L'affirmation de la
pauvreté comme une valeur fondamentale est ancienne. Jésus
la-t-il pratiquée ? Il est communément admis quavec
ses disciples, Jésus na pas vécu dans lopulence,
mais quil a reçu laide de personnes aisées.
Suivant lévangile de Luc (9,3 ; 10,4 ; 18,22),
on a enseigné quun bon disciple ne pouvait quavoir
renoncé aux biens de ce monde. Les communautés monastiques,
fondées en général sur le renoncement à
la richesse, nont pas suffi pour éviter une critique véhémente
de lemploi des richesses dans lÉglise.
Ce
fut en particulier le cas aux XIe et XIIe siècles : des mouvements
se sont dressés pour proclamer que les prescriptions des évangiles
imposaient labsence de toute richesse. Comme ils critiquaient
lÉglise, son clergé, ses pratiques, et ses dogmes,
ils ont été successivement déclarés schismatiques,
puis hérétiques et âprement combattus par Rome.
Les historiens les regroupent sous le terme d « Hérésies
des Pauvres ». Après un temps de succès, ces mouvements
ont disparu à deux exceptions près : la première
concerne Pierre Valdo, la seconde François dAssise.
Pierre Valdo est un riche marchand lyonnais qui a décidé
un jour (vers 1173) de vendre ses biens au profit des pauvres et de
vivre de mendicité. Jusque là, lÉglise naurait
pas eu à sen offusquer. Mais Valdo sest mis à
parler ! Il a expliqué son choix dans un triple message :
- tout laïc peut et doit lire les Écritures (Valdo les
fait traduire en langue vulgaire) et en tirer ses règles de
vie ;
- la vie de pauvreté totale est celle qua recommandée
le Christ et elle doit assurer le salut ;
- sont inutiles à la foi les ajouts faits à lÉvangile,
tels que bien des sacrements, le culte des saints, le Purgatoire,
etc.
Valdo a été écouté, faisant
des associés, qui ont suivi sa démarche de pauvreté
itinérante et dapostolat dans les rues, dès lors
quils ont saisi cet extraordinaire sentiment de liberté
que confère le renoncement à toute richesse. Ce qui na
pas manqué dinquiéter les prêtres dont «
ces pauvres hères » prenaient la place, les privant de
leurs ouailles, donc de leurs ressources. Lévêque
de Lyon, un moment sympathique à Valdo, lui interdit de prêcher
dans sa ville. Une tentative de recours au pape naboutit pas et
le concile de Vérone prononce en 1184 une excommunication. Valdo
et ses amis durent séparpiller dans les montagnes, notamment
en Piémont, et vivre dans la clandestinité.
Leurs difficultés les conduisirent à radicaliser
leur message, dans un sens qui annonce la Réforme. Leur morale
exigeante, leur amour du prochain et leur refus dune Église
centralisée leur apportaient la considération de beaucoup.
On ignore quand Pierre Valdo est mort, mais tout donne
à penser quil a vécu jusquau bout cette vie
de prédicateur pauvre. Ses disciples durent, pour survivre, admettre
que certains adhérents travaillent pour permettre la subsistance
des communautés.
Les Vaudois trouvèrent dans leur adhésion
à la Réforme en 1532 un second souffle. Ils découvrirent
alors la justification offerte par la grâce de Dieu et perçue
par la foi, notion que Pierre Valdo navait pas prêchée
et dont labsence lavait laissé, comme Luther dans
sa jeunesse, dans langoisse vis-à-vis de ses oeuvres et
de son salut.
Valdo a conduit lÉglise à sinterroger
après sa mort sur cette vertu de pauvreté, et à
faire une place à ceux qui se sentaient appelés à
la vie que le jeune homme riche navait pu suivre : le cadre offert
à ceux-là fut celui de lordre créé
par le Pauvre dAssise. Sans les réflexions et la vie de
Pierre Valdo, sans doute François aurait-il échoué
à bâtir son ordre mendiant.
Notre époque connaît toujours lacuité
du problème de la pauvreté et découvre aussi le
combat des très pauvres pour faire reconnaître leur aspiration
à la dignité. Ce fut un des messages de Pierre Valdo qui
a témoigné de la grandeur dune vie dénuée
des biens de ce monde. 
Bernard Félix
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