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Numéro 191 - août-septembre 2005
( sommaire )

Résonner

Chaque mois, la rubrique « Résonner » se veut l’écho de la rencontre entre la culture et la foi. Dieu nous parle en effet aussi à travers des œuvres d’art, religieuses ou non. Ce mois-ci, le pasteur Gilles Castelnau nous dit le retentissement en lui et pour nous d’un célèbre tableau de Manet. Sa lecture revisite cette œuvre dans une vision originale et profondément humaine.

« Le Joueur de fifre » d’Édouard Manet

Il joue du fifre, dans ses beaux vêtements militaires. Il se prépare à entraîner son régiment. Son calot est prestigieux. Le noir de sa vareuse ressort sur le blanc de la bandoulière blanche qui soutient l’étui de son fifre. Ses boutons dorés brillent. Son pantalon trop grand est d’un rouge magnifique.

Il est vraiment trop grand son pantalon. Il n’y en avait sans doute pas à sa taille au magasin d’habillement et on lui a dit que celui-ci devrait le contenter. Il n’a rien répondu car il n’a pas d’esprit.

Il est encore très jeune et n’est pas très malin. Il ne sait pas bien s’exprimer. Son visage n’est pas très fin : il a de grandes oreilles et des yeux écartés, un front trop grand.

Édouard manet, Le Joueur de fifre

Édouard manet,
Le Joueur de fifre.
Paris, Musée d’Orsay.

Cet enfant ne comprend pas tout. Il n’est pas beau. Il n’a pas la fière allure d’un soldat. Il nous regarde de ses grands yeux noirs. Il a l’air un peu triste, perdu dans sa musique et dans ses rêves. Il joue du fifre et on l’écoute.

Quand Édouard Manet a proposé ce tableau au Salon de l’Empire, ces messieurs l’ont refusé en riant et en s’indignant. Ils jugeaient cette façon de peindre vulgaire et brutale. On était habitué à une peinture lisse et belle, précise dans les détails et faite pour plaire. De beaux portraits, de jolies femmes. Et on était choqué par ce gamin mal dégrossi.

« Vous reconnaissez avoir commis ce tableau ? demandait un journaliste. Avez-vous des complices ? Faites-vous partie de la bande de M. Manet ? »

La bande de M. Manet, le groupe dit des Batignolles : Bazille, Cézanne, Monet, Renoir. Manet était leur aîné de dix ans et avait ouvert la voie à une nouvelle façon de peindre. On les appelait Réalistes, Naturalistes.

« M. Manet veut arriver à la célébrité en étonnant le bourgeois, disait-on, il a le goût corrompu par l’amour du bizarre. »

Ce qui était bizarre aux yeux des tenants de la peinture académique traditionnelle était qu’on regarde les gens tels qu’ils sont, et… qu’on les aime !

Manet était ami d’Émile Zola ; comme lui il avait le cœur ouvert aux gens humbles. Émile Zola avait d’ailleurs dit : « L’œuvre que je préfère c’est certainement le “Joueur de fifre”. »

Mon cœur est touché lorsqu’on me montre un être humble et pauvre, qui puise au fond de lui-même un élan de vie, un courage d’affronter l’infortune, un dynamisme créateur qui semble ouvrir sur une vie nouvelle. Je suis frappé de discerner une certaine joie qui semble monter en lui et le transcender.

Une confession de foi de notre Église commence ainsi :

Nous croyons en Jésus-Christ qui a marché, au nom de Dieu, sur les chemins où personne n’allait plus, pour y trouver les hommes et les femmes que personne ne regardait plus. Il parlait aux hommes et aux femmes auxquels personne ne parlait plus. Il tendait la main là où l’on fermait le poing.

En voyant le « Joueur de fifre » j’ai l’impression justement que ce misérable enfant a croisé la route du Christ et l’a compris.

On lui a donné un pantalon trop grand, ses traits sont grossiers, mais il vit, et il joue de son fifre pour nous ! feuille

par Gilles Castelnau

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