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Numéro 213
Novembre 2007
( sommaire )

(Re) lire

« Plaisir de lire, joie de relire », disait Jules Renard. Dans une série d’articles, A. Gounelle présente des livres qu’il aime, et qu’on trouve encore en librairie. Ceux qui le connaissent ne s’étonneront pas qu’il commence par Tillich, dont il est un spécialiste et dont il a traduit en français plusieurs ouvrages.

Le courage d’être de Paul Tillich

Je me souviens de ma découverte de ce livre. Je l’avais pris dans un train pour occuper de longues heures de voyage (le TGV n’existait pas encore). Je devais changer à Avignon, et ce que je lisais m’a tellement absorbé que j’ai failli (c’est bien la seule fois de ma vie) oublier de descendre pour ma correspondance. Pourtant, il s’agit d’un livre plutôt austère. Il présente ce paradoxe : il contient quelques pages qui sont parmi les plus difficiles que Tillich ait écrites, et aucun de ses ouvrages n’a eu autant de succès et de retentissement. Plus de cinquante ans après sa parution, il n’a rien perdu, en tout cas pour moi, de sa fascination.

Il se fonde sur une expérience toute simple : la vie demande des efforts et des combats continuels. Chaque jour, nous travaillons et luttons contre nous-mêmes, contre les autres, contre le cours des événements. Nous sommes continuellement agressés. Sur le plan physique, par la maladie et la mort ; nous ne maintenons notre existence qu’à condition de l’entretenir, et, un jour, inéluctablement, elle nous échappera. Sur le plan moral, par la faute ou la culpabilité ; nous avons plus ou moins conscience de ne pas être et de ne pas faire ce que nous devrions, de n’être pas à la hauteur. Sur le plan spirituel (c’est-à-dire en ce qui concerne le sens), par l’absurdité ou le non-sens ; la modernité augmente notre impression de mener une vie de fou dans un monde déboussolé. La mort, la faute et l’absurde, voilà les trois formes principales que prend ce que Tillich appelle le « non-être », par quoi il faut entendre non pas le vide, le manque, ou l’absence d’être, mais ce qui agresse notre être et essaie de le dégrader avant de le détruire.

Et pourtant, nous vivons ; jour après jour, nous affrontons ces forces négatives, nous leur résistons, nous ne les laissons pas nous submerger. Vivre demande du courage, le courage de ne pas s’abandonner, de ne pas démissionner, d’aller de l’avant, ce que Tillich appelle « le courage d’être ». D’où vient ce courage ? Pas de nous-mêmes et pas non plus de la collectivité. L’individualité et la communauté ne sont certes pas négligeables et nous puisons en elles des ressources, mais elles sont limitées et insuffisantes. Plus profondément, ce courage s’enracine dans une transcendance, il vient d’ailleurs, de Dieu.

N’imaginons cependant pas, avec une religion sincère mais simpliste, que Dieu verse en nous ce courage comme une pompe à essence verse du carburant dans un réservoir d’automobile. Il faut penser Dieu autrement (sinon la foi ne résistera pas), non pas comme extérieur à nous, ni comme identique à nous, mais comme cette puissance d’être, cette puissance pour la vie, qui nous habite et agit en nous sans se confondre avec nous. Il faut penser Dieu « au-dessus de Dieu » c’est-à-dire au-delà des doctrines, des images et des rites qui servent à l’exprimer et qui n’ont de vérité et de puissance que si on y voit des symboles de cet Ultime qui nous dépasse, tout en demeurant en nous.

Dans mon train en 1967, je lisais une traduction due au Père Chapey, qui devait devenir plus tard un ami personnel ; il n’a jamais cessé de se battre, en particulier contre la torture et pour un christianisme intelligent. En 1999, une autre traduction (Cerf, Labor et Fides, Presses de l’Université de Laval) a été publiée par un de mes anciens étudiant québécois, J. P. LeMay, qui, après que la faillite de l’entreprise où il travaillait l’ait mis sur le pavé avec femme et enfants, a entrepris des études de théologie qu’il a poursuivies jusqu’au doctorat. Le courage d’être, qui en dernière analyse se confond avec la foi, est une expérience avant d’être cette réflexion que Tillich mène avec beaucoup de rigueur intellectuelle, avec un sens spirituel aigu, et en s’appuyant sur une culture étendue (le livre fourmille d’analyses historiques éclairantes et d’allusions à la littérature et à la peinture). feuille

André Gounelle

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