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Numéro 219
Mai 2008
( sommaire )

Repenser

Après l’Incarnation (n°217, mars) et la Croix (n°218, avril), voici un autre article nous aidant à penser un christianisme pour aujourd’hui.

Évoquant les dérapages causés par certaines compréhensions du péché, Jean-Marie de Bourqueney se demande s’il ne serait pas judicieux de le ressaisir à travers la notion de fragilité

Le péché

Au pays des mots « chargés », celui de péché serait sans doute le roi. Aujourd’hui, la simple évocation de ce mot fait frémir… ou sourire en le repoussant d’un revers de la main. Faut-il alors l’abandonner, au juste prétexte qu’il est générateur de culpabilités ? Dans le protestantisme libéral, et dans notre journal, nous insistons sur la « Liberté ». Je crois que nous avons raison. Or, le mot de péché est ressenti comme l’antinomie d’un discours moderne et libre, mettant en avant l’humain. La principale réussite de ce mot, dit-on, est d’avoir rempli les cabinets de psy…

Déjà avec St Augustin (354-430), on dérape. Nourri au néo-platonisme qui faisait du corps une prison et le siège de toutes les passions négatives, il mit au point un concept qui fit un malheur : celui de « péché originel ». Voulant peut-être régler un compte avec sa mère, Monique, il ajouta même que celui-ci se transmettait par les femmes… Encore aujourd’hui nous relisons fréquemment le texte de Genèse 3 à la lumière de ce dogme qui n’a rien de biblique. De plus, on donne à l’Église, comme pourvoyeuse de sacrements, un pouvoir de contrôle des âmes et des destinées.

Au Moyen Âge, on combattit le péché comme désordre, comme maladie atteignant le corps social et ecclésial. Les hérétiques et autres sorcières sont brûlés pour guérir la société et maintenir l’ordre. Le péché revêt un caractère de menace contre la communauté. Ce fut un second dérapage…

Le troisième dérapage fut sans doute celui du puritanisme du XVIIe siècle, auquel il faut associer l’école française de spiritualité et le jansénisme. Désormais, c’est essentiellement à la morale que le péché sera relié. Nous sommes encore les héritiers de cette dérive. Confesser ses péchés, c’est avouer ses petites « fautes »… La religion renforce son contrôle moral et va chercher à modéliser les comportements. Dans la compréhension catholique, la culpabilité se définit par rapport à une instance extérieure et normative, l’Église, qui dit le bon et le mauvais. Dans la culture protestante, la culpabilité se mesure par rapport à la conscience personnelle, une sorte de Jiminy Cricket qui ne cesse de murmurer à l’oreille : « Tu peux mieux faire… »

À partir de ce lourd héritage, on peut comprendre que nos contemporains se méfient de ce terme de péché. Il évoque la part d’ombre des religions : le discours imposé, la normativité de la pensée et des choix de vie, le poids de l’institution qui juge… Bref, tout ce qu’abhorrent les protestants libéraux. Mais doit-on laisser le monopole de l’interprétation des mots bibliques aux magistères dont nous refusons l’autorité ? Il y a sans doute un autre chemin, plus fidèle aux sources bibliques et résolument plus moderne. Au fond que vise la notion de péché dans la Bible ? À nous parler de la condition humaine. Il ne s’agit pas de culpabiliser l’être humain, mais au contraire de le libérer. Traduire le mot de « péché » par celui de « fragilité » m’apparaît comme une voie possible pour réconcilier péché et déculpabilisation.

Cela a plusieurs conséquences :

– Cette notion est liée à la condition humaine et non aux « fautes morales ». Elle permet de sortir l’être humain de son éternelle frustration à vouloir toujours plus, à vouloir être tout-puissant. Chaque humain étant fragile, il n’a pas à se culpabiliser de ses failles. Il doit apprendre à vivre avec. La psychanalyse rejoint ici les intuitions bibliques.

– En acceptant la fragilité de l’être humain, on le rend faillible. Cela donne une grande humilité face à la Vérité. Nul être humain, nulle institution ne peut avoir une prétention à détenir ou à énoncer la Vérité.

– Le pardon est alors considéré comme un processus dynamique. La reconnaissance de sa propre fragilité est un apprentissage, un apprivoisement de sa propre existence.

Ne laissons pas le christianisme se dévoyer plus encore dans un discours de culpabilité. Notre époque a besoin d’une théologie qui rejoigne nos questions. La fragilité nous invite à être humbles… mais non pas modestes ! feuille

Jean-Marie de Bourqueney

 

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