Que peut-on penser de létalage
médiatique quotidien de tous ces faits divers qui mettent en
scène une violence aussi bien ordinaire que terrifiante ? Agressions,
destruction de biens publics ou privés, viols de jeunes filles,
histoires de pédophilie, attaques crapuleuses de personnes âgées,
violences au sein de lécole, meurtres
Certes ces
mots font mal quand on les écrit, mais journaux et informations
télévisées nous les lancent sans cesse à
la vue et à lesprit.
Quen déduire ? Une parole de sage nous invitera peut-être
à considérer lhistoire, le passé, afin de
montrer que notre époque nest pas pire quune autre
en matière de violence et quil faut se méfier de
leffet aggravant de la télévision. Alors un regard
candide nous poussera avec dautres à déplorer quau
XXIe siècle, dans une société comme la nôtre,
on en soit toujours là, comme si les progrès de lhumain
devaient forcément sharmoniser aux progrès des sciences
et techniques. Mais lesprit prophétique, que nous dit-il
? Si lon se réfère à la Bible, on se souviendra
que lesprit qui anime les prophètes ne les pousse pas à
loptimisme, même si, au-delà des catastrophes, ils
déploient finalement un horizon despérance. Mais
dans les maux qui ravagent leur société et leur monde,
ce que pointent les prophètes est toujours une violence première,
liée à lidolâtrie, cest-à-dire
à loubli de Dieu et de sa Parole structurante, et à
son remplacement par une image morte et des valeurs de mort. Cela donne
concrètement le mépris et lécrasement du
faible par le fort, linjustice promulguée en état
de fait, le développement de la pornographie, la décadence
puis la catastrophe politique, la tuerie, parfois le cannibalisme, et
donc le retour au chaos, à la barbarie. Certes il ny a
pas de quoi rire quand on lit les prophètes bibliques ! Et cest
bien quils soient bibliques, car on peut à la limite les
taxer dexagération, ou les renvoyer à leur contexte
pour atténuer ce quils nous disent.
Pourtant leur vision propose des mots pour dire le mal-être,
les dangers, la violence de notre temps. Ainsi latrocité
dun meurtre commis au mois de février par un certain «
gang des barbares » sur le jeune homme Ilan Halimi peut sortir
du fait divers pour devenir emblématique dun danger terrifiant
qui guette notre société : la fascination de la barbarie.
« Les conditions déducation actuelles de certains
enfants façonnent des psychologies de prédateur, écrit
le psychanalyste Boris Cyrulnik. Car on assiste à un arrêt
du développement de lempathie dans les situations de pléthore
matérielle associée à une carence humaine. Alors
lautre nest conçu que comme un objet à traquer.
Quand ce fonctionnement mental prévaut entre des êtres
humains, ce qui est décisif, cest quà aucun
moment lindividu prédateur ne se représente
la souffrance quil inflige à sa proie. Dans lesprit
dun prédateur il ny a jamais de crime. »
Si le mal-être qui ronge notre société a des causes
sociales, économiques et politiques, il est aussi mental. Dans
la riche panoplie de nos conditions de vie, certaines sont mortifères
: elles provoquent une dislocation du sens de lhumain, elles favorisent
une régression à cette violence première qui génère
des violences tous azimuts. Et si le sage nous rappelle que la violence
a toujours existé, lesprit prophétique nous alerte
sur la spécificité des graves temps de crise : avec lidolâtrie
cest la disparition du sentiment de honte : honte du mal commis,
honte des exhibitions intimes, honte de la corruption, honte de linnocence
profanée, honte davoir entrevu la barbarie non seulement
uvrer, mais jouir de sa force.
La masse des faits divers dont nous sommes abreuvés et la complaisance
boulimique de leur mise en scène ne sont quun aspect de
cet effacement de la honte. Y voir un signe des temps peut nous aider
à réagir. Actualiser les mots des prophètes peut
nous réapprendre à rougir, tout simplement
devant
le honteux, le scandaleux, lignominieux ! Mieux encore que toutes
les indignations, lafflux du sang à son front exprime que
lhumain veut garder, ou retrouver, le sens de sa dignité.
Florence
Taubmann