Noël est aujourdhui
fêté dans le monde entier, cest la fête chrétienne
la plus populaire, celle dont en principe notre calendrier marque
le deuxième millénaire. Noël vient
du mot latin natalem, accusatif de ladjectif natalis, relatif
à la naissance ; autrement dit, Noël célèbre
la naissance de Jésus, censée avoir eu lieu il y a exactement
deux mille ans. Mais, à y réfléchir un peu, il
est improbable que lévénement soit célébré
depuis cette naissance. On doit donc sinterroger sur lorigine
de la fête de Noël.
La naissance de Jésus
Ce nest quau sixième siècle de notre ère
quun moine vivant à Rome, Denys le Petit, fixe la naissance
de Jésus le 25 décembre de lan 753 de la fondation
de Rome et en fait le début de lère chrétienne,
dans laquelle nous vivons aujourdhui. En réalité,
Jésus est plutôt né avant la mort dHérode
le Grand (749 de Rome, soit -4). Selon Matthieu, Jésus serait
né avant le remplacement dHérode par Archélaüs,
donc vers -6 ; mais selon Luc, ce serait au moment du recensement
de Quirinius qui a eu lieu au moment de la déposition dArchélaüs,
en +6. Lannée choisie par Denys correspond ainsi à
une moyenne entre ces données contradictoires, mais on ne connaît
pas le détail du calcul de Denys.
Denys fixe donc tardivement lannée, mais la fête
de Noël existe déjà. Elle est cependant postérieure
à la rédaction des évangiles : les récits
de la naissance (Matthieu 1-2 ; Luc 1-2) sont écrits après
ceux du ministère, vers lan 100. Or, à cette date,
les chrétiens ne fêtent pas encore cette naissance, et
rien ne suggère que lévénement ait eu lieu
en hiver. En somme, Noël nexiste pas comme fête avant
le deuxième siècle.
Le substitut de la fête païenne du solstice dhiver
La fête de Noël est, en revanche, bien attestée
au début du quatrième siècle, lorsque lempire
romain se christianise ; et lon observe alors quelle remplace
progressivemnt la fête romaine des Saturnales qui est une fête
de la lumière célébrant le moment de lannée
solaire où les jours recommencent à sallonger.
Symboliquement, le solstice dhiver marque la victoire de la
lumière sur les ténèbres et le jour est donc
célébré dans la joie.
Mais pourquoi cette substitution ? En quoi la fête du solstice
dhiver est-elle disposée à devenir celle de la
naissance du Sauveur, devenu la référence de la nouvelle
religion de lEmpire ? Certes, il existe bien un lien entre la
joie de lallongement des jours et lespoir que suscite
la naissance du Rédempteur du monde ; mais cela nexplique
pas la rapidité avec laquelle la fête de Noël devient
une fête populaire. Ainsi, la fête de Noël se substitue
à celle des Saturnales ; mais elle na pas comme seule
origine la fête romaine païenne du solstice dhiver.
Lorigine juive de la fête
Dans son livre Le christianisme de Constantin à la conquête
arabe (Paris 1997), P. Maraval signale que la fête de Noël
est attestée avant le quatrième siècle dans plusieurs
régions de lempire et notamment en Orient. On songe alors
à un autre rapprochement : une continuité probable existe
entre Noël et une fête juive qui est célébrée
en décembre et commémore un événement
essentiel, linauguration (ou la dédicace) du Temple de
Jérusalem, en décembre -164, par Judas Maccabée,
trois ans après sa profanation par le roi Antiochus IV Epiphane
qui voulait mener à son terme lhellénisation des
Juifs. Cest la fête de Hannouka. Lévénement
commémoré eut lieu le 25 qisleu, correspondant au 15
décembre.
Il y avait donc depuis les origines du christianisme une fête
que les fidèles dorigine juive continuaient de célébrer
en décembre et qui marquait le début dun temps
nouveau. Elle est mentionnée dans Jean (10, 22) en ces termes
: On célébrait alors la fête de la Dédicace.
Cétait lhiver. Puis, au tournant du premier
siècle, après la rédaction des récits
de lenfance, lidée vient sans doute à certains,
sans quaucun témoignage direct nous en soit conservé,
dassocier la naissance de Jésus à cette fête,
en raison de la proximité de sens des deux événements.
Et pendant deux siècles, cette association demeure linitiative
locale de quelques communautés qui ne sétend pas
à lensemble de la chrétienté ; en particulier
dans les grandes villes elle nest pas attestée. Dautant
quaprès 135, le judaïsme se décentre de Jérusalem
à Babylone et perd de son importance dans lempire romain.
Au début du quatrième siècle, la persécution
de Dioclétien montre que le christianisme est devenu un dangereux
concurrent pour les autres religions candidates à succéder
à la religion païenne qui se meurt. Le lien avec la fête
juive de linauguration du Temple se perd, mais le sens se maintient
: la fête païenne que Noël remplace est moins riche
de sens. Par la suite, le christianisme oublie ses origines juives
jusquà vouloir forcer lassimilation et la conversion
de ceux-ci, quand ce nest pas leur élimination par lexil
ou la mort ; les conditions ne sont donc pas favorables à reconnaître
une origine juive à une fête aussi populaire. Le lien
est donc progressivement effacé.
Ce lien est pourtant dune grande pertinence.
C.B.
Amphoux,
Bernard Felix