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Numéro 196 - Février 2006
( sommaire )

Résonner

Le protestantisme, la foi insoumise, de L. Gagnebin et R. Picon, paru récemment chez Flammarion, est illustré sur sa couverture par une gouache inédite de Pierre Soulages. Raphaël Picon nous explique comment l’œuvre de ce peintre le renvoie à Dieu.

Outre-Noir

Deux récentes expositions proposées par la galerie Robert Miller de New York présentaient récemment les derniers travaux du peintre français Pierre Soulages, les regroupant dans deux séries intitulées respectivement « Outre-noir » et « Au-delà du noir ». Ces titres évocateurs disent d’eux-mêmes la profondeur et l’intensité de cette œuvre singulière, exigeante et pourtant si limpide et immédiate.

Pierre Soulages, Gouache 2004-88

Pierre Soulages, Gouache 2004-88.
© ADAGP, Paris, 2006

Les grandes peintures des dernières années présentent souvent un fond noir, finement striées à la verticale, à l’horizontale, ou par la diagonale, d’une ligne blanche, grise, bleue ou ocre. Pour moi, et aussi surprenant que cela puisse paraître, ces toiles ne racontent rien de moins que le transpercement de la lumière, l’éblouissante insolence du matin qui vient, l’ensemencement encore fragile et hasardeux du jour qui perce sans que l’on sache réellement pourquoi.

La surface de ces tableaux, impressionnante, massive et prégnante, semble échapper à toute durée. Recouvrant la totalité de la toile, le noir paraît n’avoir jamais commencé ; il est là, donné, acquis, tel le grand noir qu’on imagine être celui des origines, ou celui des débuts aveugles de la vie, ou bien encore celui de la chambre obscure où, petit à petit, la lumière va poindre et se laisser entrevoir. Tous les enfants de la peur du noir, seuls dans leur chambre, savent, eux, que la lumière demande du temps et vient avec lui. C’est le temps, insaisissable, des débuts de la lumière que raconte Soulages dans son œuvre. Le trait, la légère striure qui ouvre la toile au-delà d’elle-même, nous entraîne ainsi dans l’« outre-noir ».

Chez Soulages, la lumière vient se réfracter sur le noir. C’est sans doute là que réside la grande originalité de son travail. Ce n’est pas simplement par effet de contraste que le bleu, l’ocre, ou le blanc deviennent si intenses. C’est leur réfraction sur le noir qui rehausse leur propre intensité et qui rend, du même coup, ce noir plus lumineux. Le trait de lumière, la rature du noir, la faille dans la masse obscure, peuvent faire signe : celui d’une transcendance. C’est finalement elle qui viendrait se réfracter sur l’immanence de la masse noire, sur la contingence de la terre et de nos zones d’ombre. Nous pourrions dire alors que le Dieu qui transforme l’humanité se laisse réfracter par celle-ci et transparaît à travers elle ; expression finalement commune d’une théologie de la grâce qui, loin de dévaloriser l’humain, le valorise et considère que c’est aussi à travers nous que Dieu se rend proche et vrai.

Tout ce qu’en théologie nous nommons Dieu, l’ultime, la transcendance, l’infini, renvoie selon moi à cet éblouissement du noir surmonté, tout à la fois déchiré et embelli, affronté et retenu. Le noir est affronté afin de tendre vers un ailleurs, et retenu afin de garder la trace de ce vide originel et immémorial dont nous venons. Dieu, comme la lumière, est pour moi ce moment décisif, extatique, tout à la fois inscrit dans le temps et hors du temps, où la masse brute, sans forme, chaotique, se trouve transmutée et transfigurée en un monde possible et enfin lumineux. feuille

Raphaël Picon

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