Il y a quelques mois, disparaissait
André Chouraqui qui fut bien connu dans les milieux religieux,
notamment pour ses traductions en français de la Bible et du
Coran ; traductions très osées qui ont irrité bien
des exégètes et enchanté dautres.
Un homme de réconciliation
André
Chouraqui est né en 1917 en Algérie dans une vieille famille
juive. Jeune, il était déjà frappé par la
coexistence des trois communautés juive, musulmane et chrétienne
qui signoraient et se méprisaient plutôt sur cette
même terre algérienne. Il monta à Paris en 1938
pour y suivre des études de droit quil compléta
par des études rabbiniques. Résistant, il vit trop de
camarades partir, broyés par la shoah. Ceci le pressa de travailler
au rapprochement des trois religions « du livre ». En 1957,
il émigra en Israël, devint conseiller de David Ben Gourion,
puis maire adjoint de Jérusalem, chargé de la culture.
Ce plongeon dans la langue, la tradition et les paysages hébraïques
lui permit de mieux simprégner des textes bibliques, au
point que, dans le courant des années 70, il traduisit en français
toute la Bible, Nouveau Testament compris. Il voulait que ce travail
aide les chrétiens à mieux comprendre leurs racines spirituelles
et culturelles juives et aide les juifs à mieux comprendre limportance
de lhistoire de Jésus pour leur propre histoire.
Une traduction audacieuse
Chouraqui a voulu secouer la poussière qui recouvre des siècles
de traduction convenue et qui finit par ternir le sens ou lassocier
à une compréhension trop occidentale et déjà
orientée vers les dogmes. Il sest replongé dans
les racines hébraïques pour essayer de trouver les mots
français qui exprimaient le mieux ces racines. Au besoin, il
les a inventés. Il a voulu conserver les nombreux jeux de mot
de la langue. Sagissant du Nouveau Testament, il a recherché
le concept sémitique qui perçait sous chaque mot grec.
Tout traducteur est pris entre des exigences contradictoires : être
fidèle au texte, ou bien être compris et apprécié
de ses lecteurs. À nen pas douter, Chouraqui a choisi la
fidélité au texte, une fidélité très
littérale. Tant pis pour le lecteur qui devra par moments batailler
pour comprendre. Notre savant a voulu rendre à lOrient
un livre complètement oriental. Il demande donc au lecteur de
se déplacer vers un texte un peu aride pour lui, plutôt
que de le lui offrir sur un plateau.
Nous avons donc de belles réussites, et des passages plus
ou moins difficiles à avaler.
On accepte volontiers que le Saint-Esprit soit « le souffle
sacré » ; quAdam soit traduit par « le glébeux
», pour conserver le jeu de mot avec la glèbe (ou la terre
: adama). On peut aimer le début des béatitudes de Matthieu
: « En marche, les humiliés du souffle ». Que la
foi soit signifiée par « ladhérence »,
passe encore. Mais lorsque la compassion est exprimée par «
la matrice », sous le prétexte quentrailles et amour
ont la même racine hébraïque, cela commence à
devenir insolite.
La Bible de Chouraqui peut être utile comme instrument de travail,
pour aider à se rapprocher de certains sémitismes ayant
forgé le texte biblique. Mais, pour la lecture du soir, pour
une lecture édifiante et reposante, mieux vaut nos bonnes Bibles
auxquelles nous sommes si bien habitués.
par Henri
Persoz