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Numéro 180-181
août-septembre 2004
( sommaire )

Débattre

Christian Amphoux, un des intervenants des émissions Corpus Christi et L'origine du christianisme, se réjouit ici que leurs deux réalisateurs aient refusé tout esprit d'orthodoxie ecclésiale ou exégétique. Il ne regrette pas que la foi et la théologie en tant que telle n'interviennent pas dans une approche qui sollicite ainsi, sans parti pris ni prosélytisme, notre réflexion personnelle.

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur
De Corpus Christi à L’Origine du christianisme

En dix ans, deux cinéastes français, G. Mordillat et J. Prieur, sont devenus aux yeux des médias des experts sur l’histoire de Jésus et sur les commencements du christianisme. Les historiens s’étonnent, les exégètes râlent, les Églises s’inquiètent, mais les non-spécialistes et le grand public se sentent stimulés et envoient leurs essais gardés secrets ou refusés par les éditeurs, pour lecture, pour recevoir quelques encouragements à continuer, sans espérer des compliments : je pense qu’il faut se réjouir de leur initiative.

À l’approche de l’an 2000, les évangiles étaient encore la chasse gardée d’une élite reconnue par les Églises ; et cette élite avait abandonné les pistes de savoir les plus fondamentales, celles qui ne mènent pas à un profit ecclésial direct : fréquentation des lieux de culte, participation aux œuvres des Églises. Les recherches sur la vie de Jésus en étaient restées à cette grande énigme : sa vie fut courte et banale, puis il fut reconnu comme Dieu ; mais les prémices de cette divinité reconnue demeuraient invisibles. Les recherches sur l’histoire des évangiles étaient arrêtées : on se contentait de reproduire une vague théorie trop simpliste pour rendre compte de la complexité des livres, en distinguant une source de paroles et une autre de récits, plus ou moins confondue avec Marc. Enfin, l’idée même de s’informer sur les manuscrits et les variantes semblait un détour inutile, d’autant qu’il risquait d’entraîner des corrections de trajectoire dans un discours consensuel bien réglé…

Déjà, les livres de Jean-Paul Roux (Jésus, Fayard, 1989) et de Jacques Duquesne (Jésus, Flammarion – Desclée de Brouwer, 1994) sur Jésus avaient montré un début de contournement de la forteresse d’où sortaient des paroles d’autorité plutôt que les éléments d’un débat ouvert. Mais avec la télévision, les deux cinéastes vont beaucoup plus loin. Bien informés dès 1995 des écrits de cette élite, ils ont produit ces deux séries télévisées, l’une de douze et l’autre de dix films, après avoir interrogé individuellement une trentaine de chercheurs pour chaque série, en choisissant de préférence les voix les plus diverses de cette élite (ou supposée telle) et en faisant dire à chacun, devant un large public, ses questions, ses hésitations et le début de ses réponses, en général tronquées pour laisser la question au téléspectateur plutôt que lui asséner la « bonne » réponse.

Les questions étaient souvent originales : comment crucifiait-on au temps de Jésus ? Jésus avait-il des frères ? Ont-ils eu la tentation de constituer une dynastie après sa mort ? Ce sont de vraies questions, mais elles n’ont rien à voir avec la foi ni avec la piété, ni avec la théologie en tant que telle ; elles participent à l’étude de l’évangile comme livre plutôt que comme référence de la foi. Et telle est bien la perspective des deux cinéastes : l’intérêt des évangiles tient aussi à ce qu’ils sont étonnants de complexité ; ils ont un long passé : deux à trois générations ont contribué à leur écriture, davantage encore au témoignage des manuscrits. Alors, comme un Socrate muet, ils ont interrogé les Gorgias, Protagoras et Alcibiade de notre temps et mis en lumière, par leur parole, les ombres de leur écriture, avant qu’elle devienne définitive. Le résultat est parfois difficile à suivre, mais qu’importe, il ne s’agit pas pour eux de prendre la place des enseignants, mais seulement de rendre compte de cet enseignement, d’en montrer tantôt la rigueur, tantôt les faiblesses, tantôt les acquis, tantôt les doutes, et d’y associer des interlocuteurs imprévus, pour dire la diversité de la réception de Jésus, bien au-delà du seul visage que les exégètes tendent aujourd’hui à admettre.

Ces émissions originales ont été regardées par près d’un million de téléspectateurs chacune, en moyenne ; soit un total cumulé approchant les vingt millions. Cela montre qu’il existe une large demande pour en savoir davantage sur le sujet. Les personnes interrogées ont eu, selon le cas, le plaisir de découvrir de nouveaux experts avec lesquels on peut débattre, ou le déplaisir de voir émerger des concurrents de leur propre discours. Il ne faut pas s’étonner que ces émissions aient déplu à certains ; mais on n’est pas tenu de les suivre et l’on peut préférer le dialogue à la parole d’autorité. feuille

Christian Amphoux

De Gérard Mordillat et Jérôme Prieur :
Deux séries télévisées sur Arte :
Corpus Christi : enregistrement en 1995, diffusion en avril 1997 et 1998 ; parmi les intervenants : C. Amphoux, P.M. Boismard, P. Geoltrain, C. Grappe, P. Grelot, M. Hengel, J.P. Lémonon, D. Marguerat, E. Nodet, E. Norelli, Ch. Perrot, D. Schwartz, J.M. Sevrin, G. Theissen, E. Trocmé ; disponible en vidéocassettes ;
L’origine du christianisme : enregistrement en 2002, diffusion en avril 2004 ; C. Amphoux, P. Beatrice, P.A. Bernheim, F. Bovon, P. Fredriksen, P. Geoltrain, C. Grappe, M. Hengel, S. Légasse, J.P. Lémonon, E. Main, D. Marguerat, E. Nodet, E. Norelli, D. Schwartz, G. Stanton, F. Vouga ; disponible en DVD.
Deux livres au Seuil :
Jésus contre Jésus, 1999 ;
Jésus après Jésus, 2004.

 

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