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Numéro 201
Août-Septembre 2006
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Les mots sont lourds de sens. Leur usage en dit long sur les manières de penser. Aujourd’hui, nous nous penchons sur le mot grec « ethnè ». Nous montrons comment l’apôtre Paul a voulu sortir de son sens étroit pour entraîner le christianisme vers un certain « universalisme ».

Nations, Peuples, Eqnh, Païens

Le mot grec « ethnos » se traduit par peuple, nation. Il est bien connu, puisqu’il est la racine de l’expression française « ethnie » qui signifie un groupement humain uni par une même langue et une même culture. La Bible hébraïque parle déjà de ce concept. Au singulier, c’est le peuple d’Israël ; au pluriel, ce sont les autres peuples. Distinction importante puisque cette Bible a commencé à prendre forme au moment de la grande dispersion provoquée par l’exil à Babylone. À la fin de cet exil, les uns sont restés à Babylone, les autres sont revenus en Israël, les troisièmes ne l’avaient pas quitté, les quatrièmes avaient fui en Égypte. Il faut rassembler tout ce monde pour constituer un nouveau peuple ayant le même Dieu, la même histoire et les mêmes ancêtres. « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » clame le prophète Ézéchiel.

Dans ce Proche Orient ancien, chaque peuple avait son dieu. Le dieu d’Israël était Yahvé. Les autres peuples avaient d’autres dieux. La foi en Yahvé était donc complètement liée au fait d’appartenir à la nation d’Israël. Le politique et le religieux étaient indissociables. C’est au point que parfois la TOB traduit un des mots hébreux signifiant « les peuples » (goïm) par « les païens » (Ps 67,3).

Le Second Testament hérite de cette façon de voir : ethnos au singulier signifie la nation juive ; ethnê au pluriel les autres nations, les non-juifs. Lorsque ethnê est employé dans un sens plutôt politique, les traducteurs ont mis « nations ». Si le sens leur a semblé religieux, ils ont mis « païens ». Par exemple, en Matthieu 6,31, Jésus demande de ne pas s’inquiéter du boire et du manger « comme le font les païens ». Il s’agit en fait des ethnê, des autres peuples. La version Segond traduit plus pertinemment par « non-juifs ».

Les évangiles, en général, manifestent un certain manque d’ouverture, vis-à-vis des autres nations. Aujourd’hui, comme autrefois, chaque peuple a du mal à supporter les autres. Il a tendance à s’enfermer sur lui-même. Mais Jésus, à l’intérieur de ce cloisonnement, est assez ouvert aux non-juifs. Il guérit le serviteur du centurion romain et la fille d’une Cananéenne, il parle à la Samaritaine, etc.

Le véritable décloisonnement du christianisme naissant est venu de l’influence de la diaspora juive, ouverte à la culture grecque. L’apôtre Paul en est la figure emblématique ; n’est-il pas l’apôtre des païens ou des nations, selon les traductions ? Juste après la mort de Jésus, les chrétiens faisaient évidemment partie de la nation juive. Mais voilà que, progressivement, des étrangers se convertissent aux idées de Jésus, alors qu’ils ne sont pas juifs. « Que viennent donc faire ces nouveaux venus qui veulent suivre Jésus alors qu’ils ne sont pas de chez nous ? » se demandent les chrétiens restés profondément dans le judaïsme. On ne peut pas aimer nos idées nouvelles sans se plier aussi aux usages hérités de nos ancêtres. Ceci fut à la base d’une grande brouille entre les judéo-chrétiens de Jérusalem et les pagano-chrétiens d’Asie Mineure, soutenus par Paul. L’apôtre fit très clairement entrer les « ethnê » dans son Église, favorisant ainsi l’éclatement des limites traditionnelles entre les nations. Il a voulu que les personnes ne soient plus qualifiées par leur appartenance « ethnique » mais par leur croyance, ce qui n’est plus superposable (Il n’y a plus ni juif, ni grec). Pour entrer dans le christianisme, il n’est plus nécessaire de faire partie de la nation juive, mais il suffit de croire que Jésus est la voie pour le salut du monde. On ne se rattache plus à un système religieux par hérédité, mais par un choix personnel. Paul a appris à ses contemporains à sortir de cette habitude de se situer par rapport à son appartenance ethnique, pour se situer plus pertinemment par rapport aux valeurs que l’on défend.

Aujourd’hui, avec tous les problèmes entre les peuples, nous devrions aussi réapprendre cela. feuille

Henri Persoz

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