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Numéro 175 - mars 2004
( sommaire )

Questionner

Dieu existe-t-il ?

Les preuves de l’existence de Dieu n’ont jamais convaincu que ceux qui l’étaient déjà. Elles présupposent en effet ce que l’on prétend démontrer. La question de Dieu est si fondamentale que le fait de la poser est en réalité inséparable d’une conscience de Dieu qui précède notre interrogation. Avoir l’idée de Dieu n’est pas le résultat d’une démonstration, mais sa condition. Cela dit, les preuves de l’existence de Dieu ont au moins l’avantage de souligner la pertinence de l’idée de Dieu. Croire en Dieu n’est pas nécessairement insensé, comme le pensent certains. Le seul fait que l’homme ne puisse pas échapper à cette question, qu’on puisse même voir dans notre élan vers la Transcendance le propre de notre humanité, souligne la crédibilité et non l’absurdité de la foi en Dieu.

Il y a un grave danger à vouloir prouver Dieu : celui d’en faire une existence comme n’importe quelle autre. Or si Dieu est compris comme l’être par excellence, comme le fondement de tous les êtres, il ne saurait devenir simplement, au cœur de nos raisonnements et discours, un être parmi les autres. Nous ne devons pas parler de Dieu comme d’un objet simplement constatable et maîtrisable. Nous venons de voir en effet que Dieu n’est l’objet de nos pensées que parce qu’il en est d’abord le sujet. Dieu est toujours plus que « Dieu » ; il est au-dessus ou au-delà de tous nos mots, de toutes nos paroles, de toutes nos pensées à son sujet. Quand je dis « Dieu », ce n’est déjà plus Dieu que je dis. Comprendre Dieu serait le dominer, d’où la nécessité des symboles dans tout langage religieux qui se veut respectueux de la Transcendance.

De toute façon, si l’on parvenait à prouver l’existence de Dieu, il n’y aurait plus de raison de croire en lui. On ne croit pas ce qui est démontré, on le sait. La meilleure manière de refuser la foi en Dieu consiste donc à prouver son existence. L’athéisme ne revient pas seulement à contester l’existence de Dieu, mais aussi à affirmer Dieu dans le cadre d’un savoir pareil aux autres. C’est la raison pour laquelle, Paul Tillich écrit ces mots à première vue déroutants : « Dieu n’existe pas. Il est l’être-même au-delà de l’essence et de l’existence. En conséquence, prouver que Dieu existe revient à le nier. » (Théologie systématique II)

Dieu relatif

Dieu, le Dieu de la Bible, n’est pas absolu au sens où nous entendons le plus souvent ce mot. Il n’est pas un absolu immobile et fixe, embaumé dans son éternité, rejeté au début de l’histoire de l’univers au point qu’il ne nous concerne plus. Nous parlerons alors de l’existence de Dieu pour dire son histoire avec nous, pour dire et redire le Dieu de Jésus-Christ, pour exprimer le paradoxe d’un Dieu, qui s’est manifesté dans celui que Wilfred Monod aimait appeler « le héros des évangiles », qui a « marché, lutté, souffert et chanté parmi nous » (Charles Wagner). Parler ainsi de l’existence de Dieu nous situe sur un registre tout autre que celui des preuves de l’existence de Dieu ou de celui qui nous conduit à voir en Dieu le fondement créateur de tout ce qui est, l’être par excellence que ne saurait caractériser, par conséquent, une simple existence. Ce Dieu-là, ce Dieu des Écritures et de l’Évangile, est un Dieu pour l’homme et avec lui. « Avec » est, à bien des égards, le mot le plus important de toute la Bible. Il raconte en effet Dieu avec l’homme, l’homme avec Dieu et chacun de nous avec l’autre ; il exprime l’amour de Dieu et du prochain. Dieu devient alors celui d’une rencontre, d’un dialogue possible, en un mot : d’une relation. Il faut percevoir tout ce qu’il y a de positif dans l’affirmation selon laquelle ce Dieu en relation est par conséquent un Dieu relatif, à savoir, précisément, en relation avec nous. Il est très significatif que, d’après l’évangile de Matthieu, Jésus ait reçu le surnom d’Emmanuel (Mt 1,23) qui veut dire Dieu avec nous.

Le Dieu de la Bible est Transcendance, parce qu’il est mouvement, dynamisme créateur et en marche. Il est plus juste alors de soutenir qu’il devient que d’affirmer qu’il est. D’ailleurs, le verbe être n’existe pas à proprement parler en hébreu. C’est donc un contresens de traduire, comme on le fait fréquemment, le fameux texte d’Exode 3,14 par les mots suivants que Dieu adresse à Moïse : « Je suis celui qui est. » Pour la Bible, justement, Dieu n’est pas ; il advient, il se révèle, il intervient ; il n’est pas en soi, parce qu’il est avec nous. Il est très intéressant de voir que Chouraqui traduit ainsi ce passage de l’Exode : « Je serai qui je serai. » Par conséquent, Dieu nous échappe et il devient. La différence faite ici entre être et devenir nous renvoie à ce Dieu qui n’est pas le Dieu absolu et pétrifié de nos définitions, de nos preuves ou de nos raisonnements, mais le Dieu vivant de la Révélation, qui existe pour et avec l’homme. La vision biblique ne nous présente pas un Dieu qui est, mais un Dieu qui est en marche, totalement étranger aux conceptions d’une divinité figée avec laquelle on le confond trop souvent, quand on postule un Dieu absolu. De toute façon, ce que Dieu est en soi n’intéresse pas la Bible ; cela est hors de notre portée, impénétrable ; il faut, selon Calvin et au cœur de notre foi, en être profondément conscient, si l’on ne veut pas être victime d’une sorte de curiosité malsaine et sacrilège.

Dieu n’existe pas encore

On demanda un jour à Ernest Renan si Dieu existait, il répondit très finement : « Pas encore ». Il suffit d’ouvrir les yeux et nos journaux pour voir que Dieu n’existe pas… encore. Tant que la paix, la justice, la vérité et l’amour ne règnent pas sur cette terre, pouvons-nous véritablement admettre que Dieu existe, que Dieu existe en plénitude ? La seule réalité de l’Esprit Saint n’exprime-t-elle pas d’ailleurs l’idée d’un Dieu dont la Révélation n’est pas achevée, d’un Dieu en devenir, d’un Dieu inséparable de l’espérance ? Si Dieu était vraiment déjà celui qui gouverne notre monde, il y aurait de l’impiété à vouloir changer l’état des choses sur notre terre. Or nous luttons avec Dieu et pour lui en combattant pour transfigurer le visage ensanglanté de l’histoire. Si Jésus nous apprend à demander à Dieu « Que ta volonté soit faite sur la terre », c’est bien parce que Dieu n’y règne pas totalement. Cette requête et ce programme d’action, cet appel, seraient sinon parfaitement absurdes et contradictoires.

C’est parce qu’il en est ainsi que Wilfred Monod déclarait que Dieu est à venir.

C’est dans son livre Aux croyants et aux athées, qu’il développe le plus nettement la thèse selon laquelle la toute-puissance de Dieu est ultime et non première. Dieu n’est pas encore entièrement manifesté : il vient, comme le dit l’Apocalypse. Il sera. Un jour, affirme Paul, il sera tout en tous (1 Co 15,28). La Révélation de Dieu dans l’histoire n’est pas encore achevée. Dieu n’est donc pas tant la cause initiale du monde que sa cause finale. La manifestation suprême de Dieu est devant nous. Cela dit, que Dieu existe en plénitude nous concerne et dépend aussi de nous. Croire en Dieu ne nous conduit pas sur les chemins de la passivité et de la résignation. C’est pour cela que Wilfred Monod affirmait que prier, c’est exaucer Dieu, c’est-à-dire mettre tout en oeuvre pour que sa volonté soit faite et se réalise. W. Monod écrit : « Il faut que toutes nos facultés deviennent les complices de son avènement, les alliées de sa cause. » Et cette cause n’est pas gagnée d’avance.

L’être humain n’existe pas encore

Là aussi, il suffit de regarder autour de nous pour penser que l’homme n’est pas encore l’être… humain. Théodore Monod (fils de Wilfred Monod) aimait à souligner la jeunesse de l’homme, son apparition récente dans l’histoire de l’univers, dont nous ne constituons qu’une infime partie et une minuscule étape. Il faut, par conséquent, laisser à l’homme le temps de s’hominiser. Si l’hominisation est une expression des paléontologues, Théodore Monod entendait aussi ce mot dans un sens philosophique. « S’hominiser, c’est sortir de notre sauvagerie ancestrale, nous débarrasser de notre héritage préhistorique, et acquérir une nouvelle stature morale. Devenir des Hommes, avec un H majuscule. » (Terre et Ciel. Entretiens avec Sylvain Estibal). « L’homme est une espérance de Dieu », a écrit magnifiquement le pasteur Charles Wagner. Chaque fois que je prêche, j’ai cette citation devant les yeux. Quel rappel enthousiasmant et quel appel ! « Mais, écrit Théodore Monod, le primate, la veut-il vraiment cette difficile, cette héroïque hominisation ? Est-il décidé à devenir un homme ? » Dieu et l’être humain sont possibles ; non pas de manière inéluctable, dans une sorte de progrès nécessaire et inexorable des civilisations, mais dans un combat toujours à reprendre. feuille

Laurent Gagnebin

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