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Numéro 200 - Juin 2006
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Plusieurs millions d’exemplaires de la presse people sont lus chaque semaine, dévorés par un public pas toujours populaire. Rêve ? Divertissement ? Échappée hors de la vie réelle ? Du courage, peut-être, pour supporter la grisaille du quotidien et, qui sait, quelque dynamisme pour continuer à espérer qu’un jour aussi... La fascination pour le panthéon des stars ne comble-t-il pas le vide des dieux oubliés et ne répond-il pas alors à un besoin de vénération probablement ancré au cœur de l’humain ?

La presse « people »

La presse people, c’est Paris Match, Point de vue, VSD, Gala, Voici, Public, Closer et d’autres magazines encore, que mon kiosquier désigne d’un geste fataliste et qui montent à l’assaut de son étal, bien visibles avec leurs couvertures criardes et saturées d’informations. Un afflux de titres impressionnant, sans compter ceux que l’on annonce pour les mois à venir ! C’est ce qu’on appelle la presse échotière, la presse d’indiscrétions, dans le monde médiatique. En un mot, la presse people.

De la presse échotière à la presse people

Mais d’abord, pourquoi cet anglicisme people ? Utilisé en France à partir des années 90 avec des publications comme Voici ou Gala, ce mot people se veut manifestement un coup de vernis « branché » sur une presse échotière déjà ancienne et plutôt poussiéreuse comme Ciné-Miroir, Cinémonde... On utilise désormais un ton nouveau, plus relâché, une mise en page éclatée où l’image, détournée, remontée, a une place centrale. Elle justifie et consolide l’information : « Elle a le ventre un peu rond ? Est-elle enfin enceinte ? » L’air un peu hébété sur un cliché flou ? « Il traverse une mauvaise passe. » Le rôle des paparazzi et autres pourvoyeurs d’images volées, ou posées, de la vie privée des célébrités, est devenu incontournable. Enfin et surtout le champ des personnalités surexposées, ces gens en vue du moment, s’élargit : au monde des princes et princesses, dont lady Diana fut l’icône médiatique incontestée, et des vedettes de cinéma, s’ajoutent les sportifs comme le footballeur anglais David Beckham et sa femme Victoria, les stars ô combien éphémères de la télévision, les présentateurs et autres animateurs du petit écran, et dernièrement les hommes et femmes politiques et leur famille... En fait les people, on dit même les beautiful people, c’est-à-dire les gens que désigne cette presse éponyme « constituent une élite, un monde privilégié ; ils sont à la mode, célébrés dans les médias et leur existence dorée est inaccessible à la majorité. Or, par une sorte de paradoxe, ces personnages-là sont très... populaires. On pourrait même avancer l’idée que leur inaccessibilité est à la mesure de leur popularité », relève un spécialiste des médias (Philippe Marion : « De la presse people au populaire médiatique ». Revue Hermès n° 42, CNRS éditions) .

Information ?

La presse people prétend donner au commun des mortels des informations exclusives, vraies ou fausses, peu importe, de ces étoiles inaccessibles, de leur intimité, surtout amoureuse dans leurs villas de rêve ou sur leur yacht, où nous sommes invités, le temps d’une photo ou d’un potin, à jeter un oeil furtif. En réalité, ne soyons pas dupes, il s’agit avant tout d’une « mise en scène » permanente de ces prétendues informations et de leur dévoilement. Mise en scène à laquelle se prêtent souvent les célébrités du moment parce qu’elle leur permet de construire leur image ou de rester présentes, lorsqu’elles sont en perte de célébrité, dans le cœur des gens. Quitte à dénigrer cette presse échotière, à s’en plaindre, à lui faire des procès pour atteinte à la vie privée ! Dans ce registre de l’information indiscrète, le magazine se joue souvent de la curiosité de son lecteur, parfois avec humour et l’invite fréquemment à faire preuve de sens critique. Ainsi, l’annonce en une que tel acteur « quitte le domicile conjugal », alors que l’information en page deux se réduira à une nouvelle dérisoire : il quitte sa maison pour accompagner sa fille au jardin public. Ou encore la critique drôle et sans concession d’un dérapage vestimentaire ou de conduite, sanctionné par une photo. Et un commentaire acerbe…

On relèvera aussi que dans nombre de ces publications people se retrouve ce qu’un chercheur appelle « l’effet de compensation symbolique » (Revue Réseaux n° 23, consacrée aux « récits médiatiques ». Voir l’article de Jamil Dakhlia « L’image en échos. Formes et contenus du récit people »). Plus simplement dit, il s’agit pour le magazine d’amener ses lecteurs à comparer leur vie de gens ordinaires à celle des célébrités et de montrer que, finalement, l’argent, l’esbroufe des vedettes, ne font pas le bonheur, que les aventures douloureuses, les trahisons, divorces, insuccès professionnels et autres malheurs ne leur sont pas épargnés. « Le fait d’exposer cette tristesse des people semblerait être un moyen d’établir une sorte de prime à la consolation des lecteurs. » Toute l’ambiguïté de la presse people est là : objectivement complice des conduites tapageuses qu’elle médiatise par la photo, elle ne cesse d’exalter en même temps la fidélité conjugale et le bonheur familial à durée garantie !

Vers une généralisation de la presse people

Va-t-on vers une « peoplelisation » de notre société ? La réponse est oui ! Il semble de moins en moins possible de cantonner le people dans une catégorie médiatique précise. Et au-delà de la presse spécialisée dont c’est l’unique fonds de commerce, ou de rubriques journalières très alimentées en faits people sur le Net, l’approche people se retrouve désormais dans la grande presse, des hebdomadaires d’actualité aux quotidiens. Par capillarité, des organes de presse comme Le Monde, Le Figaro, Libération, etc. sont conscients d’attirer un nouveau public et d’augmenter leurs ventes en posant le pied sur le terrain people. Des rubriques comme « Les gens », « Ces gens-là » et d’autres fleurissent. Mais le people s’est enrichi de la politique, des relations internationales... Témoin cette confidence, citée par un sociologue des médias, d’un photographe d’actualités à qui son journal demandait aujourd’hui des clichés « plus sexy », plus « people » des hommes et femmes politiques et chefs d’État ! Leur vie privée intéresse et ils jouent le jeu, plus ou moins contraints. Influence américaine où l’on ne craint pas de s’exposer ? Paris-Match est un précurseur en la matière qui a bâti son succès sur cette approche people, à mi-chemin entre presse d’actualité et presse d’indiscrétion, même si les indiscrétions sur la vie privée des people se sont longtemps faites avec l’accord tacite ou négocié des intéressés.

Un jeu de société

Pourquoi cet engouement pour le récit people ? Pour l’exotisme social et géographique, sûrement. Pour s’évader dans un monde de rêve, vivre par procuration un conte de fées quasi permanent, même si la tragédie n’en est pas toujours absente. Un monde de tonalité globalement rose... comme on lit la presse du cœur ou les romans d’amour Harlequin ! Une manière de se détendre, de prendre du plaisir à perdre son temps futilement dans un monde qui en donne peu d’occasions, d’oublier les duretés de l’existence. Une mise entre parenthèses, lucide, de la vraie vie, pour un instant hors du temps. Car, au vu des enquêtes sur la presse people, il ressort que les lecteurs ne sont pas dupes, ils ne se sentent en rien engagés dans un processus de vie par procuration : « Je me dis que leur vie, c’est leur vie et que c’est impossible que certaines choses de leur vie m’arrivent, comme l’argent. Eux c’est eux et moi c’est moi », dit une lectrice interrogée.

Il demeure que les lecteurs de cette presse aiment qu’on leur raconte des « histoires » même s’ils sont conscients qu’elles sont hautement sujettes à caution. Le style échotier qui sait mélanger habilement la fiction au vrai, le réel au vraisemblable et au faux en un brouillage savant, engendre un plaisir ludique individuel et collectif. Composer sa propre vérité est une démarche individuelle. Mais quand la presse people fournit les informations discutables et discutées d’une conversation people, c’est un authentique « jeu de société », de cohésion sociale qui se met en place. « Dans ce plaisir de la devinette collective réside peut-être l’une des clés de l’engouement pour le récit échotier. » Et qui n’a jamais discuté, à perte de souffle parfois lors d’un dîner cet été, sur le sort préoccupant de deux couples, celui d’un présentateur de journal télévisé et celui d’un homme politique français ? feuille

Claudine Castelnau

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