Ce matin je me suis
habillé. Avez-vous remarqué que « habit »
et « habitude » ont la même racine ? Comme si shabiller
signifiait « revêtir les habitudes »
Imaginons un instant une vie sans habitude : il nous faudrait
décider, librement, de respirer à chaque instant. Un moment
de relâche dans le processus de décision et crac
la catastrophe. Imaginons une société sans habitude. Je
pars en vacances quand JE le décide, JE décide que sur
lautoroute, aujourdhui JE roulerai à gauche. Et crac
la catastrophe ! Bref, une société sans habitude, une
vie de liberté totale est faite dego surdimensionnés,
victimes de leur propre liberté.
Inversement, une vie peut sétouffer par
excès dhabitudes. Si toutes mes journées se ressemblent,
le bilan au soir de ma vie sera terne. Jaurai nié le temps,
et ses occasions de créativité, de surprises, de rencontres.
Jaurai survécu dans les mêmes habits, entre gris
clair et gris foncé, mais toujours en gris. Il en va de même
dans toutes les sociétés humaines. Combien de «
on a déjà essayé », « on na pas
lhabitude de faire comme ça » ? Combien de peurs,
voire dangoisses devant les changements ?
La force des Réformateurs protestants du XVIe
siècle fut précisément davoir remis les «
habitudes » à leur juste place. La tradition est pour eux
un enrichissement, sans plus. Elle maide à interpréter
le texte biblique, à me forger des convictions. Mais elle nest
pas une autorité imposée qui supprime ma liberté.
On ne mesure sans doute pas assez limportance de
cette « posture protestante », bien au-delà du champ
théologique. Écouter la tradition, tenir comptes des «
habitudes », sans en faire lobjet dun dogme me rend
vraiment libre. Je cesse de magiter en croyant que je dois tout
inventer, mais je cherche à interpréter les événements
de ma vie et du monde. Lhistoire est nourricière mais elle
nest pas un argument dautorité.
Chaque matin, en fonction de ma « garde-robe »
(curieuse expression pour un homme
), jai une palette de
choix pour mhabiller. Promis, demain matin, je réfléchirai
avant de choisir mes « habits » et mes « habitudes
».
Jean-Marie
de Bourqueney