Le témoignage
bouleversant dune jeune fille engagée comme enfant-soldat
a été présenté récemment à
la télévision. Je remonte vingt-cinq ans en arrière.
Me voici à NDjamena, au Tchad, en pleine guerre civile.
Un garçon dune douzaine dannées pointe sa
kalachnikov sur mon abdomen : « Patron, donne moi 100 F »
(CFA). En monnaie actuelle, il me réclame un peu moins de 50
centimes alors quil tient dans les mains une arme qui vaut 500
euros. Le fusil automatique est chargé ; le cran de sûreté
nest pas mis ; je pense à ma femme et à mes trois
enfants et jobtempère tout de suite. Vous reconnaîtrez
que, si ma tête est loin de valoir autant que celle de Ben Laden,
elle peut tout de même être estimée à un peu
plus de 50 centimes ! Je demande : « Que vas-tu faire avec cet
argent ? » « Macheter de la galla ». Il sagit
de la bière locale, fabriquée par la seule usine qui fonctionne
encore, sous la protection de tous les belligérants, pour une
fois daccord !
La
presse ne parlera jamais suffisamment du drame soulevé périodiquement
par lenrôlement denfants-soldats un peu partout dans
le monde. Si mon histoire se termine bien, combien de femmes et denfants
ont été massacrés sur le sol africain ou ailleurs
à cause dindividus sans aveu qui nhésitent
pas à employer des garçons ou des filles à un âge
où ils ne peuvent pas être considérés comme
responsables de leurs actes. Les romains, qui avaient pourtant la main
lourde avec leur paix armée, nhésitaient pas à
proclamer « Maxima debetur puero reverentia », le plus grand
respect est dû à lenfant.
Les témoignages abondent. Comment oublier les
scènes dhorreur où des enfants ont joué à
la fois le rôle de victimes et de bourreaux ? Comment peut-on
retrouver un équilibre après avoir vécu au milieu
des massacres ethniques, dans un monde où la vie humaine na
aucune valeur ? Le droit dingérence ne devient-il pas un
devoir ? Nest-il pas nécessaire que les instances internationales
interviennent par tous les moyens légitimes, y compris lusage
de la force au service du droit ?
La maîtrise de la violence dépend de chacun
de nous. La violence prend sa source dans la vie quotidienne. Elle commence
à la table de famille, au lit conjugal, à lécole.
Des éclats de voix, on passe à des gestes trop vifs. Contrôler
nos pulsions, mesurer nos propos dans la famille, au travail, dans la
cité, dans les paroisses et les synodes, nest-ce pas un
début pour désarmer les conflits ? La morale laïque,
qui est souvent un simple démarquage de léthique
chrétienne, nous enseigne à respecter la dignité
humaine et nous invite à manifester notre solidarité non
seulement avec les nôtres, ce qui nest pas toujours le plus
facile, mais aussi, autant quil est possible, avec toutes les
personnes que nous rencontrons sur notre route.
Philippe
Vassaux