Notre ministre de léconomie,
connu pour son énergie, a déclaré : « si
jétais sous-secrétaire dÉtat aux choux
farcis, on entendrait beaucoup parler des choux farcis ! » Belle
passion ! Lorsque lon reçoit une mission, il faut y mettre
toute son énergie. Mieux, il faut se passionner pour sa tâche
et faire en sorte que tout le monde se passionne pour elle. Or, le sieur
Sarkozy ne manque ni denthousiasme ni dénergie au
travail. Javoue que je préfère son enthousiasme
à la morne plaine du Waterloo de notre espérance. La mode
est au désespoir de lintrospection, pas à la volonté
du partage. Cest vrai en littérature comme ailleurs.
Mais lenthousiasme de notre ministre me pose aussi
problème. Pour tout dire, il magace autant quil me
plait. Quil se passionne pour les choux farcis, cest bien
! En tout cas je ne len blâmerais pas, moi qui défends
une cuisine de terroirs. Mais de quel droit se permet-il de décréter
la passion des autres ? À moins quil ne considère
que les médias sont à son service. La passion se propose.
On ne la décrète pas, on ne limpose pas ; on en
témoigne. Il peut parfois exister en politique (comme ailleurs
!) dinsupportables « cléricalismes ». Les clercs
décrètent « den haut », le peuple doit
suivre. Notre histoire européenne est en grande partie fondée
sur lémancipation par rapport à toute les cléricatures
: celle de lÉglise, celle dune monarchie absolue,
Notre démocratie est par essence anti-cléricale, puisquelle
repose sur lidée de débat, de confrontation des
projets et des visions de la société. Au Moyen Âge,
la science était « ancila theologiae », « servante
de la théologie ». Autrement dit, la science devait chercher
ce que lÉglise lui disait de trouver ! Un non-sens scientifique.
Je ne voudrais pas aujourdhui quun ministre, quel quil
soit, mordonne mon menu pour demain ! Cest peut-être
lune des leçons de notre époque : les religions
nont plus le monopole du cléricalisme.
Notre vision protestante libérale de lexistence
(et pas simplement de la théologie) repose sur la libre adhésion
de chacun et sur lexercice de la raison critique. Nous ne sommes
les perroquets de personne. Nous sommes plus des chercheurs de sens
que les serviteurs dun pouvoir. Soyons enthousiastes sans diminuer
notre intelligence et sans mépriser celles de nos contemporains.
Au fait, jaime beaucoup les choux farcis. Et si
on en parlait