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Numéro 204
Décembre 2006
( sommaire )

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Noël est une fête à visages multiples. Son origine païenne de fête de la nouvelle lumière a été éclipsée par la fête de la naissance du Christ, puis, de nos jours, par une débauche de consommation de toutes sortes. Malgré cette dérive, dont on pourrait se désoler, Raphaël Picon trouve bien des qualités à cette fête et à la joie qu’elle apporte.

Noël : les raisons d’un succès

Beaucoup se demandent si la fête chrétienne de Noël n’est pas irrémédiablement abîmée par l’excès de consommation auquel elle donne lieu. Celui-ci serait d’autant plus choquant qu’il contrasterait de manière flagrante avec le dénuement et l’authenticité de la scène originelle à laquelle la fête renvoie : la naissance de Jésus. Ce contraste souligne, à lui seul, la profonde laïcisation dont Noël est l’objet. De païen qu’il était, comme fête du solstice d’hiver et de la lumière renaissante, le Noël religieux serait redevenu païen, tel un juste retour des choses… Mais au lieu de s’arrêter à ce constat ou de sombrer dans une désolation culpabilisante et stérile, ne pourrions-nous pas reconnaître, derrière les raisons du succès de cette fête, la spiritualité toute laïque et profane du Noël contemporain ?

Un christianisme en fête

Il convient déjà de se réjouir que le christianisme ait donné au monde une fête populaire d’une telle ampleur. Jésus n’a-t-il pas commencé son ministère public en se rendant à une fête de mariage, qu’il a sauvée de l’ennui en changeant l’eau en vin ? La fête fut à Cana, comme elle l’est toujours, une occasion de résister à la tristesse, d’embellir le monde, envers et contre tout, de le rendre plus harmonieux, plus jouissif. Le geste inaugural de Jésus qui, à sa manière, annonce déjà la résurrection et la victoire de la vie sur la mort, met en question ceux qui voient dans le christianisme une condamnation du plaisir et qui le brocardent comme religion de la frustration et de l’interdit. Jésus est d’abord identifié dans l’Évangile comme celui qui transforme de l’eau en vin ; le christianisme commence par une belle fête où le plaisir et la joie sont de mise.

Une douce régression

Du fait de la nativité, Noël est pour beaucoup la grande fête de l’enfance. Derrière l’enfant fêté, qui se retrouve parfois symboliquement associé à l’enfant Jésus de la crèche, c’est l’enfance que chacun de nous peut retrouver en lui-même et rappeler à ses bons souvenirs, qui peut être fêtée. Comme le remarque Laurent Gagnebin dans son ouvrage Pour un christianisme en fêtes (Église réformée de la Bastille, 1996), Noël fonctionne comme un rite de passage inversé sur le plan temporel. On ne va plus de l’enfance vers l’adulte, mais de l’adulte vers l’enfance. Cette dimension légèrement régressive de la fête est sans doute l’une des raisons de son succès contemporain. Ce passage vers l’enfance allège en effet, le temps d’une fête, le poids que représentent pour beaucoup les obligations sociales à la responsabilité, à la maîtrise, au sérieux. Autant d’exigences que le réveil de l’enfant qui sommeille en chacun met délicieusement entre parenthèses…

La féerie d’un instant

Autre raison du succès de Noël : son enchantement. Celui-ci passe par une théâtralisation parfois prononcée de certains objets censés signifier la fête elle-même : lumières, nourriture, cadeaux, etc. « Tout est théâtral dans Noël, écrit le sociologue Isambert dans Le sens du sacré (Paris, éd. Minuit), depuis le petit théâtre de la crèche jusqu’à l’apparition de l’arbre, toutes autres lumières éteintes… Le ciel étoilé pénètre dans la pièce où le sapin s’illumine ; l’intimité se concentre au pied de l’arbre de lumière, cependant que le plafond et les murs oubliés laissent s’échapper l’imagination aux extrémités du monde pacifié. Alors l’enfant prête ses yeux et le cadeau devient merveille, profusion inépuisable. Le rêve s’est fait chair. »

Cet enchantement est d’autant plus fort qu’il recrée, l’espace d’un temps très bref, un monde qui apparaît lui-même comme un monde enchanté ou, du moins, pacifié et plus harmonieux. Ne parle-t-on pas à cette occasion de la « trêve des confiseurs » ? Un film récent, Joyeux Noël, rappelait un épisode émouvant de la guerre 14-18 : des soldats français, anglais et allemands, sortant de leurs tranchées respectives pour fêter Noël ensemble ; miracle de paix et de vie tout aussi majestueux que dérisoire. Cette pacification est peut-être d’autant plus démonstrative et exubérante qu’on la sait fragile ou même fictive. La fête de Noël fonctionne socialement comme un masque carnavalesque qui transfigure le monde et ses champs d’horreur en théâtre de joie. Toute fictive qu’elle soit, la mise en scène de ce bonheur, à l’instar du carnaval, entend faire croire que l’humanité est capable de générosité, d’amour partagé et de paix. Noël ne veut-il pas nous faire croire que le Père Noël existe ?

De l’intime à l’universel

Cet enchantement contribue aussi à donner à la fête une dimension mystérieuse et magique, qui va teinter en retour notre manière de nous référer à l’événement religieux auquel la fête renvoie. Il y a là, en effet, une étonnante collusion entre l’enchantement de la fête du Noël laïque et une certaine compréhension de l’incarnation, pensée comme le mystère d’un Dieu qui, se faisant homme, ré-enchante le monde lui-même. Relevons d’ailleurs que là où la fête de Noël nous replie sur notre propre enfance, elle est aussi porteuse d’une dimension plus universelle. Ce n’est pas seulement l’enfant, mais l’enfance, ce n’est pas seulement ma famille, mais la famille, ce n’est pas seulement la maison qui est décorée, mais la ville dans son ensemble. Le message théologique de Noël, compris comme fête de la naissance d’une parole de salut, dit bien quelque chose de l’incarnation qui concerne chacun et l’humanité tout entière. Comme le relève le théologien Gérard Delteil, dans un article qu’il consacre à cette fête (Études théologiques et religieuses), Noël se situe dans cette tension entre, d’un côté, le repli sur soi, le resserrement des liens du foyer, l’intime, et, de l’autre côté, l’ouverture des frontières séparant les hommes, la vision d’une humanité réconciliée.

La grâce du don

La fête de Noël, remarque encore Gérard Delteil, peut aussi être interprétée comme une véritable mise en scène du don du ciel. Le cadeau, et plus généralement ce qu’il signifie : l’attention, la bienveillance, la générosité, se trouve ici au cœur de la fête. Ce cadeau, parce qu’il est offert systématiquement, à date commandée, de manière non conditionnée, apparaît toujours comme étant un peu plus que le cadeau lui-même. Il fait signe d’une bienveillance qui nous dépasse, d’une générosité qui nous comble indépendamment de nous, tel un écho à la notion même de grâce. C’est encore plus probant lorsque le cadeau est anonyme, avec la fameuse croyance au Père Noël. Comme l’écrit Delteil, celui-ci apparaît comme le « donateur légendaire, qui préserve cette origine céleste du cadeau et lui confère une apparence féerique ». Isambert, ajoute que ce cadeau est le signe d’une « merveilleuse abondance gratuite exceptionnellement offerte ».

Retenir le temps qui passe

Noël, avec le cortège de souvenirs qu’il porte en lui, sert bien souvent de repère dans le déroulement de notre propre histoire. Que faisions-nous à Noël dernier ? Comment le passions-nous, enfant ? Et comment oublier tous ces proches, aujourd’hui disparus, que nous aimions retrouver alors ? La fête de Noël s’apparente ici à une fête d’anniversaire, par sa capacité à retenir le temps qui passe. À quelques jours de l’achèvement de l’année civile, c’est bien la continuité de la vie familiale et sociale qui se trouve ici réaffirmée. Mais c’est aussi, à travers le don, la dépense, l’exubérance, une manière de s’affirmer, de se montrer, de se donner, et de conjurer par là même une certaine angoisse liée à la fuite du temps, à l’inconnu de l’avenir.

Fêter Noël, donner raison à son succès, ne doit pas faire oublier le malaise profond que la fête peut aussi engendrer. La débauche de consommation, le caractère absurde des fêtes obligatoires, l’effroyable sentiment de solitude que ces festivités sociales peuvent produire, sont autant de trouble-fêtes qui gâchent l’événement. Il n’en demeure pas moins qu’à travers la nature tout ambiguë et paradoxale de la fête, Noël reste une invitation à croire en la possibilité d’un enchantement et en la promesse d’avenir et de nouveauté que porte en elle toute nouvelle naissance. feuille

Camille Jean Izard

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