Veuve, impotente et souffrant
de continuelles douleurs, Mireille ne quittait plus son fauteuil roulant,
allant seulement, vers midi, de sa chambre au réfectoire où,
après le repas, quelques tables installées permettaient
aux pensionnaires de passer le temps, prostrés, ou bavardant
et jouant aux cartes ou aux dominos.
Un jour que jétais passé, comme à laccoutumée,
voir les infirmières dans leur local pour menquérir
de létat de Mireille avant daller lui parler, je
fus surpris du tour de la conversation. Après quelques brèves
indications quelles me donnèrent sur sa santé,
toujours fragile, je reçus leurs confidences:
«Nous laimons beaucoup, nous autres, car elle comprend
notre vie et nos difficultés; elle nous aide à dénouer
les conflits et elle nous encourage dans tous nos rapports avec les
autres malades quelle connaît très bien, depuis
le temps quelle les écoute. Cest nous qui avons
besoin de ses conseils, de ses sourires même et nous lui disons
ce que nous ne pouvons dire à personne dautre. Elle a
constamment un mot pour remettre en route, et pour faciliter la compréhension
des attitudes de tel ou tel pensionnaire déprimé ou
violent. Elle est notre guide. Quand son fauteuil roulant entre dans
notre salle, il nest pas rejeté, loin de là, il
est attendu. Quel bien elle nous fait!»
Les yeux de Mireille ne lui permettaient plus de lire son
plaisir dautrefois , ni de regarder la télévision.
Ses oreilles la maintenaient en rapport avec le monde et ses bons
offices entre tous manifestaient le trop-plein de son coeur. Cette
activité quelle conservait la longtemps gardée
en vie. Jusquà lultime semaine, tel fut lemploi
du temps de Mireille: tenter détablir la concorde, découvrir
sagesse ou beauté sous les apparences les plus revêches...