En
préalable, je dois dire que je suis une téléphile,
une téléphage et quelles que soient les réserves
que je peux émettre sur certaines émissions, globalement,
je trouve que cet instrument nest pas, comme on le juge trop souvent,
un instrument du diable. Cest un lieu difficile comme tous
les lieux où lÉvangile doit habiter mais je
trouve que cest un lieu extrêmement riche, traversé
de contradictions, un mélange de superbes réalisations,
de médiocrités insupportables. La télévision
est le miroir qui amplifie finalement limage de notre société.
Cest un lieu où les chrétiens sous une forme
à définir doivent habiter.
Quelle est pour vous la spécificité
de programmes religieux dans le cadre du service télévisuel
public dun pays laïque?
Cest lhistoire de France récente qui a fait que
le service public nous a offert un temps dantenne. Les catholiques
sétaient battus pour obtenir dès 1949 une émission.
Ils étaient parmi les premiers dans le monde, pressentant ce
que cela pourrait apporter. Les protestants ne se sont pas bagarrés
pour lobtenir. Par souci déquilibre le directeur
de la chaîne a proposé à la Fédération
protestante de France (FPF) de réaliser une émission hebdomadaire.Marc
Boegner a, de sa seule volonté, décidé daccepter
et a confié la mission à Marcel Josselin de se charger
du projet. Le 2 octobre 1955 avait lieu la première émission
en direct de Cognacq-Jay. Il est intéressant de se souvenir que,
à lépoque, la chaîne unique proposait une
trentaine dheures démissions par semaine diffusées
sur les seuls 200.000 postes de TV existant sur toute la France.
Ce nest quen 1963, après le retour des Juifs dAfrique
du Nord, que Josy Eisenberg a inauguré le programme judaïque,
rejoint en 1964-65 par les chrétiens orientaux et en 1981 par
les musulmans. Les bouddhistes obtiendront une émission à
partir de 1993.
Quel fut laccueil de prime abord?
A lépoque Réforme avait fait une enquête
sur la nécessité dune télévision protestante.
Le résultat était affligeant, la majorité était
horrifiée à la seule idée. Cest une période
où en France les intellectuels avaient un profond mépris
pour la télévision, outil de distraction qui empêche
de penser à lessentiel, victime aussi dun discours
fantasmatique qui laccuse davoir aboli toutes les discussions
conviviales dans les familles
Sur quelle expérience ces précurseurs
pouvaient-ils se baser pour imaginer une émission ?
La FPF nétait pas préparée, mais elle a
su profiter de lexpérience de lAssociation mondiale
pour la communication chrétienne du Conseil OEcuménique
des Églises (COE). Ses études étaient très
pertinentes sur limportance de loutil, clairvoyantes sur
lidée que la TV nest pas un tuyau de transmission
dun message, mais quelle est un moyen parmi dautres
dêtre présents à lhumanité, dessayer
dêtre des témoins pas plus significatifs ni
important que dautres. Ces études mettaient en évidence
quau-delà de ces outils importants, lessentiel du
message chrétien se passe de personne à personne, quon
ne peut faire fi de lincarnation.
Les protestants francophones ont compris un peu tardivement les enjeux
de ce quon appelait à lépoque simplement linformation,
pas encore la communication. Le pasteur Jean-Marc Chappuis dans son
essai Information du monde et communication de lÉvangile
a été un des premiers francophones à réfléchir
à ces enjeux. Cest un sujet qui préoccupait également
Jacques Ellul, mais sa vision radicale rendait parfois difficile léchange.
De plus, ce nest pas parce quon pointe des choses justes
sur les dangers, quil ne faut pas prendre de risques. Il était
un peu seul dans ce paysage avec pour seul vis-à-vis Jean Cabriès
grand auteur protestant méconnu qui présentait
Présence Protestante pendant toute la période animée
par Josselin.
Quelle « Présence protestante »
peut-on affirmer à la télévision ?
Le dimanche matin, il y a à la télé trois manières
dêtre chrétiens : catholique, protestante, orthodoxe.
Les catholiques ont en plus une force et des moyens que nous navons
pas. Il faut quon existe à côté de cela. Que
faire donc ? Les dupliquer ? Faut-il faire du sous-Josy- Eisenberg ?
Ses émissions sont remarquables combien de fois me la-t-on
fait remarquer mais est-ce pour cela quil faut plagier
? Il fallait donc trouver une manière dintéresser
le public et la chaîne.
Ma conviction a toujours été que nous sommes sur une
chaîne généraliste du service public, par définition
destinée au plus large public possible. Pour moi cela voulait
dire que les chrétiens convaincus navaient pas besoin de
nous pour nourrir ou approfondir leur vie spirituelle, leur approche
biblique. Très tôt jai eu le goût de madresser
dabord aux autres et puis aux nôtres. Jai essayé
de retourner les choses. Pour moi cette émission était
une manière de faire percevoir à des gens qui nen
avaient aucune idée, quil y a une manière dêtre
chrétien qui nest pas du tout dogmatique, idéologique,
figée, moralisante, fermée, sadressant aux seul
initiés. Pour moi être protestant, cest être
pleinement dans le monde tel quil est et, au fond, essayer de
valoriser le protestantisme non pas forcément dans sa dimension
confessante, mais le protestantisme dans sa manière dêtre,
de vivre aujourdhui dans la société. Cest
pour cela que jai créé lémission Mot
à motqui ma beaucoup été reprochée
par certains où volontairement je nai jamais invité
de protestants pour leur appartenance et même je ne souhaitais
pas spécialement en inviter. Je trouvais
Pour moi être protestant,
cest être pleinement dans le monde tel quil
est et, au fond, essayer de valoriser le protestantisme non pas
forcément dans sa dimension confessante.
|
que cétait intéressant que des gens de tous les
milieux, du théâtre, de la musique, de la société
au sens large, des philosophes, rencontrent des protestants. Jai
dans ce cadre rencontré beaucoup de gens cultivés qui
jamais navaient vu de protestants
Pour moi cest une
manière de faire connaître le protestantisme par le biais
de cette émission.
Cette émission nest quune
facette de notre «Présence protestante»
Mon souci a été non pas de diffuser le message protestant
à des gens qui nen avaient pas grand chose à faire,
mais montrer ce quest être protestant dans la diversité
de ses modalités : la dimension cultuelle, la dimension oecuménique
de débat avec Agapè, la dimension biblique avec Paraboles,
des documentaires extrêmement variés, témoignant
et enfin Mot à mot. Cétait ma manière à
moi de montrer comment il est possible dêtre chrétien
aujourdhui sans être forcément tous alignés
derrière un pape, sans avoir une seule théologie, mais
bien dans la pluralité des expressions où il appartient
à chacun de juger en conscience. Je nai jamais voulu en
faire une extension ni dune chaire, ni dun temple, ni dun
lieu catéchisme, peut-être à tort, mais cest
comme ça que jai voulu travailler, et je me suis battue
pour cela.
Avez-vous été tentée parfois
de faire une « Défense et illustration du Protestantisme
français » ?
Jamais frontalement. Je lai fait par les biais des émissions
dont nous avons parlé. En montrant quon pouvait faire des
émissions de qualité, télévisuellement irréprochables.
Montrer notre o u v e r t u r e desprit et montrer notre aptitude
à écouter les questions des autres, pas seulement proposer
nos réponses. Cela a été ma « défense
et illustration » ; lidée que, en France, il y a
des chrétiens qui sappellent des protestants qui ont lair
assez à lécoute, assez enclins à débattre,
à réfléchir. Quelques émissions ont été
consacrées à un portrait historique du protestantisme
en France.
Labsence presque totale de rites dans le protestantisme rend
son illustration dans sa grande diversité fort difficile. On
peut illustrer par ce que nous sommes. Nous sommes en plus une confession
ultra-minoritaire dans sa dimension celle que je préfère
quon appelle luthéro-réformée, cest-à-dire
cette partie du christianisme qui se pose des questions, qui est responsable,
qui pense quêtre croyant cest être intelligent,
que la raison, certes présente quelques inconvénients,
mais surtout beaucoup davantages. Cest ce christianisme-
là qui mintéresse beaucoup.
Mais il sagit dune infime minorité
Effectivement, dans un sondage Ifop assez récent, à
la question « Quest-ce que le Protestantisme évoque
pour vous ? », la réponse la plus fréquente était
« Le monde anglo-saxon ». Et même ce résultat
provient dune fraction un peu cultivée car deux français
sur trois ne savent pas ce que cest dêtre protestant.
Nous vivons tellement dans notre petit monde, que nous navons
pas conscience de notre ultraminoritarisme. Quand on est aussi petit,
il faut saccrocher à un grand. Avec Agapè, on allait
sur le terrain de notre frère ennemi préféré,
mais il faut reconnaître que nous avons plus daccointances
avec un Dominicain quavec certains courants évangélicalistes
de notre protestantisme. Je pense quil est très important
dassocier des plumes qui viennent dailleurs,montrer quon
na pas la Vérité révélée. Il
ne sagit pas de dire que nous somme protestants et de temps en
temps donner la parole à un catholique, mais bien dorganiser
léchange, le dialogue. Lidée est bien de faire
connaître notre pensée à ceux qui ne la partagent
pas. Notre chance est que le protestantisme français sest
dabord construit contre le catholicisme, mais ensuite en dialogue
avec lui, en dialogue critique peut-être, mais nous serions perdus
si le catholicisme disparaissait, nous devrions repenser notre théologie.
Il nous faut arriver à nous démarquer sans être
radicalement opposés, cela me paraît plus efficace. Il
faudra plutôt accompagner les catholiques car eux aussi connaissent
une situation difficile et nous pouvons les aider à voir comment
être minoritaires et bienportants.
Propos recueillis par
P.F. van Dieren
haut