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Numéro 174 - février 2004
( sommaire )

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Protestantisme libéral et théologie naturelle

Il a toujours existé une certaine connivence entre le protestantisme libéral et la théologie qu’on qualifie de naturelle. Nous n’avons pas l’intention, ici, de tout clarifier et de tout expliquer. Nous sommes assurés que, dans tous les domaines de nos recherches, les questions posées ou les interpellations ont bien plus d’importance que les croyances ou les tentatives d’explications avancées. Aider chacun à clarifier un peu pour lui-même des notions, des connaissances et des références et à mieux se situer par rapport à elles, tel est le modeste et pourtant ambitieux projet que nous visons.

La théologie naturelle

Que faut-il entendre par théologie naturelle et où en situer les limites ? Il convient d’être prudent avec les termes et les locutions que nous utilisons. En effet, le même terme peut désigner plusieurs réalités différentes. Mais aussi, avec le temps, le sens des mots évolue. « Être étonné » n’a sûrement pas la même signification hier et aujourd’hui. Cette précaution étant prise, il nous revient de cerner au mieux la vérité des vocables que nous utilisons.

Les protestants libéraux, avons-nous dit, éprouvent souvent de l’attirance pour la théologie naturelle. Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce que cela implique ? Qu’entend-on exactement par théologie naturelle ?

Au sens le plus fort du terme, il n’y a pas de théologie naturelle lorsque l’on dispose d’un livre de référence spirituelle, venant de l’extérieur, telle la Bible pour les chrétiens. De même, pour beaucoup, la Révélation chrétienne, si l’on prend totalement au sérieux son origine divine, entraîne un littéralisme et conduit à une orthodoxie qui répond à toutes les questions relatives à la foi, en les enfermant dans une vision monolithique et globale de la connaissance religieuse.

Et pourtant, les expressions théologie naturelle et Révélation chrétienne ont une consistance et une pertinence indéniables. Par théologie naturelle, on entend une aptitude que l’homme aurait à s’approcher de Dieu et à le connaître, sans aucune aide extérieure, donc sans Révélation, sans rien qui, du dehors, n’ouvre ses yeux à une lumière ou à une vérité qu’il ne détiendrait pas déjà en lui-même.

La foi chrétienne suppose une Révélation. Nous croyons que nul n’a en lui-même une connaissance directe et totale de ce que Dieu veut pour lui, comme du message qui se formule, s’écrit et s’inscrit au travers de l’histoire des patriarches, de Moïse, des prophètes d’Israël et de Jésus. Si nous sommes concernés par l’événement chrétien, nous le sommes grâce à une médiation qui nous met en contact avec lui, qui nous le fait connaître.

C’est pourquoi, au sens étymologique du terme, les protestants libéraux ne sont pas les adeptes de la théologie naturelle. Si c’était le cas, ils seraient seulement déistes, animistes ou panthéistes, et non pas chrétiens.

L’attirance des protestants libéraux pour la théologie naturelle

Comment l’expliquer ? À quoi est-elle due ? En se disant proches de la théologie naturelle, sans la revendiquer totalement dans sa forme la plus radicale ou la plus extrême, les protestants libéraux émargent à une triple conviction.

En premier lieu, contrairement à la position de la plupart des protestants classiques, ils croient à l’importance du sentiment religieux (voir à ce sujet l’article sur Schleiermacher, p. 12) comme moyen pour s’approcher de Dieu. Nous avons en nous-mêmes une certaine intuition de la transcendance et une connaissance implicite de Dieu qui nous permettent d’amorcer un cheminement vers lui. L’être humain, créé à l’image de Dieu, a été doté d’une capacité à sentir et à connaître les choses spirituelles. Ces facultés naturelles n’ont pas été viciées par le péché originel, ou par toute autre abomination, au point d’éliminer ou de rendre obsolète ce sentiment religieux. De ce fait également, il résulte que la mystique en tant que relation directe et personnelle avec Dieu, sans médiation, est possible, voire recommandée.

En second lieu, les protestants libéraux croient que le monde naturel, comme tout incident existentiel, peut être un vecteur pour conduire à Dieu. Beaucoup de textes bibliques le disent ; ainsi le psalmiste (Psaume 19,2) chante :

« Les cieux racontent la gloire de Dieu,
Et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains. »

Non seulement les beautés de la nature témoignent de Dieu, mais elles peuvent conduire à lui. Charles Wagner va plus loin. Il affirme que l’amour pour les autres peut également mener à Dieu, et même qu’il en va presque inéluctablement ainsi. Donc, si la connaissance de Dieu nous parvient par le canal d’une Révélation officiellement reconnue (Jésus-Christ et la Bible), elle ne passe pas uniquement par ce canal.

En troisième lieu, pour les protestants libéraux, insister sur la valeur de la théologie naturelle est une autre manière de dire l’importance qu’ils accordent à ce que l’on appelle le libre examen. Même s’il y a des liens entre les deux, il ne faut pas confondre, comme on le fait trop souvent, liberté de conscience et libre examen. La liberté de conscience est le droit pour chacun d’exprimer et de pratiquer sans contraintes sociales ni sanctions pénales ses convictions. Le libre examen est l’aptitude reconnue à chacun de décider en conscience pour lui-même du sens des textes bibliques, donc de la Révélation, plutôt que de dépendre d’un magistère quelconque, seul habilité à en déterminer la véritable signification. Quand on défend le libre examen, on préconise la recherche et non l’obéissance.

On relèvera que sur les deux premiers points que l’on vient d’énoncer (l’importance du sentiment religieux et la perception de Dieu au travers des éléments et des événements), les protestants libéraux se trouvent curieusement en harmonie de pensée avec la théologie catholique et en contradiction avec la pensée théologique protestante classique (telle qu’on la présente habituellement). Sur le troisième point (l’aptitude à sonder personnellement les Écritures sans passer par un magistère), c’est l’inverse. Là, la coupure est totale avec la théologie catholique, alors que la perspective est proche du point de vue habituel dans le protestantisme, en tout cas tel qu’on l’affirme théoriquement, même si, dans la pratique, on ne l’applique pas toujours. En effet, les protestants classiques s’accordent à revendiquer le libre examen des textes bibliques, mais, dans les faits, encouragent-ils réellement cette pratique ? Sur ce point, et cela dès ses origines, le protestantisme n’a jamais été très clair.

Importance d’une revalorisation de la théologie naturelle

La réflexion qui précède voudrait nous inviter à mieux être nous-mêmes, à mieux être protestants, c’est-à-dire, à mieux situer dans quelle mesure nous dépendons d’une Révélation et dans quelle mesure nous restons libres par rapport à elle.

Il revient à chacun de poursuivre cette réflexion pour lui-même. Il y a sûrement une passerelle entre le Livre, donc une Révélation venant d’ailleurs, et la liberté de chacun pour le sonder et le comprendre.

Il revient aussi à chacun d’établir le lien entre les textes bibliques ou le message chrétien et son regard personnel sur le monde : les beautés et les dangers de la nature, les événements de l’existence et notre propre affectivité.

Nous ne sommes redevables ni du il est écrit, ni du Dieu a dit que. Ces formules expriment des convictions et des orientations qui entraînent facilement vers des impasses spirituelles. Au cours de l’histoire des religions et de celle de l’Église, elles ont justifié trop de fanatisme, de croisades et de condamnations pour que nous les approuvions ou les fassions nôtres. Nous sommes responsables de notre quête constante du visage de Dieu et de sa volonté, comme de notre inlassable désir de grandir vers la Lumière. Pour cela, nous avons recours aux Écritures, mais notre connaissance implicite de Dieu et nos expériences religieuses jouent également un rôle considérable . feuille

Pierre-Jean Ruff

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