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Numéro 215
Janvier 2008
( sommaire )

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L’idée de « vie après la mort » a beaucoup évolué au fil du temps et l’expression « vie éternelle » fait partie des notions qui posent problème dans la perception que nos contemporains ont du christianisme. Raphaël Picon présente une conception nouvelle de cette vie éternelle, en référence à la théologie du Process.

Croire en la vie éternelle

Dans sa Somme Théologique (questions 69-99) le théologien du XIIIe siècle Thomas d’Aquin explique qu’après leur mort les âmes siègent dans différentes « demeures » : l’enfer, le purgatoire, le paradis. Ces lieux sont chronologiquement simultanés et géographiquement distincts. Le sort final de la personne n’est pas lié à une transformation de l’univers, mais il est le résultat d’un parcours individuel d’un lieu à un autre, du purgatoire au paradis ou d’une installation en enfer pour l’éternité. Le Réformateur suisse Pierre Viret au XVIe siècle fustigera déjà cette représentation de l’au-delà en dénonçant ces «remuements et transports d’âmes d’étage en étages, de logis en logis».

La pastorale de la peur

Cette représentation spatiale de l’au-delà a eu l’impact que l’on sait. Constitutif d’un imaginaire tenace, cette représentation de l’après vie fut un formidable moyen de promouvoir une véritable pastorale de la peur consolidant l’autorité d’un clergé rendu médiateur des conditions d’accès au paradis, à travers notamment les indulgences et les messes pour les morts.

Ce thème de l’au-delà ne constitue plus aujourd’hui, pour de nombreux chrétiens, un article de foi normatif et structurant dans leur foi et l’expression qu’ils en donnent. L’idée même d’un salut post-mortem semble avoir perdu de sa saveur, de sa vitalité. Certains la considèrent comme un mythe, au pire comme un reliquat de superstition. Cette conception spatiale du salut serait nuisible, surchargeant de croyances inopportunes le message des évangiles. Pire, elle le rendrait peu crédible aux yeux de nos contemporains. La croyance en l’au-delà semble avoir subi le destin de nombreux autres articles ou éléments de la dogmatique chrétienne : être passés du stade de la vérité intangible et normative, à celui du vraisemblable optionnel, puis finalement, dernier stade : celui d’intéressant pour celles et ceux qui daignent… s’y intéresser encore.

Ce destin s’accompagne au niveau de la foi d’une rationalisation du croire et d’un certain désenchantement. Croire ce que nul ne peut expérimenter ni raconter est devenu insatisfaisant, voire impossible. La foi semble dès lors toujours plus impatiente de raison, d’explications et de savoir. C’est la nature même du croire qui se trouve alors transformée. Là où traditionnellement nous opposions, à juste titre, croire et savoir, il semblerait aujourd’hui que le croire ne tienne que s’il se trouve conforté par un système explicatif, voire par un savoir qui lui donnerait une raison et donc… raison.

Un Dieu mémoire de l’humanité

Toute caduque qu’elle soit pour beaucoup d’esprits rationnels, devrions-nous pour autant renoncer à la croyance en la vie éternelle ? Relevons déjà que l’Évangile lui-même, à travers ses innombrables récits de miracles et de guérisons, laisse la part belle au surnaturel, à la démesure et au merveilleux, bref à tout ce qui dérange ces mêmes esprits rationnels. L’Évangile met ici en question nos définitions souvent très sages et minimalistes de la résurrection (la résurrection, c’est d’être chaque matin remis debout), du salut (le salut, c’est la santé). C’est sans doute pour faire le poids face au scandale de la mort que se trouve convoquée l’intensité spectaculaire de la prédication de Jésus.

Croire en la vie éternelle, ne serait-ce pas croire que tout ce que nous sommes et que tout ce que nous avons été ne se perd jamais en Dieu ? Dieu serait dans cette perspective la grande mémoire de l’humanité et du cosmos dans sa totalité. Tout est intégré en Dieu car ce que nous sommes l’influence et l’affecte.

Le théologien du Process, John Cobb, écrit ceci : « Alors que l’âme humaine, ou la personnalité, est une succession d’expériences, Dieu est un processus sans fin d’intégration de tout ce qui arrive. Dieu est donc toujours en train d’éprouver toutes les expériences des créatures qui sont venues à l’existence. Alors que, pour nous, éprouver de manière forte certaines de ces expériences signifie en exclure beaucoup d’autres, pour Dieu ce type d’exclusion n’est pas nécessaire. Alors que le processus temporel se caractérise par la substitution constante d’un ensemble d’accomplissements par un autre, Dieu éprouve tout ce qui a été dans la plénitude de son immédiateté. Et donc, ce qui est passé dans le monde vit sans fin en Dieu, ce qui est perdu dans le monde est vivant en Dieu. »

La présence et l’action de Dieu dans le monde sont en partie déterminées par la réponse que nous-même avons préalablement donnée à cette présence et à cette action.

Imaginons le cas d’un homme qui participe à un culte et qui est touché par la prédication ou par tel ou tel élément de la liturgie. En répondant positivement à l’Évangile, cet homme peut être conduit à repenser sa propre vie ; le récit qu’il peut se faire de sa propre existence se trouve alors transformé. L’Évangile pénètre son passé à travers la réponse présente que la personne fait de l’écoute de cet Évangile. Le Christ devient alors une part de son passé personnel. Dire de Dieu qu’il réagit à ce que nous sommes, revient, dans ce cas précis, à dire que Dieu est lui-même affecté par la réponse de cet homme, c’est ainsi que celui-ci se trouve intégré en Dieu et qu’à travers ce jeu d’intégrations réciproques, de nouvelles possibilités d’existence sont offertes tout autant à l’homme qu’à Dieu. Désormais, les choses seront différentes, car non seulement l’homme réagira autrement à l’annonce de l’Évangile mais Dieu lui-même évoquera pour lui autre chose et se révèlera ainsi autrement pour lui.

L’éternité est précisément cette part de nous-même qui se trouve intégrée en Dieu et qui, en partie, détermine en retour l’action et la présence de Dieu.

Nécessaire utopie

L’action salvatrice de Dieu se confond avec son action dans le monde. Cette action entend promouvoir un monde « en Christ », un monde qui tire son identité de la présence créatrice de Dieu, un monde constamment transformé et ouvert vers l’avenir. La finalité du salut ne viserait donc pas la constitution d’un monde fini, parvenu à son accomplissement. L’image du Royaume de Dieu ne sert pas à nourrir la promesse d’un monde parfait, mais bien plutôt à stimuler l’activité transformatrice de chacune et de chacun. L’image du « Royaume de Dieu » relève ainsi d’une dimension utopique et dynamique. Elle désigne une sorte de « non-lieu » devant rester irréel pour précisément nous motiver toujours plus. Dans ce sens, l’accomplissement du « Royaume » serait la contradiction même de ce que vise le salut : un monde fini, sans perspective autre que son propre maintien en l’état.

De même que l’action de Dieu transgresse les frontières habituelles entre les mondes végétal, minéral, humain et animal, de même l’activité du salut s’applique à la totalité du réel. Chacune de ses composantes, à travers les transformations créatrices dont elle est objet, est travaillée par l’action salvatrice de Dieu.

Ce qui nous a fait vivre, ce qui a structuré notre existence, ce qui nous a tenus nous dépasse et nous survivra. Ce qui est divin pour nous ne meurt pas, nous survit et relève de l’éternité. Ce qui a tenu Jésus, ce qui a motivé son ministère, ce qui a profondément structuré son existence, ce pourquoi il est mort, lui a survécu. C’est cette part de divin, de spirituel, d’immatériel qui subsiste, malgré tout, dans un au-delà et une éternité qui nous saisit plus que nous ne la saisissons.

Nos propos rappellent l’extrait de cette prière retrouvée dans les papiers du pasteur Charles Wagner (1852-1918), après sa mort. « Et de ce que j’aurai été, moi, pauvre apparence, ignorée de moi-même et réelle en toi seul, tu feras ce que tu voudras. Ta volonté est mon espérance, mon lendemain, mon au-delà, mon repos et ma sécurité. Car elle est vaste comme les cieux et profonde comme les mers ; les soleils n’en sont qu’un pâle reflet et les plus hautes pensées des hommes n’en sont qu’une lointaine image. En toi je me confie. À toi je remets tout. » (Charles WAGNER, Devant le témoin invisible, 1918). feuille

Raphaël Picon

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