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Numéro 199 - Mai 2006
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Directeur de la Fraternité Belle de Mai à Marseille (Mission Populaire Évangélique), le pasteur Roberto Beltrami réfléchit à la responsabilité de l’individu face au sentiment d’impuissance que chacun peut ressentir dans la société. D’une certaine façon, il nous interpelle en nous invitant à vivre notre liberté à travers notre responsabilité individuelle.

L’individu face à la société

Les personnes que je rencontre me mènent à ce constat : nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout semble nous contraindre. Dans la plupart des domaines nous ne savons plus sur quel levier agir pour essayer de donner un peu de sens nouveau au monde qui nous entoure. Comment rendre la terre habitée plus habitable ?

Nous sommes constamment soumis à des règles et des obligations de tous ordres. Le bon sens n’est plus le mieux partagé, les élans du cœur sont des coups d’épée dans l’eau, la liberté individuelle ne semble plus de mise. Sentiment d’impuissance généralisé, lassitude, égoïsmes… et la France qui déprime. La crise ? Il faut s’y résoudre ! La guerre économique ? Une fatalité à laquelle on n’échappe pas si l’on ne veut pas être dévoré par les autres ! Le chômage ? Une situation regrettable mais normale ! La crise du logement social ? La loi permet à certaines communes de s’affranchir de l’objectif propre de la loi. Nous ne pouvons rien ; en attendant bonne chance à tous ! Les bons sont là, les méchants ailleurs, voilà l’ordre des choses. Et pourtant c’est ici et maintenant que s’inscrit la responsabilité de l’homme.

La responsabilité individuelle n’est pas innée

Dans la première partie de La Généalogie de la morale, Nietzsche écrit, à propos de l’histoire des origines de la responsabilité, que la responsabilité n’est pas innée : elle n’appartient pas à l’être de l’homme comme une propriété naturelle. C’est la société qui dresse et rend responsable cet animal « nécessairement oublieux » qu’est l’homme, en lui imposant la discipline du devoir.

Dans les sociétés tribales, comme celle décrite dans le Premier Testament, face à un problème, un responsable était toujours désigné : le bouc émissaire ou un groupe rival. Aristote est le premier à affirmer que l’homme doit répondre de ses actes dès lors qu’il en a pris l’initiative. Il serait pourtant injuste d’associer l’idée de sanction uniquement au concept de responsabilité. En effet cette dernière est essentiellement positive : exercer sa responsabilité, c’est aussi éprouver la joie d’exercer sa force, son esprit d’entreprise, son initiative. La responsabilité est la fierté de l’homme et de la femme libres. C’est la responsabilité individuelle qui fait qu’un être est véritablement un être humain et non un automate entre les mains d’un pouvoir ou un simple produit du milieu dans lequel il vit.

La responsabilité face au déterminisme

L’usage courant du mot « responsable » ne remonte qu’au XVIIIe siècle. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, pratiquement tous les grands philosophes sont d’accord sur cette notion de responsabilité individuelle. Cependant dès la seconde moitié du siècle, la plupart des penseurs (sociologues, psychanalystes et biologistes) vont développer une contre idéologie, celle du déterminisme : l’être humain ne jouissant pas vraiment de son libre arbitre ne serait pas complètement responsable de ses actes. Cette pensée a fait naître une nouvelle notion, celle de responsabilité sociale ou collective, dont certaines interprétations sont très inconsistantes voire grotesques quand elles sont poussées à l’extrême. Ce processus finit souvent dans une des plus grandes injustices, celle de culpabiliser des innocents afin de protéger d’authentiques responsables individuels.

Ce type de socialisation des responsabilités provoque l’affaiblissement de la responsabilité individuelle. En effet, en proclamant le « droit au travail », le « droit à la santé » ou le « droit » à quoi que ce soit, cette notion pourtant originellement égalitaire a lentement dérivé pour se transformer en une passivité de l’homme envers la société dans laquelle il vit.

L’essentiel de cette déresponsabilisation de l’individu est causé, entre autres, par cette philosophie sociale bien pensante qui conçoit l’homme comme étant principalement un produit de son environnement matériel. Cette approche revient tôt ou tard à s’en remettre au pouvoir pour toutes les décisions. Or rien ne montre que le pouvoir prenne des décisions meilleures que des individus éduqués à l’exercice de la responsabilité individuelle.

Une réponse nécessairement personnelle

Si être responsable, c’est répondre de ses actes, c’est aussi « se porter garant » et cela implique au moins trois qualités :

  • le discernement qui consiste à reconnaître les différentes interprétations possibles des faits, des phénomènes ou des mots, en commençant par reconnaître en nous-mêmes cette multiplicité de sens.
  • le positionnement qui implique de ne pas nous réduire aux conditionnements de notre environnement, de ne pas nous y conformer par automatisme. La responsabilité est un engagement de notre liberté. Le positionnement est l’acte qui nous engage dans un sens vis-à-vis des situations ou des problèmes de la vie et de notre monde.
  • le fait de se sentir concernés qui implique de nous mêler de la position des autres, du sens de leur propre engagement, non pas pour les conditionner mais pour les interpeller, les solliciter par notre propre témoignage, celui de nos discours et de nos actes.

Aussi bien en tant qu’êtres humains qu’en tant que chrétiens, la manière dont nous nous sentons responsables et la manière dont nous agissons pour exercer notre responsabilité peut influencer le monde dans lequel nous vivons. Nous sommes les acteurs de notre propre vie évoluant dans de multiples environnements, jouissant toujours d’une certaine liberté, d’une marge de manœuvre et d’autonomie, à l’intérieur de laquelle on peut agir. S’il y a défection du sujet, il y a annulation de l’acte : sans sujet, pas de verbe. Chacun reste responsable de ses actes. Tant qu’on recherchera des excuses sociologiques et qu’on ne mettra pas en cause la responsabilité individuelle, on ne résoudra rien. Nous avons donc un devoir envers nous-mêmes, indissociable d’un devoir envers les autres : celui d’assumer et de supporter soi-même les conséquences de ses actes ou de ses décisions sans imposer aux autres d’en porter le fardeau. Le Dieu qui demande à Caïn « où est ton frère ? » est un Dieu qui rend l’individu responsable, qui le rend conscient de ses actes, de ses paroles et des conséquences qui en découlent. Le même Dieu qui parle à travers le Christ Jésus en disant « aime ton prochain comme toi-même » et « va et fais de même » continue à nous pousser dans le même sens. Il s’adresse à des individus qu’Il rend allègrement responsables. Le même Dieu inspire l’apôtre Paul pour nous dire dans plusieurs textes comme celui de Galates 5, que nous pouvons assumer nos responsabilités en toute confiance car, au préalable, Dieu nous a rendus libres.

Une tendance insidieuse est d’éparpiller la conscience de la responsabilité sur le compte de la société au lieu de la diriger un peu plus sur l’individu. Nous sommes passés du « responsable-coupable » au « responsable mais pas coupable » pour finir dans le « ni responsable ni coupable ». Certaines méthodes de prévention entretiennent, parfois par inadvertance, une culture de l’indulgence qui déresponsabilise les individus. Par exemple le fait de concéder trop facilement la circonstance sociologique lors d’une infraction alors que nombre d’individus dans les mêmes conditions sociales ne commettent aucun délit.

Afin de sortir de l’aveuglement collectif et des comportements irresponsables et désastreux (incivilité, démission parentale, lâcheté politique, « accros » à l’assistance…), nous pourrions commencer par parler un peu moins de la responsabilité d’une manière générale et un peu plus de responsabilité individuelle. Humainement parlant, l’individu est la seule instance pensante et consciente d’elle-même où vit une intention, s’effectue un choix, se prend une décision et s’exerce une volonté agissante. Je crois que nous sommes encore, grâce à Dieu, maîtres de notre destin dans la vie de tous les jours, dans nos choix, dans nos Églises : plus nous assumons notre responsabilité individuelle, plus nous sommes libres. feuille

Roberto Beltrami

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