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Numéro 182 - Octobre 2004
( sommaire )

Communiquer

Claudette Marquet a toujours associé une approche sérieuse de la théologie et une conscience de l’importance des médias. De brefs articles dans Le Journal de Genève à un passage de quelques années au service information de la Fédération protestante de France (FPF) et à Présence protestante, avant d’en prendre la direction de 1990 à 2004, cette pasteur de la première génération de pasteurs féminins en France a toujours cherché à imaginer de nouveaux moyens de transmettre l’Évangile.

Le goût de m'adresser aux autres,
entretien avec Claudette Marquet

Claudette MarquetEn préalable, je dois dire que je suis une téléphile, une téléphage et quelles que soient les réserves que je peux émettre sur certaines émissions, globalement, je trouve que cet instrument n’est pas, comme on le juge trop souvent, un instrument du diable. C’est un lieu difficile –comme tous les lieux où l’Évangile doit habiter– mais je trouve que c’est un lieu extrêmement riche, traversé de contradictions, un mélange de superbes réalisations, de médiocrités insupportables. La télévision est le miroir qui amplifie finalement l’image de notre société. C’est un lieu où les chrétiens – sous une forme à définir – doivent habiter.

Quelle est pour vous la spécificité de programmes religieux dans le cadre du service télévisuel public d’un pays laïque?

C’est l’histoire de France récente qui a fait que le service public nous a offert un temps d’antenne. Les catholiques s’étaient battus pour obtenir dès 1949 une émission. Ils étaient parmi les premiers dans le monde, pressentant ce que cela pourrait apporter. Les protestants ne se sont pas bagarrés pour l’obtenir. Par souci d’équilibre le directeur de la chaîne a proposé à la Fédération protestante de France (FPF) de réaliser une émission hebdomadaire.Marc Boegner a, de sa seule volonté, décidé d’accepter et a confié la mission à Marcel Josselin de se charger du projet. Le 2 octobre 1955 avait lieu la première émission en direct de Cognacq-Jay. Il est intéressant de se souvenir que, à l’époque, la chaîne unique proposait une trentaine d’heures d’émissions par semaine diffusées sur les seuls 200.000 postes de TV existant sur toute la France.

Ce n’est qu’en 1963, après le retour des Juifs d’Afrique du Nord, que Josy Eisenberg a inauguré le programme judaïque, rejoint en 1964-65 par les chrétiens orientaux et en 1981 par les musulmans. Les bouddhistes obtiendront une émission à partir de 1993.

Quel fut l’accueil de prime abord?

A l’époque Réforme avait fait une enquête sur la nécessité d’une télévision protestante. Le résultat était affligeant, la majorité était horrifiée à la seule idée. C’est une période où en France les intellectuels avaient un profond mépris pour la télévision, outil de distraction qui empêche de penser à l’essentiel, victime aussi d’un discours fantasmatique qui l’accuse d’avoir aboli toutes les discussions conviviales dans les familles…

Sur quelle expérience ces précurseurs pouvaient-ils se baser pour imaginer une émission ?

La FPF n’était pas préparée, mais elle a su profiter de l’expérience de l’Association mondiale pour la communication chrétienne du Conseil OEcuménique des Églises (COE). Ses études étaient très pertinentes sur l’importance de l’outil, clairvoyantes sur l’idée que la TV n’est pas un tuyau de transmission d’un message, mais qu’elle est un moyen parmi d’autres d’être présents à l’humanité, d’essayer d’être des témoins —pas plus significatifs ni important que d’autres. Ces études mettaient en évidence qu’au-delà de ces outils importants, l’essentiel du message chrétien se passe de personne à personne, qu’on ne peut faire fi de l’incarnation.

Les protestants francophones ont compris un peu tardivement les enjeux de ce qu’on appelait à l’époque simplement l’information, pas encore la communication. Le pasteur Jean-Marc Chappuis dans son essai Information du monde et communication de l’Évangile a été un des premiers francophones à réfléchir à ces enjeux. C’est un sujet qui préoccupait également Jacques Ellul, mais sa vision radicale rendait parfois difficile l’échange. De plus, ce n’est pas parce qu’on pointe des choses justes sur les dangers, qu’il ne faut pas prendre de risques. Il était un peu seul dans ce paysage avec pour seul vis-à-vis Jean Cabriès —grand auteur protestant méconnu— qui présentait Présence Protestante pendant toute la période animée par Josselin.

Quelle « Présence protestante » peut-on affirmer à la télévision ?

Le dimanche matin, il y a à la télé trois manières d’être chrétiens : catholique, protestante, orthodoxe. Les catholiques ont en plus une force et des moyens que nous n’avons pas. Il faut qu’on existe à côté de cela. Que faire donc ? Les dupliquer ? Faut-il faire du sous-Josy- Eisenberg ? Ses émissions sont remarquables – combien de fois me l’a-t-on fait remarquer – mais est-ce pour cela qu’il faut plagier ? Il fallait donc trouver une manière d’intéresser le public et la chaîne.

Ma conviction a toujours été que nous sommes sur une chaîne généraliste du service public, par définition destinée au plus large public possible. Pour moi cela voulait dire que les chrétiens convaincus n’avaient pas besoin de nous pour nourrir ou approfondir leur vie spirituelle, leur approche biblique. Très tôt j’ai eu le goût de m’adresser d’abord aux autres et puis aux nôtres. J’ai essayé de retourner les choses. Pour moi cette émission était une manière de faire percevoir à des gens qui n’en avaient aucune idée, qu’il y a une manière d’être chrétien qui n’est pas du tout dogmatique, idéologique, figée, moralisante, fermée, s’adressant aux seul initiés. Pour moi être protestant, c’est être pleinement dans le monde tel qu’il est et, au fond, essayer de valoriser le protestantisme non pas forcément dans sa dimension confessante, mais le protestantisme dans sa manière d’être, de vivre aujourd’hui dans la société. C’est pour cela que j’ai créé l’émission Mot à mot–qui m’a beaucoup été reprochée par certains – où volontairement je n’ai jamais invité de protestants pour leur appartenance et même je ne souhaitais pas spécialement en inviter. Je trouvais

Pour moi être protestant, c’est être pleinement dans le monde tel qu’il est et, au fond, essayer de valoriser le protestantisme non pas forcément dans sa dimension confessante.

que c’était intéressant que des gens de tous les milieux, du théâtre, de la musique, de la société au sens large, des philosophes, rencontrent des protestants. J’ai dans ce cadre rencontré beaucoup de gens cultivés qui jamais n’avaient vu de protestants… Pour moi c’est une manière de faire connaître le protestantisme par le biais de cette émission.

Cette émission n’est qu’une facette de notre «Présence protestante»…

Mon souci a été non pas de diffuser le message protestant à des gens qui n’en avaient pas grand chose à faire, mais montrer ce qu’est être protestant dans la diversité de ses modalités : la dimension cultuelle, la dimension oecuménique de débat avec Agapè, la dimension biblique avec Paraboles, des documentaires extrêmement variés, témoignant et enfin Mot à mot. C’était ma manière à moi de montrer comment il est possible d’être chrétien aujourd’hui sans être forcément tous alignés derrière un pape, sans avoir une seule théologie, mais bien dans la pluralité des expressions où il appartient à chacun de juger en conscience. Je n’ai jamais voulu en faire une extension ni d’une chaire, ni d’un temple, ni d’un lieu catéchisme, peut-être à tort, mais c’est comme ça que j’ai voulu travailler, et je me suis battue pour cela.

Avez-vous été tentée parfois de faire une « Défense et illustration du Protestantisme français » ?

Jamais frontalement. Je l’ai fait par les biais des émissions dont nous avons parlé. En montrant qu’on pouvait faire des émissions de qualité, télévisuellement irréprochables. Montrer notre o u v e r t u r e d’esprit et montrer notre aptitude à écouter les questions des autres, pas seulement proposer nos réponses. Cela a été ma « défense et illustration » ; l’idée que, en France, il y a des chrétiens qui s’appellent des protestants qui ont l’air assez à l’écoute, assez enclins à débattre, à réfléchir. Quelques émissions ont été consacrées à un portrait historique du protestantisme en France.

L’absence presque totale de rites dans le protestantisme rend son illustration dans sa grande diversité fort difficile. On peut illustrer par ce que nous sommes. Nous sommes en plus une confession ultra-minoritaire dans sa dimension —celle que je préfère– qu’on appelle luthéro-réformée, c’est-à-dire cette partie du christianisme qui se pose des questions, qui est responsable, qui pense qu’être croyant c’est être intelligent, que la raison, certes présente quelques inconvénients, mais surtout beaucoup d’avantages. C’est ce christianisme- là qui m’intéresse beaucoup.

Mais il s’agit d’une infime minorité…

Effectivement, dans un sondage Ifop assez récent, à la question « Qu’est-ce que le Protestantisme évoque pour vous ? », la réponse la plus fréquente était « Le monde anglo-saxon ». Et même ce résultat provient d’une fraction un peu cultivée car deux français sur trois ne savent pas ce que c’est d’être protestant. Nous vivons tellement dans notre petit monde, que nous n’avons pas conscience de notre ultraminoritarisme. Quand on est aussi petit, il faut s’accrocher à un grand. Avec Agapè, on allait sur le terrain de notre frère ennemi préféré, mais il faut reconnaître que nous avons plus d’accointances avec un Dominicain qu’avec certains courants évangélicalistes de notre protestantisme. Je pense qu’il est très important d’associer des plumes qui viennent d’ailleurs,montrer qu’on n’a pas la Vérité révélée. Il ne s’agit pas de dire que nous somme protestants et de temps en temps donner la parole à un catholique, mais bien d’organiser l’échange, le dialogue. L’idée est bien de faire connaître notre pensée à ceux qui ne la partagent pas. Notre chance est que le protestantisme français s’est d’abord construit contre le catholicisme, mais ensuite en dialogue avec lui, en dialogue critique peut-être, mais nous serions perdus si le catholicisme disparaissait, nous devrions repenser notre théologie. Il nous faut arriver à nous démarquer sans être radicalement opposés, cela me paraît plus efficace. Il faudra plutôt accompagner les catholiques car eux aussi connaissent une situation difficile et nous pouvons les aider à voir comment être minoritaires et bien–portants.feuille

Propos recueillis par
P.F. van Dieren

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