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Numéro 202
Octobre 2006
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Le premier roman de S. de Beauvoir : Anne, ou quand prime le spirituel, vient enfin d’être publié. Ce titre nous interpelle. L’auteur montre avec le destin de cinq femmes, les dégâts causés par une religion purement spirituelle et désincarnée.

Simone de Beauvoir
ou Quand prime le spirituel !

Il y a vingt ans, mourait Simone de Beauvoir. On a inauguré à Paris en juillet dernier une passerelle Simone de Beauvoir reliant la Bibliothèque François Mitterrand au Parc de Bercy ; beau symbole que cette passerelle, sorte de trait d’union entre les livres et la nature qui occupèrent tant de place dans son existence. Les livres lui valurent le Prix Goncourt, en 1954, avec Les Mandarins ; la nature, elle, donne à toute son oeuvre une ferveur et une tonalité dominées par l’amour de la vie et de la terre. Sur 37 ponts de la capitale, c’est le seul, a-t-on dit, qui porte le nom d’une femme ; est-ce là un hommage indirect à ce féminisme qui fut le sien et qui a marqué notre époque ? Certes, mais n’oublions pas le Pont Marie !

un homme et une femme regardent la mer © Sigrid Schmerzeck - FotoliaVient enfin d’être publié en poche son premier roman : Anne, ou quand prime le spirituel (Gallimard, « Folio » 4360). Le manuscrit inédit, refusé par Gallimard et Grasset en 1938, s’intitulait – pour plagier et moquer le titre d’un livre fameux du philosophe Jacques Maritain – Primauté du spirituel. Voilà un titre qui ne saurait nous laisser indifférents. Ce roman, il est vrai, est déjà paru en 1979 ; il est passé inaperçu et cela peut-être à cause de son titre : Quand prime le spirituel. Le prénom (Anne) signale désormais qu’il ne s’agit pas là d’un essai, mais bien d’un roman. Ce dernier est constitué par cinq nouvelles consacrées à autant d’héroïnes (Marcelle, Chantal, Lisa, Anne et Marguerite) dont les destins se croisent à travers l’ensemble du récit. Anne rappelle surtout Elisabeth Lacoin (Zaza dans les Mémoires d’une jeune fille rangée), morte à l’âge de vingt-deux ans, amie d’enfance et de jeunesse de Simone de Beauvoir. « Encéphalite aiguë », dirent alors les médecins. Simone de Beauvoir a toujours interprété cette mort comme la conséquence ultime d’une vie écrasée, étouffée et niée par le moralisme chrétien de sa famille et de son milieu. Un sentiment de culpabilité et de révolte l’habita profondément depuis ce jour : « J’ai pensé longtemps que j’avais payé ma liberté de sa mort. »

Le but de cette narration est d’évoquer la jeunesse de cinq femmes victimes de préjugés religieux, de conventions sociales, de soumissions diverses où domine l’aliénation religieuse : le présent et l’histoire sont sacrifiés à la vie éternelle, le corps à l’âme, la terre et l’univers matériel au Ciel et aux exaltations mystiques. Une résignation et un morne destin s’annoncent, éteignant par avance les promesses de l’aube. Une remarquable prière (p. 203-209) est à cet égard, à savoir celui d’une passivité fataliste, un modèle du genre. Il ne s’agit pas là de condamner les valeurs, mais bien les valeurs toutes faites, préétablies, imposées et inculquées sans droit d’inventaire. « J’ai voulu montrer seulement comment j’ai été amenée à essayer de regarder les choses en face, sans accepter d’oracles, de valeurs toutes faites », déclare Marguerite, à la dernière page ; elle ressemble beaucoup à l’adolescente que fut Simone de Beauvoir, résistant à une éducation et à un christianisme qui signifiaient pour elle hypocrisies religieuses, illusions et fuites, refus d’un monde que nous n’avons pas choisi, mais dans lequel on peut se choisir et s’engager librement en refusant d’évanescentes et confortables spiritualités héritées.

Quand, en 1902, le pasteur Wilfred Monod publie un recueil de prédications intitulé Sur ta terre (et non pas Vers le Ciel ! ), c’est un christianisme social qu’il promeut, s’opposant alors et déjà à cette religion désincarnée rejetée par Simone de Beauvoir. feuille

Laurent Gagnebin

On pourra lire : Laurent Gagnebin, Simone de Beauvoir ou le refus de l’indifférence, Fischbacher, 1968 (épuisé), préface de S. de Beauvoir conclue par « On me lira mieux, vous ayant lu ».

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