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Numéro 203
Novembre 2006
( sommaire )

Cahier : Science et Foi

par Louis Pernot

Comète de Schumacher-Lévy s’écrasant sur Jupiter © courtesy of ESO

En 1633, Galilée, premier scientifique moderne, est condamné par l’Église pour avoir affirmé que l’homme n’est pas au centre du Monde, mais sur une planète banale.

À la fin du XVIIIe siècle, Laplace pense pouvoir tout expliquer par la science. À Napoléon qui lui demande pourquoi il ne mentionne pas Dieu dans son œuvre, il répond cette phrase célèbre: « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. »

En 1860, l’Église s’oppose à Darwin qui nie l’intervention d’un dessein divin dans l’évolution.

Au début du XXe siècle, la plupart des physiciens sont persuadés que la science a tout expliqué, à l’exception de quelques phénomènes encore mystérieux : la « catastrophe ultraviolette » introduira (grâce à Max Planck) la mécanique quantique en 1900, et l’expérience de Michelson et Morley conduira Einstein à la théorie de la relativité en 1905.

Ces éléments d’histoire montrent comment la science a été accusée par l’Église de déformer le message de la Bible ; ils montrent aussi l’arrogance de la science au XIXe siècle, due en partie à ses succès.

Mais depuis 1900, la science découvre ses limites. Des failles sont apparues dans le bel édifice rationaliste, qui brisent le carcan matérialiste. Les nouveaux chapitres de la science dérangent parce que la raison a du mal à suivre. Les notions d’espace et de temps sont remises en cause. Le déterminisme qui enchantait Laplace n’est, au mieux, qu’une approximation statistique. L’observation et l’observateur prennent une place prépondérante, et le bon sens est mis à rude épreuve par les affirmations de la physique quantique et de la relativité.

Les rapports entre science et religions devraient s’en trouver apaisés. Pourtant certains mouvements comme le créationnisme utilisent la Bible pour nier l’évolution ; d’autres comme le « dessein intelligent » (version « douce » du précédent) tentent de justifier la foi par la science.

Le XXe siècle a aussi vu apparaître la théologie du Process, à partir de la pensée de Whitehead, mathématicien et philosophe anglais. Un de ses objectifs est de tenir compte de la vision scientifique du monde. Cobb et Griffin veulent élaborer, avec un discours cohérent et intelligible, une doctrine en accord avec ce que nous savons de la réalité, en dialogue avec la science et les autres religions.

La science et la théologie peuvent et doivent cohabiter sans gêne. Albert Einstein disait : « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. »

Louis Pernot, pasteur à l’Église réformée de l’Étoile, et de formation scientifique, explique comment science et religion peuvent vivre ensemble harmonieusement. Sa vision de Dieu est assez proche de celle des théologiens du Process. feuille

Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

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Science et religion, deux sœurs ennemies

Depuis longtemps la théologie (ou tout au moins la religion) joue avec la science à « je t’aime, moi non plus ». Dans les temps où la science était très largement lacunaire, la théologie et la philosophie avaient le beau rôle, elles pouvaient se permettre de légiférer dans ce domaine, sans scrupule ni contrainte. La science progressant, le domaine de la théologie s’est progressivement réduit, le terrain du discours concernant l’Univers, l’homme et son apparition étant de plus en plus repris par la science. Le point culminant de cette évolution s’est trouvé à la fin du XIXe siècle avec des hommes comme Darwin et Laplace. Pour Darwin, il n’y avait plus besoin de la Genèse ni d’idée de création pour envisager l’apparition de l’homme. Pour Laplace, il n’y avait plus de nécessité de Dieu, puisque d’après lui tout pouvait s’expliquer par la science : il prônait un système scientifique absolument déterministe dans lequel tout ce qui se passe et allait se passer dans le monde serait déterminé par des lois scientifiques.

Et puis au XXe siècle, changement radical. La science devient « relativité » dans tous les sens du terme. Les scientifiques eux-mêmes découvrent les limites de leur propre activité, on comprend que tout discours scientifique n’est qu’une théorie, une modélisation ne pouvant prétendre à être la réalité elle-même. On découvre qu’il y a bien des choses que nous ne connaissons pas, ou que nous sommes absolument incapables d’expliquer, voire d’intégrer dans nos discours scientifiques. On trouve aussi de nombreux « paradoxes » montrant que la réalité échappe toujours fondamentalement à tout discours scientifique, si savant qu’il soit.

La théologie a alors pu relever la tête, elle pouvait encore espérer avoir droit à la parole en s’insinuant dans les manques de la science. Mais cette attitude n’est pas fondamentalement meilleure que celle qui a mené la théologie à cette crise gravissime de la fin du XIXe siècle ; la science progressant toujours, la théologie risquait de voir son domaine encore et encore réduit.

Alors la tentation a été, de la part des théologiens, de séparer les deux règnes, et de tout faire pour n’avoir plus rien à voir avec ces dangereux scientifiques qui prennent progressivement le pouvoir dans le domaine de la connaissance et du discours sur l’Univers et sur l’homme.

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La séparation des domaines scientifiques et théologiques

C’est une voie effectivement possible. On peut en particulier concentrer le discours religieux sur l’expérience spirituelle, se contenter de parler de la foi comme expérience personnelle, et les scientifiques n’ont rien à dire dans ce domaine. Quoi que ces derniers disent, l’homme a une expérience spirituelle qui est objective et dont on peut parler. Mais là encore le terrain est miné parce que la connaissance ne se réduit pas à la physique, et la psychanalyse a montré que l’on pouvait remettre cela aussi en cause d’une façon très grave. Freud, en particulier, a montré comment on pouvait expliquer la foi comme un sentiment tout à fait identifiable de désir de rester enfant, et de ne pas assumer la fracture narcissique de la découverte infantile de sa non-toute-puissance, qui fait passer l’individu normal dans l’âge adulte.

Il est curieux d’ailleurs que tant de penseurs chrétiens n’aient pas géré cette crise. Certains s’enferment dans une détestation de la psychanalyse (c’est d’une certaine manière lui concéder qu’elle pourrait bien avoir raison) et d’autres se contentent de faire comme si elle n’existait pas.

Ainsi peut-on se concentrer sur l’essentiel qui est le message spirituel, en économisant de défendre ou même de se préoccuper d’un terrain qui n’est fondamentalement pas le nôtre et dans lequel nous n’avons rien à gagner.

Cette capacité de séparation des deux règnes est confortable ; il semble ainsi que la science ne puisse plus être dérangée par des questions insidieuses et que la théologie cesse d’être menacée, mais c’est en s’enfermant dans une sorte de bunker d’où elle pense enfin ne plus pouvoir être délogée par les scientifiques. Cette attitude n’est d’ailleurs pas nouvelle, et elle est résumée par certains scientifiques eux-mêmes croyants qui disent : « quand j’entre dans mon oratoire, je quitte mon laboratoire... ».

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La science purificatrice

La réalité apparaît comme étant de plus en plus complexe, et plus la science progresse, plus on prend conscience de tout ce que nous ne savons pas, et même de ce qu’elle ne saura jamais. C’est le début d’une grande sagesse, et elle laisse ainsi bien de la place à d’autres, et aux théologiens en particulier.

Mais il y a une autre voie éminemment supérieure qui consisterait à ne pas avoir peur de la science, et au contraire essayer de profiter de ses avancées pour purifier la foi de tout ce qui peut l’encombrer. Ainsi, par exemple peut-on prendre au sérieux les mises en garde de la psychanalyse et éviter dans la foi ce qui peut être de l’ordre du symptôme d’une enfance mal assumée, et trouver ce que peut être la foi adulte.

L’idéal est donc d’abandonner l’idée de guerre avec la science pour collaborer avec elle sans en avoir peur. La science peut avoir un effet de purification de la théologie, en la débarrassant de toute pensée non adaptée au monde ou à la réalité psychologique de l’homme. Ainsi, s’il est inconcevable scientifiquement qu’il puisse y avoir un Dieu agissant à l’encontre des lois de la nature, alors prenons-en acte et enlevons ce bazar inutile et encombrant de nos croyances. Une bonne théologie doit être adaptée au monde, être pertinente et efficace. Pertinente par rapport à notre réalité biologique et psychologique, et efficace par rapport au fonctionnement du monde. Croire que par la prière on pourrait changer la météo peut être une tentation dans laquelle la religion est souvent tombée ; aujourd’hui nous savons que ce n’est pas possible alors renonçons-y. Certes, bien des gens y ont déjà renoncé, mais il faut aller plus loin, dans les domaines de la fécondité, de la santé physique et autres.

Il est bon que la science remette le religieux à sa place, nous dissuadant d’attendre de la part de Dieu des interventions matérielles dans le monde, et nous permettant de recentrer la prière, la pratique religieuse dans ce qui est du domaine spirituel.

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La science admet ses limites...

Mais la science n’a pas qu’un rôle de bridage de la théologie, ou de la pratique religieuse, elle nous ouvre aussi des horizons extraordinaires. Par exemple, elle nous a permis de dépasser la tyrannie du sens commun. Ceux qui disent qu’ils ne croient que ce qu’ils voient sont aujourd’hui des imbéciles ou des ignorants. Le monde est infiniment plus compliqué que ce que nous imaginons.

C’est une grande chance, parce que la science, aujourd’hui, loin de ne faire que réduire les possibles, les agrandit. La science cesse d’être cette espèce de censeur, froid et sûr de lui, qui seul aurait le droit de dire ce qui est possible et ce qui n’est pas possible, et détenant en lui-même le critère de toute vérité. La science, par exemple, a totalement fait exploser l’idée de l’évidence du sens commun. La réalité apparaît comme étant de plus en plus complexe, et plus la science progresse, plus on prend conscience de tout ce que nous ne savons pas, et même de ce qu’elle ne saura jamais. C’est le début d’une grande sagesse, et elle laisse ainsi bien de la place à d’autres, et aux théologiens en particulier.

Ainsi, la mécanique quantique en particulier est-elle absolument incroyable : elle nous montre que la réalité matérielle se comporte dans le domaine microscopique d’une façon qui n’a rien à voir avec ce que nous pouvions imaginer. On voit ainsi des particules exister à plusieurs endroits différents en même temps, d’autres communiquer entre elles alors qu’aucun signal physique ne les relie, d’autres qui peuvent traverser les murs les plus épais. On voit aussi des objets qui n’ont pas de masse, d’autres sur lesquels le temps n’a pratiquement pas de prise, bref, on est dans un monde inimaginable. Le mérite de tout cela est, en particulier, de montrer que le « sens commun », c’est-à-dire l’idée de bon sens que l’homme de la rue peut se faire de la réalité est fausse quant à la nature même des choses, au moins dans le domaine microscopique. Il n’y a ainsi plus d’évidence, on ne peut plus dire qu’une chose est évidemment possible ou impossible. Cela va même si loin qu’il est étonnant de remarquer qu’il y a un nombre considérable de grands physiciens qui s’adonnent à la parapsychologie, ou qui croient à des choses que le bon sens récuse évidemment. Aujourd’hui la science est infiniment plus tolérante à l’égard d’idées et même de phénomènes non « physiques » qu’elle ne l’a jamais été, c’est une ouverture extraordinaire.

Le versant positif de cette situation, c’est que les scientifiques eux-mêmes sont demandeurs de réflexion sur justement ce qui leur échappe, sur le sens, et sur ce « méta-physique », dont le plus grand nombre devine l’importance. Aujourd’hui, il y a des scientifiques athées, bien sûr, mais dans le fond, ce n’est pas la majorité et c’est rarement leur science qui les rend athées. Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche.

Mais ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi ; bien sûr on peut toujours tout dire et tout justifier si on le veut, mais si l’on reste dans le raisonnable, la science contemporaine a quand même un certain message sur le monde physique dont nous devons tenir compte.

Le problème, c’est que la physique, en particulier, est devenue tellement compliquée et difficile à comprendre par le commun des mortels, que la plupart des théologiens et des philosophes n’osent pas en parler, ou mener une réflexion à partir d’elle. Ou alors s’ils osent, ils se ridiculisent souvent en interprétant de travers telle ou telle théorie. Alors devant ce champ vide, ce sont le plus souvent les scientifiques eux-mêmes qui viennent s’improviser philosophes ou théologiens. Le résultat n’est pas forcément plus heureux. La philosophie est un métier et on ne s’improvise pas nécessairement théologien sous prétexte que l’on est docteur en science. Ainsi, trop des livres qui ont paru de la part de ces scientifiques autoproclamés philosophes partent de considérations extrêmement intéressantes, mais font des développements fort décevants, ou aboutissent à des conclusions enfantines.

Il y a donc nécessité d’un dialogue entre la science et la théologie, mais il est vrai que les conflits sont toujours latents, et qu’il faut d’abord essayer de comprendre d’où ils peuvent venir.

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Les causes du conflit

Orion Nebula and Trapezium Cluster. Photo ESO ©

Le problème avec le discours scientifique sur l’Univers, c’est qu’il a utilisé les mêmes mots que la théologie mais dans des sens différents. Ainsi la science, comme la théologie, parle de l’homme, du monde, de la Terre, du Ciel... mais ce n’est pas pour parler de la même chose.

Par exemple, si l’on parle de la place de l’homme dans le monde, les deux ont des choses à dire. La science va parler de la situation concrète, elle va se demander si la Terre est au centre de l’Univers, si c’est elle qui tourne autour du Soleil, ou si c’est le contraire. La religion, elle, va se poser la question de l’importance de l’homme dans l’Univers sans que ce soit une question de topologie. Mais le problème de la théologie, c’est qu’elle est presque obligée à un moment donné d’utiliser un langage imagé. Ainsi, une certaine théologie peut vouloir prétendre que l’homme est un événement fondamental et central dans le plan créateur de Dieu, dans l’Univers même. Pour dire cela, elle pourra dire, même si c’est symbolique que l’homme est au centre de l’Univers, et donc que la Terre qu’il habite est au centre du système solaire. Cela était possible tant que le champ était libre. Mais quand la science a commencé à s’intéresser à ce genre de choses, les conflits sont apparus.

Ce genre de question devrait être facilement résolu par une bonne théorie du symbole, en comprenant qu’on peut affirmer que l’homme est au centre de l’Univers même si cela n’est pas vrai scientifiquement. Mais certains théologiens ont malheureusement encore une théorie trop réaliste du symbole, et voudraient que toute affirmation théologique soit aussi vraie au sens littéral (le même problème existe pour la lecture des textes bibliques). En fait, l’homme peut très bien être au centre de l’Univers du point de vue théologique sans qu’il en soit ainsi du point de vue géographique ou cosmologique.

De même, dire que l’homme descend du singe est une proposition scientifique défendable, mais d’un point de vue théologique, c’est une absurdité. L’homme ne descend pas du singe, mais de Dieu, parce que ce qui intéresse le théologien, précisément, ce n’est pas la dimension animale de l’homme, mais son expérience en tant qu’être humain libre, capable de choisir, de penser, de se sentir responsable, et de sentir le sentiment de culpabilité qui lui n’a rien à voir avec le singe. Les deux discours ne parlent pas de la même chose, même s’ils utilisent le même registre de mots. Le discours scientifique parle de la description concrète du monde, de l’homme et la théologie parle du domaine du sens, de l’expérience humaine. Et comme ce sont parfois les mêmes mots qui sont utilisés, on demande au penseur moderne d’être, en quelque sorte, bilingue et de pouvoir, à la fois, dire que l’homme descend du singe et pourtant qu’il est bien un fils d’Adam et Ève dans l’expérience qu’il fait de son humanité (ou que l’Univers est apparu par le Big Bang, et pourtant qu’il a bien été créé par Dieu)... mais sans faire de rapprochement entre les deux discours.

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Rencontre de la science et de la théologie

Pourtant, on ne peut soutenir jusqu’au bout cette séparation des deux domaines. Ou alors il faudrait avoir une conception très cloisonnée du monde. Qu’on le veuille ou non, la science et la théologie finissent par se rejoindre à certains endroits. C’est vrai déjà en l’homme qui est le sujet principal (après Dieu) non seulement de la théologie, mais aussi de la psychologie, et à un moment donné, il faudra bien faire l’articulation entre les deux discours. Et même si le théologien se contente de parler de Dieu, à moins d’avoir une conception très philosophique de Dieu, comme sorte d’idéal purement abstrait et inactif, Dieu est considéré comme interagissant dans le monde : la question est donc de savoir comment, et de proposer une théorie qui soit compatible avec la science. Et si l’on parle de prière, comment cela peut-il se concevoir ? Est-ce un transfert d’information, alors ça concerne la science, et de qui vers qui ? Comment cette information est-elle véhiculée ? Il faut bien répondre à ces questions, sinon la prière sera reléguée dans le domaine des méthodes Coué ! (ou dans le meilleur des cas comme une sorte de méditation personnelle)

On pourrait donc garder la religion absolument à l’écart de la science, mais alors il faudrait faire de très graves sacrifices. En particulier, abandonner toute idée de « prière », abandonner l’idée d’un Dieu interagissant dans le monde, pour ne garder qu’un Dieu idéal, philosophique et moral. C’est la tentation de certains théologiens libéraux qui vont vers l’athéisme, en se contentant de voir dans la religion une réflexion sur les idéaux et le sens que l’on peut trouver à sa vie, et la pratique religieuse comme une sorte d’hygiène psychologique intéressante, mais elles-mêmes inaptes à mettre vraiment en relation avec le transcendant.

Pour permettre à la théologie de survivre au côté de la science, il faut savoir de quoi elle parle. Laplace disait : « Dieu, je n’ai pas besoin de cette hypothèse... » Il avait raison, Dieu n’est pas une hypothèse scientifique, il est par définition le méta-physique, ce qui est au-delà du physique.

Là est précisément la question, le monde réel se réduit-il à ce qu’en dit la science, ou à ce qu’elle pourrait en dire ? Certainement pas, on le sait, il n’y a pas que du physique dans ce monde, mais aussi des choses qui sont d’un autre ordre. C’est sans doute la pétition de principe fondamentale du théisme : il y a du « méta-physique », c’est-à-dire des dimensions qui échappent fondamentalement et échapperont toujours à la science. Pour justifier cela, il est tentant d’évoquer des choses qui sont de l’ordre de l’expérience humaine et qui ne sont pas physiques : l’amour, le don de soi, la gratuité, voire la haine. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite, parce que la science ne se réduit pas à la physique, il y a aussi la psychologie, la biochimie du cerveau et l’on pourrait très bien « expliquer » l’amour par des mécanismes et des réactions psychologiques identifiables. Cela n’explique pourtant pas tout et le concept même d’amour, par exemple, est quelque chose d’important dont il n’appartient pas à la seule psychologie de parler.

Peut-être que l’élément le plus essentiel, et qui fonde la théologie, c’est celui de liberté. La question est bien là : tout est-il déterminé par des lois et des mécanismes, où y a-t-il une liberté, dans l’homme, dans le monde, dans l’Univers ? C’est la liberté qui est la faille fondamentale de la toute-puissance de tout discours scientifique. Les hommes de science eux-mêmes ont toujours senti le danger qu’il y avait à envisager l’existence de la liberté dans leur système s’ils voulaient exclure tout autre discours que le leur. Pour Laplace, il n’y avait aucune liberté dans la nature, tout étant déterminé par des lois, et même Einstein était déterministe, refusant que « Dieu joue au dés »... La psychanalyse, aussi, d’une certaine manière, comporte ce risque : poussée à bout par certains extrémistes, elle peut vouloir « expliquer » le comportement de chaque humain par des mécanismes et par son histoire.

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Proposition de théologie à partir de la liberté...

Le point qui me semble capital, en effet, c’est celui de l’existence de liberté (c’est-à-dire d’une certaine indétermination) dans l’Univers. C’est là, et seulement là que peut se glisser la question de la responsabilité pour ce qui est de l’homme, de la création et d’une éventuelle action non physique.

Le point qui me semble capital, en effet, c’est celui de l’existence de liberté (c’est-à-dire d’une certaine indétermination) dans l’Univers. C’est là, et seulement là, que peut se glisser la question de la responsabilité pour ce qui est de l’homme, de la création et d’une éventuelle action non physique.

Il semble admis qu’il y ait dans le monde physique une indétermination profonde, assumée et modélisée par les théories scientifiques mêmes, ce qui rend caduque toute conception « déterministe ». L’expression la plus connue en est dans le « principe d’indétermination » de Heisenberg modélisant une « indétermination » fondamentale dans la réalité même (et pas seulement une « incertitude » qui pourrait provenir de notre manque de connaissance). Par conséquent, même si l’on connaissait toutes les lois physiques possibles du monde, on ne pourrait prédire l’avenir par de simples équations, il y a toujours une indétermination qui demeure et que le temps résout d’une manière ou d’une autre, sans que rien de physique ne détermine cette résolution.

C’est absolument passionnant parce qu’alors le cours du monde lui-même qui se fait dans le cadre strict des lois physiques est sans cesse devant une multitude de possibilités, il peut évoluer d’une manière ou d’une autre, sans que rien ne permette de prédire ce qui va se passer, les solutions étant toutes « physiquement » possibles.

C’est cette même indétermination que l’on retrouve à un degré infiniment plus élevé chez l’homme. L’homme n’est qu’en partie déterminé par ses gènes et son histoire, il y a chez lui une part indéniable de liberté ; il peut choisir de faire une chose ou une autre et cela peut avoir des conséquences assez consi-dé-rables, même du point de vue cosmique. Or l’homme n’est pas étranger à l’Univers, il en est une parcelle, et si l’homme a une liberté, d’où lui viendrait-elle si elle n’existe nulle part ailleurs dans le monde ?

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Il semble donc bien que la liberté, ou tout au moins l’indétermination, est quelque chose de général et d’universel, à des degrés divers. Certes, une pierre a peu de liberté de devenir autre chose que ce qu’elle est, pourtant sur des milliards d’années, nul ne peut dire exactement ce qu’elle deviendra. Donc il y a de la liberté dans le cosmos, et l’homme ne fait que concentrer cette liberté car il en a beaucoup plus que d’autres, et surtout il a une conscience lui permettant d’opérer des choix.

Et si l’on parle de la place de Dieu dans l’Univers, ce n’est, je crois, que là que l’on peut la voir. Certes, les commencements de l’Univers ont fait rêver bien des théologiens qui ont voulu s’emparer du « Big Bang » comme une sorte de preuve de la création ex nihilo par Dieu, mais c’est une démarche pour le moins stérile. D’abord elle est dangereuse, parce que la théorie du Big Bang est parfois controversée, tout comme la thèse d’un commencement absolu de l’Univers. Et puis, même si notre Univers a eu un commencement, vouloir s’en emparer pour y mettre Dieu, c’est, dans le meilleur des cas, tomber dans le Déisme : Dieu alors aurait eu sa place au commencement, mais que ferait-il maintenant, et comment ? Cela ne dispense pas de se poser la question essentielle de savoir comment Dieu aujourd’hui agit sur la Terre.

Or si Dieu agit sur la Terre et dans l’Univers, si Dieu est créateur et agissant dans le monde, il faut pouvoir dire comment. Il me semble que le seul moyen de concevoir l’action de Dieu dans le monde soit précisément dans ces degrés de liberté de la nature. Le monde physique est sans cesse soumis à des indéterminations microscopiques dont chacune ne semble pas essentielle, mais dont l’accumulation sur des millions et des millions d’années peut avoir un effet considérable.

Nebula in magellanic cloud. Photo ESO ©

Il est en effet curieux de voir que l’Univers, qui est soumis à des lois physiques qui vont dans le sens global de la dégradation, connaisse, au moins localement, une organisation croissante, et des complexifications. Aujourd’hui, des physiciens disent que l’Univers est soumis à des lois physiques, mais qu’il y a aussi nécessairement en lui une « tendance à la complexification » qui est d’un autre ordre. Et bien, le chrétien peut voir dans cette « tendance à la complexification » une image de Dieu lui-même. Comme si l’Univers évoluait, tenu presque totalement, mais pas complètement, par des lois physiques, et qu’il était soumis à une sorte de puissance évolutive, un souffle qui le pousse sans cesse dans un sens particulier. Dieu serait ainsi comme pipant sans cesse les dés du hasard auquel est soumis le monde. Si les indéterminations se résolvaient simplement par hasard, rien n’en sortirait. Mais justement, il y a sans cesse un décalage infime qui finit par s’accumuler parce qu’il va majoritairement dans le même sens, et finalement permet de créer des réalités nouvelles.

Il semble qu’une conception scientifique de l’Univers ne permette pas de concevoir un Dieu agissant très matériellement et rapidement dans l’Univers, un Dieu pouvant faire des miracles comme des interventions concrètes, et encore moins en allant à l’encontre des lois de la nature. Il faut donc renoncer à l’idée un peu moyenâgeuse d’un Dieu tout-puissant, personnel, et agissant comme un surhomme avisé dans le monde. Cependant, l’image de Dieu comme un souffle créateur poussant l’Univers depuis des millions d’années dans une certaine direction nous donne un Dieu véritablement créateur, et agissant dans le monde. Dieu est infiniment puissant, mais sa puissance ne s’exprime que très lentement, parce que les marges laissées par les lois physiques ne sont que très faibles.

Quant à l’homme, on peut penser qu’il est soumis, lui aussi, à cette puissance créatrice, comme toute partie de l’Univers, mais qu’il a en plus, de par sa sensibilité et son intelligence, la capacité à la saisir, la ressentir, et se laisser transformer par elle infiniment plus que quoi que ce soit dans l’Univers. Ainsi l’homme a non seulement plus d’indétermination et de liberté que tout objet de l’Univers, mais il peut aussi profiter plus que tout de la puissance créatrice de Dieu. Il est comme un amplificateur local d’une puissance cosmique universelle. Cela se fait par la prière, qui est sans doute la manière humaine d’essayer de s’exposer et de se laisser transformer par cette puissance cosmique qui a créé le monde, et aussi par son intelligence qui lui permet d’essayer de la comprendre. C’est ainsi que l’on peut faire le lien entre ce Dieu cosmique et le Dieu de la foi, lien qui manque à tant de théologies qui ont tendance à parler soit d’un Dieu cosmique comme principe un peu philosophique mais avec lequel nous n’avons aucune relation, soit comme un Dieu de notre sentiment, mais dont nous ne savons pas comment ce Dieu là pourrait avoir une quelconque place dans notre vision de l’Univers. feuille

Louis Pernot

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