logo d'Évangile et Liberté

Numéro 195 - Janvier 2006
( sommaire )

Dialoguer

L’hindouisme, dont le bouddhisme est l’héritier, est peut-être plus une voie de libération personnelle qu’une religion à proprement parler. Il nous est présenté par Sarva Atma Mithra. Ce professeur de yoga, ingénieur en mécanique automobile et psychothérapeute a fondé en 2003 Maïthri Mandir, association de solidarité et d’échange entre la France et le Kerala (province du sud de l’Inde).

L’hindouisme : une rencontre du Soi ultime

L.G. : Y a-t-il dans l’hindouisme une tradition libérale (hindouisme d’ouverture) et une tradition conservatrice (« orthodoxe ») ?

S.A.M. : Oui. Tout d’abord il faut savoir que l’hindouisme actuel est né de la rencontre entre les Aryens (les tribus nomades venues de l’Asie centrale) avec leur védisme (orthodoxe) et l’ensemble de la culture dravidienne (le peuple autochtone, d’origine indienne). Comme le védisme est la religion des envahisseurs, il a cherché à imposer sa croyance au peuple dravidien, mais en vain. La raison en est très simple : les dieux des aryens sont toujours des dieux qui se cachent derrière des phénomènes naturels comme Indra (dieu de la pluie), Varuna (océan), Agni (feu) etc. et il faut faire des rituels et des sacrifices aux dieux pour obtenir des faveurs ou obtenir le paradis.

Sarva Atma MithraNous ne pouvons pas utiliser dans l’hindouisme le mot dieu dans le même sens que dans les religions monothéistes. Le mot qui correspond est sat chit ananda (existence-conscience-félicité). Pour le dravidien, il n’y a pas de dieux hormis la nature qui est sacrée ou le soi, qui est identique au Soi cosmique. La nature est sacrée parce qu’elle est le corps de l’absolu, le soi universel. L’univers est considéré comme la manifestation du divin. Les différentes divinités représentent différents états de conscience. Vishnu, par exemple, représente la subjectivité, la conscience en état de rêve. Tandis que Shiva représente le sommeil profond. En nous identifiant à Vishnu nous devenons capables de sortir du rêve et de l’illusion. Il faut s’identifier à Vishnu. Nous sommes Vishnu. Mais nous ne sommes pas assez éveillés pour voir le rêve comme un rêve. Dans ce rêve, nous oublions notre véritable identité et nous croyons que nous sommes notre corps, et nous fabriquons une personnalité construite sur la mémoire de notre passé. Tant qu’on ne se réveille pas de ce sommeil, notre rêve continuera dans d’autres corps, après la mort de ce corps-ci. Il n’est pas question d’atteindre le paradis, mais plutôt de libérer le Soi des entraves de la transmigration perpétuelle. Ces deux formes d’adoration : celle d’un dieu omniprésent sous toutes les formes ici-bas, ou celle du soi dans différents états de conscience, comme Vishnu ou Shiva, étaient inconnues des Aryens.

Les maîtres dravidiens posent cette question : d’où vient la lumière qui éclaire nos rêves ? Cette question n’a jamais préoccupé les Aryens, alors que la recherche dravidienne s’en trouve tournée vers l’étude de la conscience, qui offre la possibilité d’expérience personnelle, sans souci d’appartenance à une croyance. Les croyances sont des obstacles à la quête de Soi, et l’enferment.

De la rencontre avec les traditions dravidiennes, comme le Jaïnisme, le Tantrisme, le Yoga, le Samkhya, etc. le védisme s’est approprié certains concepts comme Shiva, Vishnu, etc. Il est passé à l’époque upanishadique où la pensée dravidienne est proclamée à haute voix dans une littérature profondément riche. L’hindouisme est bien le fruit de cette rencontre. Il en a gardé une grande souplesse. En cela on peut dire qu’il s’agit d’un libéralisme. De grands livres sacrés comme la Bhagavat Gita critiquent sans merci les védas qui sont les livres fondateurs de l’orthodoxie. Mais ce rejet est exprimé sous forme de ré-évaluation et non d’opposition. Un hindou peut rejeter les castes ou les accepter. Il peut croire en une quelconque représentation de l’être transcendant pour pouvoir s’identifier ou bien consacrer sa vie à la découverte de Soi, indépendamment de toute appartenance religieuse. Donc l’hindouisme est transthéiste. Il transcende l’idée de dieu sans la rejeter.

Les dieux aryens ne sont plus adorés dans aucun temple. Les brahmanes entretiennent les rituels basés sur les védas. Ils représentent la branche orthodoxe de l’hindouisme. La majorité des hindous s’en désintéresse.

Acceptez-vous une lecture historique et critique des textes de référence de l’hindouisme, ou devez-vous en faire une lecture fondamentaliste et littéraliste ?

L’hindouisme n’est pas une religion de livres. Il peut accepter ou rejeter l’autorité d’un livre. Il est un état d’esprit qui remet en question les croyances, les traditions, les livres sacrés, les injonctions, etc. Il propose différentes voies pour connaître la vérité où l’individu (le chercheur de vérité) est la réalité centrale. Il n’est pas fait pour la religion. C’est la religion qui est faite pour lui. Selon sa maturité il choisit sa voie, son livre, son maître. Pour atteindre la dernière étape, il faut se détacher de la connaissance, et même de son maître. C’est-à-dire qu’il faut quitter le maître et les dieux pour rencontrer le Soi Ultime. La Bhagavad Gita l’exprime de cette façon : « Après avoir analysé tout ce que je t’ai enseigné de façon critique, fais ce que bon te semble. » 18 :63

Donc je dois faire une lecture critique des textes fondateurs. L’aspect historique est secondaire. L’hindou décide qu’une idée mérite d’être prise en considération après avoir évalué les quatre éléments suivants :

  • le texte sacré ;
  • la parole de son maître vivant ;
  • l’analyse critique ;
  • sa propre expérience.

Quelle importance a pour vous le dialogue interreligieux ?

Les religions en tant qu’institutions ne peuvent dialoguer entre elles, parce qu’elles ne sont qu’un ensemble d’expériences passées, d’étiquettes sans vie. En revanche, deux chercheurs sincères de la vérité peuvent dialoguer pour avancer ensemble sur le chemin.

Je pense qu’il est urgent de provoquer des groupes interreligieux de penseurs libres de tout esprit de chapelle, afin que l’on puisse établir des dénominateurs communs entre toutes les religions et mettre en évidence les idées restrictives ou obsolètes. Il faut donner l’occasion aux enfants d’étudier toutes les religions, sans préjugé. Les religions sont des monuments du passé souvent sources de conflits. Tant que nous n’avons pas conscience de notre identité véritable, il y a danger à porter une identité religieuse qui ne correspond pas forcément au Soi.

Que représente Jésus pour vous ?

Jésus est une représentation. Il représente la vraie vie, la vie éternelle. Ma première rencontre avec lui a eu lieu dans un hôpital quand j’avais 13 ans. Les missionnaires distribuaient un livre d’histoire de Jésus qui guérit les malades comme un médecin. Plus tard je l’ai rencontré à travers l’évangile de St Jean qui dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie. » Je n’adhère pas à ce que St Paul a enseigné. Pour moi Jésus est l’incarnation de la parole de Dieu (logos : « Et le Verbe s’est fait chair », Jn 1,14), la sagesse qui conduit l’individu vers le divin. Chez les hindous cette place est occupée par la déesse Sarasvati. Nous avons besoin d’un pont entre le monde où l’on vit et le monde que nous espérons atteindre ; Jésus est ce pont, il est la vie qui prend le chemin de la vérité. Il est le fils de dieu et le fils de l’homme. Il fait le point de rencontre entre l’homme et dieu.

Il est vrai que les portraits de Jésus dans les quatre évangiles sont différents. Ils sont tous très attachants. Pour un esprit simple qui ne se pose pas trop de question, cela est salutaire. Mais dans une société actuelle qui se veut rationnelle, la vraisemblance historique des évangiles pose problème. Quand on regarde l’image de Jésus dans l’évangile apocryphe de Thomas, la voie est bien dégagée de toutes ces difficultés. Pour un hindou cela ne pose aucune difficulté d’accepter Jésus et ses paroles. Même quand il dit : « Nul ne vient au Père sinon par moi » (Jn 14,6), parce qu’il a donné forme humaine à la connaissance. Je suis en parfaite harmonie avec Jésus tout en restant hindou. feuille

Sarva Atma Mithra

Propos recueillis par Laurent Gagnebin

haut

Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)

 


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs


Article Précédent

Article Suivant

Sommaire de ce N°


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions