On cite souvent une parole très
émouvante de Jésus dans lévangile de Jean
traduite par : « Il ny a pas de plus grand amour que de
donner sa vie pour ceux quon aime. » (15,13). Personnellement,
comme je naime pas le sacrifice, cette phrase ma toujours
choqué. Mais sagit-il vraiment dans le texte de donner
sa vie ? Le texte porte seulement : exposer sa vie (gr. thè,
de tithèmi, poser). La Vulgate utilise de même ponere,
poser. Dexposer sa vie à donner sa vie, il y a une différence.
Par exemple, si quelquun venait à tomber à leau
et risquer de se noyer, une preuve dintérêt ou damour
pour lui serait de plonger pour le repêcher, au péril de
sa vie. Mais pas forcément de se noyer soi-même. Les autres
ont-ils toujours besoin de notre propre sacrifice ? Ils peuvent aussi
avoir besoin de nous avoir en vie, à leurs côtés,
pour continuer à les aider.
Cela séclaire aussi de la parabole johannique du bon
berger (10,11-13) : « Je suis le bon berger. Le bon berger expose
(tithèsi) sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, qui nest
pas le berger, et à qui nappartiennent pas les brebis,
voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite ; et le
loup les ravit et les disperse. Le mercenaire senfuit, parce quil
est mercenaire, et quil ne se met point en peine des brebis. »
Le bon berger ne donne pas sa vie, comme on traduit souvent ici, et
qui dans le contexte serait absurde, car il laisserait les brebis sans
aide. Il lexpose ou la met en jeu seulement, et il lui suffit,
comme le dit la fin du texte, de se mettre en peine pour elles. Mais
les versions doloristes et sacrificielles de ce genre de texte ont ici
un énorme poids, contre lequel il est très difficile de
lutter. Elles sont apparues très tôt. La preuve en est
lexistence dans certains manuscrits dune variante pour le
tithèsi, il expose : didôsi, il donne.
Peut-être aussi, plus radicalement, pourrait-on interpréter
non pas littéralement, mais symboliquement certaines paroles
de Jésus, comme : « En vérité, en vérité,
je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre
ne meurt, il reste seul ; mais, sil meurt, il porte beaucoup de
fruit. » (Jn 12,24) Peut-être, hors du contexte où
elle figure, où elle a pu être insérée a
posteriori, et qui est lacheminement de Jésus vers sa Passion,
cette phrase pourrait-elle nous dire que nous devons, non pas mourir
effectivement, mais dans nos vies renoncer à notre petit ego,
à notre petit moi, pour nous ouvrir à plus grand que nous-mêmes,
à dautres scénarios qui dépassent nos seules
prévisions, nos mesquins et petits calculs. Bref, comme dirait
C. G. Jung, passer du soi, au Soi. En somme, mourir à nous-mêmes,
pour renaître, naître en nous à plus grand que nous-mêmes.
Ce peut être là une autre version du sacrifice, assurément
plus humaniste que la littérale.
par Michel
Théron
Ce texte est extrait de louvrage de
Michel Théron « Théologie buissonnière »
(cinquante mots-clés de culture religieuse)