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Numéro 175 - mars 2004
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Charles Wagner, l’inclassable (1852-1918)

L’œuvre de Charles Wagner est aussi abondante et diverse qu’originale. Un peu vieillis dans leur style, déconcertants dans certaines de leurs préoccupations, ses écrits mêlant intimement mysticisme et rationalisme, religion et citoyenneté, font preuve d’une étonnante modernité.Lorsqu’il inaugure le Foyer de l’Âme en 1907, Charles Wagner s’adresse d’abord aux passants de la rue : « Qui que tu sois, entre ici. Tu ne seras l’hôte d’aucune famille étroite. Tu seras l’hôte de Dieu et ton âme sera chez elle… Ici, on enseigne l’humanité. » Après 25 ans de ministère pastoral exercé dans différentes petites salles du quartier de la Bastille, le pasteur Wagner peut enfin installer sa communauté dans de vrais murs dont il a conçu l’architecture selon un étonnant mélange de classicisme et de modernité. Le Foyer de l’Âme sera construit grâce aux dons que Wagner a recueillis, entre autres aux États-Unis où il se rendit en 1904 à l’invitation du président Th. Roosevelt

Comme s’il voulait brouiller les pistes, il qualifie sa toute nouvelle paroisse d’Église réformée « évangélique libérale ». À l’heure où le conflit entre orthodoxes (évangéliques) et libéraux atteint son paroxysme, cette appellation relève à la fois de l’humour et de l’ironie. Comme Élie Gounelle ou Wilfred Monod, Wagner fait partie de ceux qui ne veulent pas accepter la division qui ronge l’Église réformée depuis les années 1850. Lors de l’assemblée de la dernière chance qui se tient en 1906, à Jarnac, il conjure les réformés de ne pas céder aux démons de la désunion. Peine perdue, comme on le sait. Après l’échec d’une troisième voie conciliatrice dont il est un des initiateurs, il se résoudra à rejoindre le synode libéral en 1916.

On pourrait penser que cette ouverture d’esprit cache une certaine absence de convictions. Il n’en est rien. Né en 1852 en Lorraine, fils de pasteur luthérien, Charles Wagner est profondément libéral. « Enfant du plein air », habitué à nourrir les vaches en revenant de l’école, il est attiré par Paris. La capitale représente chez lui comme l’espace de liberté qu’il recherche. Il y est appelé en 1883 par le Comité libéral parisien avec lequel il entretiendra par la suite des relations plutôt difficiles.

De son enfance rurale, Wagner gardera une âme profondément religieuse et même mystique. Sa lecture assidue de Tauler et d’Eckhart le confortera dans cette voie. En même temps, son libéralisme lui permet toutes les audaces. Sans pour autant tomber dans le syncrétisme, il n’hésite pas à prendre le meilleur de chaque tradition : « Je ne suis ni protestant, ni catholique, ni juif, mais un peu tout cela à la fois, non en sceptique qui rit de tout, mais en croyant qui croit plus que ce que contiennent les formules. » Peu soucieux des frontières de la stricte orthodoxie protestante, l’auteur de Devant le témoin invisible n’est pas indifférent à une certaine forme de théologie naturelle. Sur bien des plans, sa pensée rejoint celle d’Albert Schweitzer. Les deux hommes articulent de la même façon rationalisme et mystique qui, loin d’être contradictoires à leurs yeux, se complètent et se prolongent l’un l’autre.

Autre œuvre novatrice : le dialogue avec les grandes religions du monde dont il fut l’un des précurseurs en France. Là encore, Wagner fait preuve d’une audace peu commune à l’époque. Il organise des rencontres interreligieuses, accueille au Foyer de l’Âme le chef spirituel de la communauté baha’ie, alors pourchassée en Iran, et encourage la création de la synagogue libérale de la rue Copernic à Paris. Grand mystique devant l’Éternel, Wagner est aussi un grand laïc devant l’État. En pleine querelle sur la séparation Églises-État, le pasteur se met au service de l’Éducation nationale et rédige de nombreux traités. Le théologien se fait alors moraliste. Collaborateur officiel du Manuel général de l’instruction primaire, il forme plusieurs générations d’instituteurs à l’enseignement de la morale laïque dont on sait la place importance qu’elle tenait dans l’école de la République.

On l’aura compris, l’homme est inclassable et ne se laisse enfermer dans aucune étiquette habituelle. Allergique à la critique et à l’anathème, il est un bâtisseur. Disciple de Celui qu’il appelait « l’homme en qui vivait Dieu », son libéralisme est naturel et s’inscrit dans une histoire à la fois personnelle et communautaire. En dépit d’un style qui peut nous paraître aujourd’hui un peu vieilli, les nombreux écrits qu’il nous a laissés dégagent une profonde spiritualité, susceptible en cela de répondre aux aspirations les plus contemporaines. feuille

Geoffroy de Turckheim

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