation entamée avec Ankara.

Détail de la Carte du                 monde en projection de Mercator

Détail de la Carte du monde en projection de Mercator, Londres 1599 d'Edward Wright

Avec Orienter l’Europe. La Turquie et nous (Éditions Pleins Feux, 2005, 79 p.), c’est une méditation singulière et profonde sur l’identité européenne que propose Charles Coutel, doyen de la Faculté de droit de l’Université d’Artois. Dans cet essai, inspiré par l’affaire de la candidature turque à l’Union européenne, l’auteur s’arrête sur l’appauvrissement insidieux du contenu des mots. Ainsi du terme « européen », volontiers confondu avec « occidental ». La nuance, sans doute héritée de la Guerre froide, peut paraître bien mince. Elle ne l’est pas, observe l’auteur : dans ce tour de passe-passe, on dérobe à l’Europe un aspect essentiel de son identité. On la dépouille de son passé, trempé d’influences arabes, turques, hébraïques, grecques. Escamotage que l’auteur compare à la tentative du théologien gnos-tique Marcion, qui réduisait la Révélation à quelques textes du Nouveau Testament, rayant du même coup tout ce que l’Ancien apporte d’essentiel et d’éclairant au message du Christ. Bref, en réduisant l’Europe à sa seule occidentalité, on fait l’impasse sur son étonnante hospitalité culturelle, susceptible de s’enrichir de celle des autres, sans aliéner pour autant sa propre identité. Tout au contraire : entendre l’autre est un moyen d’aller à la rencontre de soi. Telle est la leçon que ce prétendument « vieux » continent n’a cessé de donner, en dépit de la violence qu’il a pu infliger aux autres autant qu’à lui-même.

Ainsi, quand il raille « la vieille Europe », Ronald Rumsfeld, secrétaire américain à la Défense, réduit l’Europe à un morceau d’Occident. Dans une vision qui, partant de Washington, rassemble ses ouailles dispersées au gré des longitudes : les États-Unis bien sûr, mais encore l’Amérique centrale et du Sud, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Europe… Approche réductrice, chez un politicien qui ne perçoit pas que ce dialogue permanent entre l’ancien et le nouveau, et entre les cultures, a précisément empêché l’Europe de vieillir. En somme, note Coutel, le messianisme du discours américain remplace le temps historique : en dénonçant une « vieille Europe », il l’assimile à l’image du « vieil homme », que stigmatise le discours paulinien. Or ce mépris est une menace ; une tyrannie culturelle, qui fait l’impasse – voyez le pillage du Musée de Bagdad – sur « l’héritage cristallisé dans les mots, les textes et les œuvres d’art ».

La réflexion de l’auteur tourne ensuite sur le thème de la traduction, regardée au miroir du mythe de la Tour de Babel. La traduction s’avère nécessaire pour tenter de revenir à l’entente des hommes avant Babel. Sans y parvenir tout à fait. Car, on le sait bien, le texte de départ ne cesse de résister, par sa singularité, enrichissante. Tout se passe donc comme si l’Europe avait compris Babel ; elle se distingue par sa capacité de ne pas s’installer dans une culture unique et dominatrice. « L’Europe, dans sa quête infinie de soi, est son propre archéologue : elle renonce à la construction d’une Tour pour lui préférer l’image du Voyage (tra-duction), comme on le voit aux époques où le Tour d’Europe est un passage obligé pour tous les esprits éclairés. L’Europe est une traduction infinie de soi, reprise indéfinie de figures anciennes que l’on va s’efforcer de retrouver dans des contextes historiques nouveaux. » Notre continent, en conclut Coutel, est un lieu de civilisation « où les cultures se confrontent dans la quête d’une humanité commune ». feuille

Antoine Bosshard

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