J.T. : Avant de répondre à vos questions, il me paraît
utile de signaler mon itinéraire marqué par les circonstances
traversées : enseignement et vie militante, guerre et résistance,
mouvement de jeunesse et carrière civile. Mon adhésion
à la maçonnerie et le choix du protestantisme libéral
ensuite ne furent pas dus à une tradition familiale, mais résultent
dun acte délibéré. Pour lun, la recherche
dun compagnonnage, pour lautre, le besoin dune pratique
religieuse à la suite dune rencontre fortuite avec la «
transcendance », pour faire court.
L.G.
: Quelles sont les principales caractéristiques qui vous attachent
à la maçonnerie ?
J.T. : Je navais pas beaucoup de connaissances sur le sujet
en entrant. Jai conservé la même loge et les ateliers
qui lui étaient rattachés, jai connu la maçonnerie
féminine et celle qui est mixte. Jai visité de nombreuses
loges de diverses obédiences en Europe, Asie, en Amérique
du Nord et Sud. Deux qualités mont toujours paru dominer
cette pratique.
- La tolérance vraie, cest-à-dire le respect
porté au frère ou à la sur, son écoute
qui peut permettre de nouer un dialogue enrichi de nos différences.
- La recherche parfaitement libre de la « vérité
» par chacun et lincitation à se perfectionner
et à se cultiver. En un mot, une société fraternelle
de pensée ouverte, car, pour moi, la maçonnerie est
plus « séculière » qu « ésotérique
». Il ny a place en loge pour aucune liturgie ou prière
de quelque sorte. Le symbolisme est un rappel de lorigine corporative
des loges. Il fut enrichi et développé selon un imaginaire
qui a pu donner lieu à contestation ou refus.
L.G. : Cet engagement vous apporte-t-il quelque
chose qui ne se trouve pas dans le christianisme ?
J.T. : Excellente question, si jen juge par les activités
des Églises ou mouvements regroupés dans la Fédération
protestante de France, par exemple. Je ne place pas sur le même
plan lengagement maçonnique et la vie chrétienne
(ou religieuse). Sans faire de prosélytisme, je ne cache pas
mes options fondamentales. Il ne faut pas tout mélanger et penser,
par exemple, que la maçonnerie est une religion de substitution.
Comme la maçonnerie nénonce aucun principe (ou
dogme) dans le domaine de la croyance, elle permet à celui qui
a une religion de rencontrer dautres religions et les athées
déclarés ou pratiques qui dominent en nombre notre société.
L.G. : Quels sont pour vous les liens entre
la maçonnerie et le protestantisme libéral ?
J.T. : À certaines heures, il se manifeste dans la vie de la
loge une sorte de communion des esprits qui nest pas sans rappeler
le partage affectif au cours de la Cène. Ce peut être dangereux
si on en fait une manifestation provoquée par quelque «
gourou ». De façon plus habituelle, le maçon apprend
à dialoguer avec ordre. Cest moins fréquent, voire
inexistant, dans les temples. Aussi, les protestants portent quelque
responsabilité dans la création de la maçonnerie
au XVIIIe siècle, au temps des Lumières. Le protestantisme
libéral et la maçonnerie, même très séculière
ou rationaliste, ne sont pas très différents dans leurs
visées, à savoir que ce qui a été donné
est en avant de nous, une sorte dappel à la prophétie
ou à lutopie, lattente intelligente et parfois anxieuse
des temps dune histoire humaine portée soit par une «
Révélation », soit par une « Idée »
plus vraie, plus fraternelle de lhumanité. Lhumanisme
est alors un point commun entre la maçonnerie et le protestantisme
libéral. Le temps dune pensée réellement
universaliste, celui du renouveau et de louverture, est inscrit
comme une nécessité impérieuse alors que tout vacille.
Jean
Taillefer
Propos recueillis par Laurent Gagnebin