Doù vient le Père
Noël et qui est-il vraiment ? Ces questions ont-elles une légitimité
quelconque, le Père Noël nest il quun jeu
denfant ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la question des
origines a déjà soulevé dâpres polémiques,
non seulement dans les milieux des folkloristes, mythologues et ethnologues
mais aussi au sein de lÉglise.
Premières traces
En France, dun point de
vue folklorique, le manuscrit le plus ancien qui pourrait lévoquer
semble être un motet , servant de chant de quête, datant
de la seconde moitié du XIIIe siècle. Écrit en
dialecte picard par le compositeur Adam de la Halle, il commence ainsi
:
No sires Noeus / Nous envoie à ses amis / Cest as amoureux
/ Etas courtois bien apris / Pour avoir des paradis / A no herluison
2.
Ce sires était-il un seigneur du pays ou Noël personnifié
? Difficile à décider. En tout cas, dira le folkloriste
Arnold Van Gennep, « il nest pas distributeur de cadeaux
même si cest en son nom que les quêteurs viennent
réclamer des paradis ». Un autre texte en patois daté
de la fin du XVIIe siècle en Bresse, fait apparaître
Noyé comme un « donneur de vivres » à Saint
Joseph et à la Vierge, mais toujours pas aux enfants dans les
maisons ; et, de ce point de vue, « il ne semble pas être
le prototype des Pères Noël en France », pour cet
érudit pointilleux, ennemi des analogies et des filiations
trop rapidement établies, qui concluait avec fermeté
que « des similitudes morphologiques et fonctionnelles ne prouvent
pas nécessairement des emprunts ».
Lenquête de lIntermédiaire des Chercheurs
et des Curieux retiendra lannée 1897 pour dater lapparition
du Père Noël en France, ou plutôt à Paris
et en banlieue parisienne où, écrit Van Gennep, le Père
Noël de type américain sinfiltre dabord. Mais
il est difficile, ajoute-t-il, voire impossible de trouver une date
précise. On retiendra que George Sand en parle dès 1855
dans ses souvenirs denfance parisienne.
À partir de cette époque, le Père Noël,
vieillard à barbe blanche, coiffé dun bonnet de
fourrure et vêtu dune vaste houppelande bordée
dhermine, a rapidement conquis les villes, les bourgs et même
certaines campagnes, de la même manière que larbre
de Noël. Il va ainsi remplacer le Père Janvier en Saône
et Loire à partir de 1915 ; dans le Dauphiné, en 1939,
les catholiques avaient lEnfant Jésus et les protestants
le Père Noël. En Flandres, il ravira peu à peu
le rôle à Saint Martin et à Saint Nicolas. En
Franche-Comté, après 1950, il se substituera à
la tante Arie, et dans lEst, également à Saint
Nicolas, au Père Chalande et à lEnfant Jésus
Lhypothèse américaine
Cette conquête douce mais
irréversible inquiéta beaucoup certains enquêteurs
tel labbé Jean Garneret (1955), pour qui il ne sagissait
que dune « mythologie factice, due à lécole,
au monde anglo-saxon, à la radio, aux grands magasins, au commerce
et à la publicité 3
». Il ajoutait comme
pour sen convaincre : « le Dieu des chrétiens navait
rien à y perdre ; par contre nos petites habitudes traditionalistes
en prennent un bon coup, cest à peu près inévitable.
»
Attribuer aux américains « la grande vogue »
en France du Père Noël, en revanche, laissait entière
la question des origines, tant le brassage des populations rend difficile
lattribution précise de certains caractères locaux
aux uns et aux autres. Lhypothèse américaine ne
servait selon Van Gennep quà reculer la difficulté
du problème des origines.
« Sagit-il des hollando-franco-anglo-germano-italo-hispano-scandinavo-polono-russes
qui vivent ensemble aujourdhui à New York ? » se
demandait-il. Cette question nétait pour lui quune
pierre dattente que sa mort, survenue en 1957, ne lui permit
pas de transformer en conviction.
Saint Nicolas, la filiation officielle
Malgré les réticences
de Van Gennep, Saint Nicolas apparaît à tous comme lascendant
légitime. Saint, parmi les plus populaires du calendrier, il
intéresse à la fois les enfants, puisquil est
patron des écoliers, et les adultes comme protecteur des marins
et des bateliers. Si sa légende est fournie, sa biographie,
en revanche, est restée lacunaire. Colette Méchin, qui
lui a consacré un remarquable ouvrage 4, rappelle demblée
ce manque de renseignements fiables dont se plaignent historiens et
hagiographes. Tous saccordent cependant pour le faire naître
vers 270 en Lycie, au sud de la Turquie actuelle, et à le reconnaître
comme évêque de Myre vers 312. En 1087, ses reliques
furent transférées à Bari, dans le sud de lItalie,
à la suite de linvasion de la Turquie par les Maures.
Son culte sest alors vraisemblablement propagé en Europe
par les croisades. En Lorraine, dont il est devenu le saint patron,
la basilique Saint Nicolas de Port près de Nancy, lui est consacrée
depuis le XVe siècle. Il est par ailleurs célébré
en Grèce, en Turquie, en Russie, où il est lobjet
dun culte que certains ont trouvé parfois excessif. LÉglise
le fête le jour de sa mort, cest à dire le 6 décembre,
et non celui de sa naissance, ce qui est un « fait raris-sime
». Mais ce privilège sera définitivement abrogé
lorsque Vatican II, en 1970, le déclarera apocryphe, après
avoir définitivement établi que « les légendes
qui lui étaient attribuées venaient probablement de
traditions païennes et non chrétiennes ».
Faiseur de nombreux miracles, les enfants se trouvent au centre
de plusieurs dentre eux. Le plus célèbre est la
résurrection des trois petits garçons tués et
mis au saloir par le boucher, dont les premières versions napparaissent
quau XIIe siècle. Dès cette époque, il
fut souvent représenté comme un donateur, mais ce rôle
vis-à-vis des enfants nétait pas encore spécifié.
Cest en Hollande, au XVIIe siècle, quun célèbre
tableau de Jean Steen, la Fête de Saint Nicolas, met pour la
première fois en scène une famille en train de célébrer
celui-ci. Un enfant pleure car il a reçu une verge en guise
de cadeau et subit en outre les moqueries dun autre, alors quune
petite fille sert tendrement dans ses bras, telle une poupée,
le saint miniature. En France, il faudra attendre le début
du XIXe siècle en Meurthe pour trouver des traces du passage
de Saint Nicolas. Bien que grand patron de la Lorraine, il ne semble
pas non plus y être connu partout comme un distributeur de cadeaux.
Le Père Fouettard, double négatif de Saint Nicolas
Quant au Père Fouettard,
qui laccompagne, il sagit sans doute écrit Van
Gennep « dune invention scolaire créée par
les pédagogues du XVIIIe siècle, qui appartient à
la série assez riche des croque-mitaines mais non spécifiquement
au cycle des douze jours 5 ». Pourtant ce Père Fouettard
semble avoir des origines bien plus anciennes. Il sappelle Hans
Träpp en Alsace, Knecht Ruprecht (Valet Ruprecht) en Allemagne
et Piet le Noir dit « le More » en Hollande, et forme
avec le saint un couple infernal, dans lequel, en tant que sombre
compagnon, il est en opposition radicale avec ce personnage débonnaire.
Le visage blanc du bon Saint Nicolas contraste en effet avec celui
parfois couvert de suie du méchant Père Fouettard, personnage
sauvage, souvent recouvert de feuillage ou de pommes de pin (dans
lAppenzel) ou encore dune peau de bête (Knecht Ruprecht
). Il est dailleurs surnommé dans certaines régions
« lébouriffé », le « velu ».
Cette figure inquiétante est parfois interprétée
comme un « double diabolique ». Cette hypothèse
fait alors peser sur Saint Nicolas un immense soupçon, celui
de nêtre quun masque posé sur un héros
mythologique archaïque, lhomme-animal ou le chasseur sauvage.
La légende concernant la résurrection des trois petits
enfants prend du même coup un tout autre sens : Saint Nicolas
et le boucher-ogre ne feraient plus quun.
Dans cette perspective symbolique, la hotte du Père Fouettard,
renvoie à celle dArlequin qui transporte les âmes
des morts dans son dos. Sachant quArlequin est lui-même
le descendant dHellequin, le chasseur sauvage, cest lui
qui ravit les enfants, dans sa hotte
Cest donc, écrit Colette Méchin, à «
un véritable renversement de valeur » que lon assiste
lorsque la hotte du Père Fouettard, qui sert à emporter
les enfants désobéissants, devient celle où Saint
Nicolas puis le Père Noël puiseront pour récompenser
des enfants sages.
Le Père Noël un avatar de la Réforme ?
Entre laïques et cléricaux,
le Père Noël fut souvent un enjeu donnant lieu à
des bagarres mémorables entre instituteurs, ou entre
maire et curé de village.
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Les fluctuations de lhistoire
religieuse ont influé profondément sur le rôle
du saint. En Allemagne, où son culte fut aussi populaire quen
Hollande, la Réforme et le Concile de Trente ont imposé,
au XVIe siècle, une plus grande rigueur en le détrônant
au profit du Christkindl (lEnfant Jésus). Cest
ainsi que le Weihnachtsmann, le « Bonhomme Noël »,
des pays de langue allemande, « version ou doublet profane de
Saint Nicolas, mâtiné de Knecht Ruprecht » pour
G. Leser 6 devint le principal donateur à la fin du XIXe siècle.
La Contre-Réforme des pays catholiques entraîna à
son tour labandon de Saint Nicolas ne tolérant alors
que lEnfant Jésus, Christkindl, comme distributeur de
cadeaux, notamment en Alsace, et dans toute lAllemagne catholique.
Mais la fragilité de lEnfant Jésus rendait peu
vraisemblable sa nouvelle fonction ; il fut donc souvent représenté
sous les traits dune jeune fille, vêtue de blanc, dont
la tête était coiffée dune couronne de bougies,
(cette représentation féminine est proche de Sainte
Lucie). Il fut aussi parfois remplacé par les Anges et la Dame
de Noël. Ces personnages se maintiennent encore aujourdhui
localement en Allemagne. Mais alors que Saint Nicolas était
chassé des régions protestantes luthériennes,
paradoxalement les Pays-Bas, pays à majorité calviniste,
laccueillirent, comme le tableau de Jean Steen en témoigne.
Et un enjeu de lécole laïque
Après la guerre de 1870,
environ 200 000 Alsaciens et Lorrains quittèrent leur région
pour venir sinstaller en France de lintérieur,
et dans les provinces proches, comme la Bourgogne. Les Alsaciens emportèrent
dans leurs bagages Christkindl et le sapin, à Paris et dans
les localités où ils étaient assez nombreux pour
faire revi-vre ces coutumes. Certaines familles catholiques parisiennes
furent vite acquises à ce nouveau donateur.
Les Lorrains, de leur côté, amenèrent Saint
Nicolas. À Paris, en 1912, il fit une entrée triomphale
dans un grand magasin parisien. Sur laffiche, qui faisait fi
des saisons : « un Noël lorrain au printemps », des
enfants agitaient un drapeau français et défilaient
derrière le saint en brandissant tambours et trompettes. Mais
Saint Nicolas, si généreux et patriote quil fut,
nétait pas familier à lensemble des enfants
français, et le Bonhomme Noël le supplanta aisément,
dautant plus que les anticléricaux, ceux qui luttaient
contre le « nouvel ordre moral », voyaient dun mauvais
il un personnage religieux entrer dans les écoles de
la République, même sil avait été
le patron des écoliers. Entre laïques et cléricaux,
le Père Noël fut souvent un enjeu donnant lieu à
des bagarres mémorables entre instituteurs, ou entre maire
et curé de village.
Ce Bonhomme Noël ressemblait encore à un pauvre hère.
Sur les cartes postales colorisées du début du siècle,
il a conservé quelques attributs épiscopaux, et sa générosité
envers les enfants est toujours sélective.
Mais ce vieillard austère et parfois même inquiétant,
lorsquil lui arrivait demporter dans un très
vieux réflexe quelque enfant indiscipliné, ne
résistera pas à son tour très longtemps à
celui qui arrivera du nouveau monde, Santa Claus. Ce dernier avatar
va bénéficier dune promotion commerciale jusque
là inédite. Il nous renvoie à une autre histoire
migratoire, celle-ci vieille de trois siècles !
Naissance de Santa Claus
Linvention américaine
de Santa Claus au XIXe siècle sera lélément
déterminant de lévolution laïque et de la
popularité croissante de la fête de Noël, en Europe
comme aux États-Unis, puis de son universalisation au XXe siècle.
Pour certains auteurs comme James Barnett 7, cest au XVIIe
siècle, que les Hollandais calvinistes, qui partaient pour
le Nouveau Monde emportèrent dans leurs bagages Saint Nicolas.
Pourtant aucune trace concrète de cette importation na
été trouvée jusquà maintenant et
il semble daprès Charles Jones 8 que Saint Nicolas ait
été en quelque sorte « reconstruit » pour
des raisons sociales et politiques. Dans le dernier quart du XVIIIe
siècle, ce saint était déjà curieusement
devenu un symbole de lopposition à la colonisation anglaise
et à la monarchie. La célébration de Noël,
qui appartenait au calendrier de lÉglise dAngleterre,
était en effet suspecte pour beaucoup dAméricains,
et particulièrement pour les puritains de la Nouvelle Angleterre,
qui avaient déjà interdit Noël au milieu du XVIIe
siècle.
Saint Nicolas fut donc dune certaine façon «
exhumé » dune tradition hollandaise un peu oubliée
dans ce nouveau monde, dans un dessein politique explicite, «
sorte dantidote à opposer au Noël empoisonné
de la monarchie coloniale britannique. Mais ainsi réapproprié
», dit Charles Jones, il prit un essor inattendu et «
sétendit à partir de 1809 comme une véritable
épidémie ».
Cest à cette date précise que lécrivain
Washington Irving publie Knickerbockers History (1809) 9, roman
qui va connaître un immense succès et contribuer à
populariser la physionomie de Santa Claus et surtout à lui
octroyer un rôle tout à fait inédit. En narrant
lhistoire drolatique de la fondation de New York, lécrivain
amorçait, effectivement, la première transition «
littéraire » entre Saint Nicolas et Santa Claus. Il participait
ainsi, avec quelques uns de ses contemporains, appartenant comme lui
à lélite sociale new-yorkaise, à linstauration
dune nouvelle « tradition » de Noël.
Dans son ouvrage, W. Irving raconte lodyssée dun
équipage hollandais quittant Amsterdam au XVIIe siècle
pour rejoindre lAmérique. Saint Nicolas est la figure
de proue de leurs trois mâts, il les protège contre la
tempête et sappelle encore Sinter Klaas, (Saint Nicolas
en néerlandais).
Après un naufrage, un des marins endormi, Oloffe Van Kortlandt,
dont le nom signifie « sans terre », rêve justement
de devenir propriétaire terrien dans le nouveau monde. Le saint
lui apparut alors en songe, et lui fit part du désir quil
avait de voir sétablir tous ces émigrants hollandais,
afin quils construisent une ville, à lendroit même
signalé par le nuage de fumée de sa pipe, endroit qui
nétait autre que lîle de Mana-hatta (Manhattan).
En échange, Sinter Klaas promit de leur rendre visite chaque
année sur son char céleste et de descendre par les cheminées
de cette nouvelle cité, pour livrer des cadeaux aux enfants.
Cette fiction publiée le 6 décembre 1809 eut un énorme
succès.
Poème fondateur
Quelques années plus tard,
Clement Clarke Moore, professeur dhébreu et de langues
orientales au collège épiscopalien de New York, va à
son tour, par lintermédiaire dun poème :
« A visit from St Nicholas », quil destinait à
ses propres enfants, jouer un rôle déterminant dans limposition
de Santa Claus. Épiscopalien de la tendance la plus soucieuse
de la hiérarchie (High Church faction), Cl. Clarke Moore était
très effrayé par la croissance rapide de sa ville, le
développement intensif du commerce et lapparition conséquente
de cette nouvelle population urbaine, cosmopolite et donc inquiétante.
Le poème parut le 23 décembre 1823 dans Sentinel, le
journal local de Troy (État de New York), sous le titre initial,
mais fut bientôt plus connu sous celui de : La Nuit davant
Noël (The Night Before Christmas). Son succès fut immédiat,
et ce conte, reproduit dans dinnombrables almanachs, devint
même un classique lorsque le New York Book of Poetry laccueillit
dans ses pages en 1837. Aujourdhui encore, il nest pas
rare que les enfants américains le récitent le soir
de Noël. Mais la préfiguration de ce Santa Claus était,
pourrait-on dire, déjà dans lair. Dès 1821,
on pouvait trouver dans The Childrens Friend, un petit livre
publié à New York, des gravures colorées de Santa
Claus, et déjà des références au traîneau
et aux rennes.
Images de Santa Claus
Peu de temps après la publication
de ce poème, un certain nombre dartistes américains
commencèrent à le peindre ou à le dessiner. Ces
portraits varièrent.
Dans un dessin de Thomas Nast en 1863, il ressemble à un colporteur.
Saint Nicolas a perdu en austérité, il a été
« défroqué » en quelque sorte pour ressembler
à ce « petit vieux gaillard et ventripotent de St Nick
» du poème de Clement Clarke Moore, à ce gai luron,
à lair si populaire. Ce nouveau Santa Claus était
devenu très contemporain, en phase avec la nouvelle société
américaine, quil essayait en quelque sorte dintégrer.
Il avait lallure dun homme de la rue, sans en avoir lanimosité,
et récompensait comme le saint évêque auquel avait
été définitivement ôté le pouvoir
de punir.
Mais lhypothèse dune revanche ou récupération
sociale, de la part des anglicans sur les catholiques, est aussi assez
convaincante : en créant un Santa Claus aussi petit quun
elfe, a right jolly old elf, Moore sinspirait aussi dune
série de personnages légendaires, présents dans
le folklore des communautés allemandes, hollandaises, norvégiennes
installées aux États Unis, enlevant du coup à
Saint Nicolas ses derniers attributs « papistes » et punitifs
!
À la même époque se produit dailleurs
une transformation similaire en Allemagne protestante du nord, qui
affecte Knecht Ruprecht, cest à dire le valet de Saint
Nicolas, Père Fouettard gigantesque qui menaçait les
enfants sots et peu sages. Peu à peu il prend lui aussi lallure
dun vieillard débonnaire, vêtu dune houppelande
(Weihnachtsmann). Muni de sa hotte et dun sac rempli de cadeaux,
il rend visite aux enfants, le soir de Noël.
Santa Claus, héros américain
Thomas Nast, fixera la métamorphose
en lui offrant ses meilleurs portraits. Celui que lon reconnu
comme le père du dessin humoristique, après avoir croqué
Santa Claus comme un pauvre colporteur, en fera finalement et définitivement
une incarnation du matérialisme américain.
Santa Claus était devenu un héros de lUnion
et Nast, de lavis de Lincoln, «son meilleur agent recruteur».
En 1885, le même Thomas Nast décida de faire tomber
le Père Noël des nues pour linstaller au pôle
Nord. Lannée suivante, lécrivain George
P. Webs-ter reprenait cette idée, et précisait que sa
manufacture de jouets et sa demeure, pendant les longs mois dété,
étaient enfouies sous la glace et la neige du pôle Nord.
Louis Prang, lhomme qui introduisit les cartes de Noël
aux États-Unis en 1875, participa lui aussi à la construction
du « cliché » en lui ajoutant la grosse ceinture
noire, les bottes et la capuche
et surtout ce fameux sac en
toile marron dans lequel il transporte les jouets depuis quil
na plus de hotte.
Aux États-Unis sa popularité ne cessera daugmenter,
bénéficiant de lidéologie de la réussite
individuelle et de limportance des symboles de richesse, et
lincarnant en même temps. En 1931, Coca-Cola, qui voulait
élargir son marché en impliquant davantage le jeune
public, demanda à Haddon Sublom de lutiliser comme argument
publicitaire. Les couleurs rouge et blanche de la marque Coca-Cola
fixèrent celles de -luniforme du Père Noël
contemporain.
En Angleterre, Santa Claus restera inconnu jusquà la
fin du XIXe siècle. Vraisemblablement dorigine germanique,
souvent habillé de vert, portant une couronne de houx sur la
tête 10, cette figure païenne hante de nombreuses images
victoriennes, veillant avec malice sur la fête.
En 1891, le poème de Moore finit par être publié
en Angleterre, et va contribuer à façonner limaginaire
des petits Anglais. Si personne na jamais prétendu, nous
dit Pimlott, que ce poème « était de grande qualité,
il créa, à linstar du Conte de Noël de Dickens,
une mode qui na toujours pas été dépassée
jusquà présent ».
LÉglise sacrifie le Père Noël
En France, il faudra attendre
les lendemains de la seconde guerre mondiale pour que Santa Claus
simpose au même titre que le Coca-Cola et les chewing-gums.
Il est indubitable que sa « grande vogue » est liée
non seulement au savoir-faire américain mais également
au prestige dont lAmérique jouissait en France dans limmédiate
après-guerre. Pays des libérateurs, la fascination restait
forte à légard dun mode de vie dont la presse,
notamment féminine, se faisait largement lécho.
Cette mode ne fut pourtant pas toujours du goût des autorités
ecclésiastiques françaises. Leur critique visait surtout
la croyance grandissante des enfants au Père Noël, qui
fut alors traitée de « nouvelle hérésie
» et de « tentative délibérée damollissement
de lâme enfantine ». Cette attitude donna lieu à
un fait divers assez surréaliste.
Le 24 décembre 1951 leffigie du Père Noël
fut pendue aux grilles de la cathédrale de Dijon et brûlée
sur le parvis devant les enfants des patronages « médusés
». Prétextant une « paganisation inquiétante
de la Fête de la Nativité, détournant lesprit
public du sens proprement chrétien de cette commémoration,
au profit dun mythe sans valeur religieuse », les autorités
ecclésiastiques ne pardonnaient pas au Père Noël
de sêtre introduit dans toutes les écoles publiques,
doù pourtant la crèche était déjà
scrupuleusement bannie. LÉglise protestante avait apporté
son soutien à lÉglise catholique dans ce procès.
Cette condamnation du Père Noël pour « usurpation
et hérésie » ne fit pourtant pas lunanimité,
y compris chez les catholiques eux-mêmes. Mais, chose remarquable,
lévénement eut un retentissement national et le
jour même, « lautodafé de Dijon » faisait
non seulement léditorial dun des quotidiens les
plus lus à lépoque, France Soir, mais il fut également
commenté dans tous les autres journaux.
En 1931, Coca-Cola, qui voulait
élargir son marché en impliquant davantage le
jeune public, demanda à Haddon Sublom de lutiliser
comme argument publicitaire. Les couleurs rouge et blanche de
la marque Coca-Cola fixèrent celles de luniforme
du Père Noël contemporain.
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Le dénouement fut finalement heureux et, le soir même
de ce 24 décembre 1951, à dix huit heures précises,
le Père Noël ressuscita !
Un communiqué officiel annonça que « comme chaque
année les enfants de Dijon étaient convoqués
place de la Libération et que le Père Noël leur
parlerait du haut des toits de lhôtel de ville où
il circulerait sous le feu des projecteurs ».
Figure dune splendeur toute païenne, le Père Noël
supplicié en public, tel le roi des Saturnales, condamné
au bûcher, tel celui du Carnaval, a donné, écrira
Claude Lévi-Strauss, aux autorités ecclésiastiques
loccasion inattendue « de restaurer le héros dans
sa plénitude ». « Après une éclipse
de quelques millénaires, ils se sont en effet chargés
sous prétexte de la détruire de prouver eux-mêmes
la pérennité de cette figure rituelle 11 ». Cette
étrange résurrection annonçait aussi le début
dune notoriété bientôt universelle.