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Numéro 194 - décembre 2005
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Questionner

« Un sauveur vous est né », tel est le message de l’ange de Noël. Dans la Bible, « sauver » signifie : d’abord, libérer de ce qui de l’extérieur menace, opprime ou écrase ; ensuite, guérir de ce qui à l’intérieur fait souffrir, tourmente et ronge. Cet article s’interroge sur le moment où a lieu cette délivrance.

Sauvés. Oui, mais quand?

La question posée par ce titre n’est ni insignifiante ni théorique. Selon la réponse qu’on lui apporte, on aboutit à des manières différentes de comprendre et de vivre l’Évangile. On peut en distinguer trois.

Le salut au futur

 

L'effondrement du Concordat. Carte postale satirique

Pour les uns, le salut arrivera au bout de notre route terrestre individuelle ou collective. Il aura lieu au terme de notre vie, après la mort, ou à l’achèvement de l’histoire, après la fin des temps. Il viendra un jour, plus tard, quand nous entrerons dans l’au-delà. Le croyant l’attend avec joie et confiance ou avec crainte et tremblement. Comme l’écrit Paul : « C’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Rm 8,24)

La vie actuelle nous achemine vers autre chose. Nous ne faisons que passer sur terre, et ce qui compte dans un passage, c’est là où il conduit. Le croyant ne doit pas se laisser absorber par ce qui n’est que transitoire. Il lui faut penser constamment à son salut éternel et agir en fonction de la promesse, parfois de la menace qu’il entend et reçoit dans l’Évangile.

Dans cette perspective, on peut comparer la vie chrétienne à la situation des hébreux dans le désert du Sinaï, après l’exode. Ils sont sortis d’Égypte, mais ne sont pas parvenus à la terre promise ; ils marchent vers elle et parfois leur route est aussi dure, voire plus dure que l’esclavage qu’ils ont connu. Ils n’aménagent pas la région qu’ils parcourent ; ils ne font pas des travaux dans le désert. Ils le traversent en pensant seulement à leur destination. Le salut est l’avenir qui oriente le présent.

Le salut au présent.

D’autres mettent l’accent non pas sur le futur, mais sur le présent. Comme l’écrit Paul (2 Co 6,2) : « Voici maintenant le temps du salut. » Le salut entre aujourd’hui dans notre maison, le sauveur naît dans notre vie lorsque la parole de Dieu nous atteint et que nous nous donnons à lui, pour reprendre le vocabulaire des campagnes d’évangélisation. En effet, sa parole nous convertit, elle change notre vie. Elle ne fait pas disparaître comme par un coup de baguette magique ce qui nous tourmente et pèse sur nous, mais elle nous le fait voir et vivre autrement. Ce qui paraissait un fardeau insupportable devient léger, parce que le Christ vient le porter avec nous.

C’est ici et maintenant, dans mon existence actuelle, que le Christ me rencontre et me donne pardon, force, consolation et m’apporte confiance, paix et joie. Le croyant se tourne sans cesse, à chaque instant, vers Dieu pour recevoir toujours à nouveau son salut ; il cultive la piété, s’adonne à la lecture de la Bible, à la prière, au culte et aux sacrements. Car c’est dans ces moments à part, consacrés à Dieu, que nous vivons intensément notre lien avec lui, et que son salut vient à nous, entre chez nous. Dans les milieux marqués par le Réveil, il est courant que les gens se convertissent de nombreuses fois, parce qu’on n’est jamais un converti, un born again, qui est né de nouveau dans le passé ; on a toujours besoin de se convertir et de naître de nouveau dans le présent. Même le réveillé ne l’est jamais totalement et définitivement, Dieu l’appelle sans cesse à encore et à mieux se réveiller, à redécouvrir et à revivre son salut.

Ici, on pourrait comparer le salut à la manne que, dans le Sinaï, les hébreux affamés reçoivent tous les matins. À chaque aurore, elle leur tombe du ciel. Ils s’en nourrissent, mais ils ne peuvent pas l’emmagasiner, faire des réserves ou des provisions ; stockée, elle s’altère et devient immangeable. Quand le jour se lève, la manne (le salut) vient à nouveau, comme si c’était la première fois, sur des gens toujours aussi démunis. On ne s’installe pas, on ne construit pas, on ne cultive pas, on vit de ce que Dieu nous donne gratuitement chaque jour. « Nous sommes toujours des mendiants », aurait déclaré Luther juste avant de mourir.

Le salut au passé

Pour un troisième courant, le salut ne se situe pas aujourd’hui, ni demain, mais autrefois. Il n’est pas le présent ou l’avenir de la vie chrétienne, mais son origine ou sa préhistoire. Il est semblable à une naissance qui inaugure une existence ou à une source qui alimente un fleuve. Le salut est une affaire réglée, résolue et dépassée depuis longtemps. César Malan, un célèbre pasteur genevois du dix-neuvième siècle, auteur de nombreux cantiques, affirme : « C’est offenser Dieu que de le prier pour un salut qu’il nous affirme avoir accompli depuis si longtemps. » Le salut ne date pas d’hier, ni même de la Croix, il y a deux mille ans, puisque l’épître aux Éphésiens (1,4) le situe avant les temps, avant la fondation du monde. Alors qu’il ne nous avait pas encore créés, Dieu nous avait déjà sauvés ; avant même que nous n’existions, notre salut était décidé et accompli. En nous annonçant que nous avons été sauvés, l’Évangile nous débarrasse de toute inquiétude pour notre sort actuel ou final. Comme l’écrit le Réformateur de Strasbourg, Martin Bucer : « Le croyant n’a pas à se soucier du salut, Dieu a fait le nécessaire. »

Le salut est acquis, irréversible, rien ni personne ne nous l’enlèvera. Il n’obnubile donc pas le chrétien. Un autre problème le préoccupe et le mobilise, à savoir que la volonté de Dieu se fasse dans le monde. Jésus est le sauveur, c’est fait ; il faut maintenant qu’il devienne le seigneur, c’est-à-dire celui qu’on écoute et qu’on suit. Que le Royaume gagne du terrain en nous, dans l’humanité et sur la terre, voilà ce sur quoi nous devons concentrer notre attention et nos efforts.

Cette troisième attitude fait penser au peuple s’installant dans la terre promise. Dieu l’a sauvé. Il l’a libéré d’Égypte, l’a fait sortir du désert. Il lui a donné un pays. Ce pays, Israël doit maintenant l’aménager, le cultiver, l’exploiter. Il vit du don de Dieu, mais ce don le met devant une tâche à accomplir et des responsabilités à assumer. Le croyant n’est pas un voyageur cheminant vers une destination à atteindre ; il n’est pas un mendiant de la grâce ; il est un ouvrier dans la vigne, semeur ou moissonneur dans le champ.

Quelle pratique ?

Il ne faut pas radicalement opposer ces trois manières de conjuguer le salut, elles se trouvent toutes les trois dans la Bible, et souvent (par exemple chez Paul) elles se juxtaposent ou se combinent.

Il n’en demeure pas moins que, selon le temps que l’on privilégie, on aboutit à des conceptions différentes de la pratique chrétienne. Quand on situe le salut dans un avenir qui dépasse notre monde, on se préoccupe du but final (la vie éternelle) ; les tâches et préoccupations de ce monde ne doivent pas en détourner ou en distraire. Lorsqu’on insiste sur le salut au présent, l’essentiel est d’aménager des moments à part pour rencontrer Dieu, de prévoir des temps où on s’isole dans une sorte de tête-à-tête avec lui d’où tout le reste est exclu. Dans les deux cas, les affaires de cette terre n’ont pas grande importance spirituelle. L’Évangile, écrivait au début du vingtième siècle Adolf Harnack, c’est « Dieu et l’âme ». Pour la troisième option, l’Évangile, c’est Dieu et l’âme, certes, mais aussi ce monde où témoigner, où travailler, où lutter pour le changer, ne fût-ce qu’un tout petit peu. L’Évangile nous appelle non pas à nous préoccuper de notre sort éternel et de notre âme, mais à militer dans le monde avec la préoccupation de la justice et de la paix, en témoin, en artisan ou en ouvrier du Royaume. feuille

 

André Gounelle

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