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Numéro 191 - août-septembre 2005
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Que penser des guérisons par la foi ? Relèvent-elles de la superstition ou faut-il les prendre au sérieux ? Le pasteur Douglas Nelson nous invite à réfléchir, à la suite de Tillich, sur cette question à partir d’une vision globale de l’humain. Quand on prend en compte toutes les dimensions de sa personne et de son existence, on est conduit à lui apporter une réponse nuancée.

Guérisons par la foi

Guérissez les malades (Mt 10,8)

Le thème de la guérison suscite souvent de la méfiance, surtout dans le domaine religieux. L’exploitation sensationnaliste qu’en font des gens peu scrupuleux, qu’ils soient prédicateurs ou télévangélistes, marabouts ou magnétiseurs, justifie largement qu’on se tienne sur ses gardes. Le discours de ces prétendus guérisseurs exploite souvent le réel besoin d’hommes et de femmes que la vie a profondément blessés et qui ne trouvent nulle part ailleurs de réponse pour les aider à faire face à leur condition humaine et à l’assumer. Les maladies, les souffrances physiques et morales posent une question lancinante, celle d’une guérison possible. D’où l’importance de trouver des éléments de réflexion permettant de répondre de façon satisfaisante et réaliste à ceux et à celles qui se débattent avec une mauvaise santé et qui affrontent ou subissent la douleur.

Vers une vision globale de l’humain

Les processus qui régissent la vie, et tout particulièrement la vie humaine, sont extrêmement complexes et fluctuent constamment. Aux processus physiques et chimiques de la vie moléculaire s’ajoutent les processus biologiques des organes vitaux. Les processus biologiques à leur tour influencent les processus psychologiques et sont influencés par eux ; ensemble, ils permettent l’apparition de la vie de l’esprit, caractérisée surtout par la conscience de soi qui rend possible une certaine liberté. Tout en gardant leur spécificité pro-pre, ces différentes « dimensions » de la vie s’imbriquent et agissent les unes sur les autres dans ce que le théologien Paul Tillich appelle l’unité multidimensionnelle de la vie. Cette vision de l’humain va à l’encontre de la vision cartésienne qui sépare le corps et l’esprit.

La personne humaine a une unité non pas statique, mais dynamique. La vie est toujours en mouvement, entre identité de soi et altération de soi, et ceci s’applique à toutes ses dimensions. Si les cellules ne se régénèrent pas, le corps meurt, mais si elles se dérèglent de façon cancéreuse, la vie est également menacée. Sur le plan psychologique, si la personnalité s’accroche trop aux schémas du passé, elle n’arrivera pas à s’adapter aux nouvelles situations, mais si elle ne respecte pas ses repères fondamentaux, la désintégration la guette. Pour rester soi-même, il faut sans cesse devenir un autre soi-même. Ce mouvement dialectique est l’essence même de la vie.

Santé et maladie

Vu dans ce contexte, le mot santé prend son sens seulement en confrontation avec son opposé, la maladie, et reste toujours relatif à la situation de chaque individu. « On n’est pas malade par référence aux autres, mais par rapport à soi, » écrit Maria Parisoli, dans son livre Penser le corps (Paris, Éd. PUF, 2002). La maladie s’enracine dans ce que Tillich appelle l’ambiguïté de la vie et de tous ses processus. Elle est provoquée par des accidents, des intrusions et des déséquilibres qui, même s’ils affectent tout particulièrement telle ou telle dimension, rejaillissent forcément sur toutes les autres.

Dès lors, on doit penser également la guérison en fonction de cette unité multidimensionnelle de la vie humaine. Bien sûr, on peut agir principalement, comme le fait souvent la médecine actuelle, sur des dimensions physique, chimique et biologique. Mais comme écrit Maria Parisoli : « à partir de cette réduction de la personne-patient à son corps-objet, voire à son corps-machine, la médecine est arrivée à réduire la maladie à une simple altération des fonctions biologiques, disqualifiant ainsi l’expérience du malade. » Il s’ensuit que souvent la guérison n’est que partielle et entraîne une réduction de la personne. Il arrive même qu’elle provoque ce que Tillich appelle « la santé malsaine » : « Ceci se produit si la guérison sous une dimension particulière réussit sans prendre en considération les autres dimensions où la santé fait défaut ou qui sont même mises en danger par la guérison. » (The Meaning of Health, Richmond, California, North Atlantic Books, 1981). Il cite, entre autres, l’exemple des médicaments qui soulagent une conscience troublée tout en préservant une déficience morale.

La « guérison par la foi »

Que dire alors de ce que l’on appelle la « guérison par la foi » ? Tillich aborde cette notion « très ambiguë » dans le volume IV de sa Théologie systématique (Genève, Labor et Fides, 1991). Pour lui il faudrait parler plutôt de « guérison magique », car ce que l’on appelle « la foi » dans ce cas précis est plutôt « un acte de concentration ou d’autosuggestion, ordinairement induit, mais pas nécessairement, par l’activité d’une personne ou d’un groupe. » Cependant Tillich n’emploie pas péjorativement le mot magie. Il le définit comme « une influence s’exerçant d’une personne à l’autre sans passer par la communication mentale ou par l’intermédiaire d’une cause physique, et qui a, néanmoins, des effets physiques et mentaux. » Cet élément « magique » est plus ou moins présent dans toute relation humaine. La confiance que l’on accorde à un médecin a parfois des résultats bénéfiques que l’on pourrait qualifier de « magiques » (l’effet « placebo »). Des guérisons de ce type sont possibles et on ne peut au nom de la foi chrétienne ni les admettre ni les rejeter sans nuances. Tillich fait toutefois trois remarques:

  • 1) L’expression « guérison par la foi » est impropre, car il s’agit plutôt de concentration magique.
  • 2) En tant qu’élément légitime d’une rencontre humaine, cette influence « magique » ouvre des possibilités à la fois créatrices et destructrices.
  • 3) Si ceux qui s’adonnent à de telles activités excluent par principe d’autres moyens de guérisons, on doit considérer leur action comme nocive.

Un ministère de guérison

D’où l’importance pour les personnes qui travaillent pour la guérison – les médecins, les analystes, les pasteurs – de coopérer. La question de la possibilité d’une guérison complète se pose également. Selon les récits évangéliques, le ministère de Jésus mettait en œuvre une puissance irrésistible de guérison et Jésus, à son tour, a chargé ses disciples de guérir les malades et de chasser les démons. Sans tomber dans des excès, il incombe aux Églises protestantes « historiques » de renouer avec ce ministère de guérison trop souvent négligé. Bien évidemment, seul l’Esprit de Dieu peut vaincre totalement les ambiguïtés de l’existence et nous n’avons accès à cette victoire, dont le symbole est la Résurrection du Christ, que « de façon fragmentaire et par anticipation ». Comme écrit Tillich dans sa Théologie systématique : « Sous les conditions de l’existence, la guérison reste partielle. Elle n’intervient que dans les limites de l’en dépit de dont la Croix de Christ est le symbole. Aucune guérison, pas même la guérison sous l’impact de la Présence Spirituelle, ne peut libérer l’individu de la nécessité de mourir. » Cela dit, la foi chrétienne nous donne des ressources pour nous-mêmes et pour les autres ; elle nous permet d’assumer pleinement et courageusement notre condition humaine et d’expérimenter, au moins partiellement, la guérison comme un signe concret de notre salut. feuille

Douglas Nelson


« La richesse de la vie implique le danger de la maladie. La vie de l’homme est une vie riche, infiniment complexe, inépuisable dans ses possibilités, même chez l’individu le plus pauvre du point de vue de la vitalité… Dans la vie humaine, plus que dans toute autre vie, il y a des tendances divergentes qui doivent être continuellement maintenues dans l’unité. La santé n’est pas l’absence de ces tendances divergentes dans notre vie corporelle, mentale ou spirituelle, mais un pouvoir qui les maintient dans l’unité. La guérison est un acte de réunification après la rupture de leur unité. Guérissez les malades, cela signifie : aidez-les à retrouver leur unité perdue sans les priver de leur richesse, sans les exposer à un appauvrissement de la vie, même s’ils y consentent.»

Paul Tillich, L’Éternel maintenant
(Paris, Éd. Planète, 1969).

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