Les temps changent,
les Églises peinent, les croyants sont critiques et méfiants
vis-à-vis de linstitution religieuse, voire de ses messages.
La grande majorité des jeunes moins de 10 % des jeunes
alsaciens se sentiraient concernés par la religion se
situent en dehors de tout besoin religieux. Et pourtant, Noël reste.
Le Noël multiculturel daujourdhui
Mais quel visage, Noël prend-t-il pour nos contemporains
? Au-delà de la nostalgie de nos anciens Noëls, des souvenirs
denfants émerveillés, des enchantements des marchés
de Noël, le partage en famille est lobjet dattentes
très fortes. Chercherons-nous cependant plus loin en nous souvenant
que la motivation initiale de la fête fut le souvenir de la naissance
dun homme qui marqua le devenir des religions dune partie
importante de la planète Terre ?
On sait aujourdhui
que la fête de la naissance de Jésus, commémoration
dun événement passé, nétait
absolument pas la première préoccupation des adeptes
du Jésus historique.
|
Certes, le Noël daujourdhui charrie des
fonds de coutumes et de croyances souvent plus anciennes que le message
chrétien. Les fêtes davant le christianisme, en nos
contrées dites occidentales, fournissaient un support adéquat,
ou pour le moins utile à lannonce du message « évangélique
». Les fêtes de la lumière renaissante après
le vécu de lobscurité croissante étaient
naturellement en phase avec le message de lévangéliste
Jean lorsquil compare la venue tantôt de Jean-Baptiste tantôt
de Jésus avec lirruption de la lumière divine dans
le monde. Sur un autre plan, les élites soucieuses de prolonger
cette vie et le pouvoir que lexistence leur donnait nétaient
pas insensibles à lannonce dun « sauveur »
; on pensera par exemple aux chefs Francs de jadis qui entraient en
conversion ou se montraient généreux pour les monastères.
On était encore loin du sapin de Noël et
des quelques rares lumières qui lornaient, il y a deux
ou trois siècles!
Lumière sur une question existentielle
La question existentielle de lêtre humain,
celle du « pourquoi » de notre présence sur la Terre
et sur le devenir du monde, semble être demeurée sensiblement
la même à travers les âges et les religions. Noël
peut-il apporter une réponse, un réconfort, mais aussi
une
lumière ? En somme, la fête peut-elle ouvrir
une perspective ?
Et quel Noël convient-il de faire nôtre ?
Celui de linflation des lumières, ou celui de la petite
lumière enfouie dans les édifices apparemment «
bétonnés » (au sens figuré du terme !!) de
nos vies et du monde ? Navons-nous pas à faire le parcours
intellectuel que firent les premières générations
de chrétiens, lorsquils passèrent de lattente
dun royaume concret pour Israël à la conscience dune
présence divine, passant ainsi du message de Jésus annonçant
la proximité dun Royaume au message au sujet de Jésus.
Qui est-il pour nous, au-delà de léchec de son projet
marqué par Golgotha ; en quoi nous aide-t-il à vivre ?
Lévolution du « Noël »
des évangiles
On sait aujourdhui que la fête de la naissance
de Jésus, commémoration dun événement
passé, nétait absolument pas la première
préoccupation des adeptes du Jésus historique. Jusquau
moment où il fallut prouver lancrage divin de celui autour
duquel sesquissait et sur lequel allait bientôt se fonder,
sans doute malgré lui, une nouvelle religion : celle de Jésus,
le prophète de Nazareth, le messie-roi, dont on espérait
que léchec ne serait que provisoire, celui auquel on donnera
même le titre divin de « seigneur » dans certaines
Églises dès le premier siècle.
Les détails relatifs à la naissance de
Jésus étaient absents des proclamations des Églises
des premiers temps et de leurs pratiques liturgiques. Ce nest
quune cinquantaine dannées après le «
ministère » de Jésus que lon sest interrogé
à ce sujet. Les renseignements historiques sur lévénement
semblent avoir été complètement estompés
à ce moment-là, si jamais quelquun, en dehors de
la famille de Jésus, avait eu le souci de les communiquer à
la postérité.
Matthieu et Luc témoignent de ce questionnement.
Jean aussi, à sa manière. Alors que lévangile
selon Marc voit en Jésus un homme comme les autres que Dieu choisit
pour une mission particulière (le « récit »
du baptême en Marc 1 le montre bien), Matthieu (ch. 1) et Luc
(ch. 1) font remonter lintervention divine dès avant la
naissance de Jésus. À linterrogation répond
la confession des Églises : Dieu est présent en Jésus.
Et de la confession de foi, la tradition postérieure va faire
quasiment un événement « historique », comme
si Dieu lui-même avait engendré Jésus ! Un peu plus
tard vers la fin du premier siècle et dans le milieu différent
que fut celui de lévan-gile selon Jean, il est affirmé
au sujet de « celui qui devait venir » quil participe
de lintimité même de Dieu le « verbe
» (logos en grec) était avec Dieu, il est même Dieu.
Lumière divine dans nos vies ?
Noël fournit donc une bonne occasion pour poser
ou reposer la question du sens de notre existence. Dieu y est-il présent,
comme il la été en Jésus, ou en dautres
? Cette lumière divine, na-t-elle pas été
toujours dans le monde ? Où la chercherons-nous, sinon dans la
vie, notre vie, la vie dun chacun ? Cette présence de Dieu
nest-elle pas là, dès lors que la vie paraît
?
Comme le confessent les évangélistes Matthieu
et Luc à leur manière, en utilisant le symbole de lEsprit
Saint, Dieu est en lhomme Jésus. Il est en Marie, la douce
porteuse de la vie en gestation. Il est en lhomme souffle de vie.
Il est en lhomme lorsque celui-ci reconnaît en lui cette
force venue dailleurs.
La présence qui ouvre une perspective.
LAdoration des Mages, manuscrit
fait à Liège xie siècle. Bibliothèque
de Bamberg (Allemagne) D.R. Reproduit dans le magnifique ouvrage
de Madeleine Félix, Le Livre des Mages, Paris Desclée
de Brouwer, 2000
|
Ceux qui, dans lÉglise ancienne, chantent
lhymne devenu le « magnificat » (Lc 1,46-53) et le
mettent dans la bouche de Marie, célèbrent Dieu qui rejoint
justement lêtre humain dans sa chair, dans sa substance
dêtre terrestre, fini, fait de glèbe, pour lui donner
une perspective. Souvrir au message de lÉvangile
consiste à repérer en Jésus létincelle
divine qui sy trouve. Ce faisant, nous nous y regardons comme
dans un miroir : Jésus nous renvoie à létincelle
divine en nous. Et, en même temps, il nous invite à prendre
conscience de la destinée divine de chaque humain.
Lhumanité, comme notre vie propre, prend
alors le visage dune réalité en devenir.
Marie, la contemplative, devient prophète de Dieu
! De porteuse denfant, elle devient la porteuse du message despérance
qui inclut la justice et la dignité humaines.
Ainsi la conscience de la présence de Dieu prolonge
notre destinée brute. Celui ou celle qui reçoit Dieu comme
Marie le reçoit, sil chante la louange, ne pourra pas en
rester là : il lui faudra simpliquer, se risquer, sengager.
Comme Marie, comme Jésus et comme tant dau-tres,
saisissons le flambeau de ceux qui croient en un monde ouvert sur un
avenir dont la construction nous incombe, ceux qui croient quen
la plus sombre réalité, létincelle peut jaillir.
Ernest
Winstein