N° 172 - décembre 2003
( sommaire
)
Cahier :
L'actualité des Vaudois,
Les Vaudois du Lubéron,
par Christian
Mazel
Dédicace. Aux abonnés et lecteurs qui nous ont toujours
soutenus et encouragés par leur fidélité et confiance
au cours de ces 16 ans de correspondance et à qui (pour donner
la parole a beaucoup d'écrivains) nous n'avons adressé
que 2 « cahiers » de notre « cru ».
C. M.
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L'actualité du valdéisme
La spiritualité des Vaudois a évolué en 8 siècles.
Depuis la conversion de Vaudès en 1170 à Lyon jusqu'à
aujourd'hui, en passant par l'assemblée des Barbes (prédicateurs
itinérants) à Chanforan en 1532.
Par exemple, devant le pape Lucius III en 1184 Vaudès et
ses disciples réclament la liberté d'annoncer l'Évangile
pour les hommes et les femmes, clercs ou laïcs. Aux XVe et XVIe
siècles, les prédicateurs doivent se cacher et vivre
dans la clandestinité.
On retrouve des évolutions dans l'Église catholique
romaine. Bossuet (1627-1704) serait interdit de chaire aujourd'hui
: il était gallican. Depuis un siècle et demi, des dogmes
essentiels ont été promulgués : Immaculée
conception (1854), infaillibilité pontificale (1870), assomption
corporelle de Marie (1950).
Mais il y a des constantes qui montrent à quel point la spiritualité
vaudoise est en pleine actualité.
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LA PAUVRETÉ
Alors qu'un quart de la population mondiale est sous-alimentée
et que cette question est une des plus urgente pour nous, Vaudès
(comme François d'Assise dont la mère était très
probablement de foi vaudoise) est scandalisé par la misère
du peuple. Il veut que l'Évangile soit vécu. A Pentecôte
1173 il abandonne toute sa sécurité de marchand fortuné
à Lyon pour partir à l'aventure en « pauvre ».
La pauvreté n'a rien à faire avec le mérite.
Elle est un moyen de liberté de mouvement et de prédication.
La discussion entre les Vaudois de la vallée du Pô
(les « Lombards ») et ceux du Midi plus rigoristes à
propos de l'opportunité d'avoir un métier (et donc une
sédentarité) finit par trouver un accord fraternel à
Pergame.
Les vaudois, inspirateurs des ordres franciscains et mendiants,
ont vécu la solidarité avec les pauvres de toutes les
époques.
On les a tout de suite appelés « les Pauvres de Lyon
» ou les « les Pauvres du Christ ».
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AUTORITÉ DE LA BIBLE
Le symbole pictural des Vaudois est un chandelier allumé
entouré des 7 étoiles (Églises de l'Apocalypse)
et le devise « Lux lucet in tenebris ». La Lumière
luit au sein des ténèbres : la Parole de Dieu.
Au XIIe siècle, une des premières actions de Vaudès
fut de traduire les Écritures en langue vernaculaire. Il chargea
le « grammaticus » Etienne d'Anse et le « copiste
» Bernard Ydros de traduire des portions de la Bible pour être
répandues.
On pouvait trouver sur certains marchés des fragments de
Bibles historisées, glossées ou versifiées. Mais
pour un parchemin avec une Bible complète il fallait les peaux
de trente moutons.
C'est à dire une fortune. Qui peut acheter de pareils objets
?
Dans la bibliothèque Inguibertine de Carpentras (ancienne
capitale du Comtat venaissin) une bible vaudoise de 1450 environ comporte
le texte avec des prologues, gloses et indications en provençal.
Cette Bible est une sélection de livres : des deutéro-canoniques
sont en bonne place, mais il manque les livres pouvant induire à
des spéculations doctrinales (Genèse... etc.). Les livres
« sapienciaux » occupent une place centrale avec les Psaumes,
le Siracide, la Sapience de Salomon...
Lors du célèbre synode à Chanforan (1532) avec
des barbes venant des pouilles, de Provence, du Piémont, des
Allemagnes et des communautés dispersées en Europe,
une décision essentielle fût celle de traduire la Bible
en français. Erasme, Lefèvre d'Etaples, Briçonnet
et le groupe de Meaux faisaient les traductions à partir de
la « Vulgate », en latin, de Jérôme. Les
vaudois consacrèrent 500 écus d'or (un écu représente
pour ces paysans une année de travail) pour que Pierre Robert
Olivetan, cousin de Jean Calvin, puisse travailler deux année
dans « les vallées » pour cette traduction. Pour
eux l'autorité de la Bible surpasse celles des papes et des
conciles. Les vaudois ont été les premiers à
traduire la Bible en français à partir des textes originaux
en hébreu et en grec.
Le geste qui marque le début du mouvement vaudois est l'envoi
des disciples pour répandre l'Évangile et Vaudès
part avec eux à l'aventure dès la fin du XIIe siècle.
Les barbes transportaient toujours la Bible avec eux. Ils la dissimulaient
dans leur baluchon de colporteur.
Quand Griot est arrêté (fin octobre 1532 à Lourmarin
dans une ferme), il possède des livres dans son sac : «
un petit sachet de toile blanche ». Lors du procès inquisitorial,
il est interrogé plusieurs fois sur le propriétaire
de ces livres trouvés dans son sac. Il refuse de répondre
: la question est trop dangereuse. En effet, la seule possession d'un
livre est suspecte : les clercs sont les seuls enseignants patentés,
autorisés et reconnus.
Les fermes et maisons où passaient « les barbes »
possédaient une chambre à deux lits et une petite bibliothèque.
Par exemple, la maison de Collin-Pellenc, au Plat d'Apt, avait une
pièce secrète où furent trouvés des livres
« hérétiques » (1540) : une bible en français
Olivetan, les Actes des Apôtres, un livre de polémique
religieuse, une lettre, sans doute, de Calvin.
Autre exemple : Jean Serre, de Murs (maître d'école
pour les jeunes barbes - dit « le boiteux de Murs » -
avoue en 1536 posséder une bible en italien et un Nouveau Testament
en Français.
Le jeune barbe Jean Griot (que nous avons déjà mentionné)
lors de son procès à Apt par Jean de Roma en novembre
décembre 1532 (8 interrogatoires avec les minutes du notaire
des séances).
« Avant que l'on reçoive ung prescheur en leur secte,
il faut qu'il soit bien approuvé. Et luy faict-on estudier
le nouveau testament quatre ou cinq ans jusques à ce qu'ils
scaichent tout par coeur, comme l'Évangile : sainct Mathieu
et sainct Jehan, et les apostres Thimoteum et Titum et les épitres
de sainct Jude. Et mesmement ledict qui parle dict qu'il scavait déjà
scaint Mathieu et les épitres canonicalles en sa langue maternelle
briansonnoys et deux chapitres de sainct Luc. En après, dict
que quant les prescheurs s'en vont deux à deux il y ung qui
est principal (pour Griot c'était Jean Gérault) et l'autre
est son simple compagnon, lequel lui est donné pour plusieurs
raisons. La première est pour apprendre le nouveau testament,
la seconde pour soy exercer petit à petit en prédication,
la tierce est pour porter tesmoignages à la congrégation
si sondict maistre a été de bonne conversation.
Il a esté deux ans a estudier sainct Mathieu et les épîtres
canonicalles soubs la doctrine et conseil de Jehan Serre de Murs et
du bonnetier d'Avignon » (Guérin) (Follio 185).
Griot cite : Genèse 43 (Joseph en Egypte), Exode et Deutéronome
pour la loi ecclésiastique et Maccabées II à
peu près tous les livres du Nouveau Testament (16 sur 27) dont
les plus importants, les 4 Évangiles.
La source de la foi vaudoise est la Bible.
Beaucoup rejettent au nom de l'enseignement biblique, le culte des
saints, la confession auriculaire (à l'oreille du prêtre),
le purgatoire, la prière en faveur des morts, l'obéissance
aux supérieurs indignes, le sacrifice matériel de la
messe, les indulgences. Ils n'admettent pas la peine de mort et sont
végétariens avec intransigeance. L'un d'eux déclare
: « Jésus n'a-t-il pas comparé ses disciples aux
oiseaux du ciel et aux lys des champs : tels nous devons être
».
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MÉFIANCE A L'ÉGARD DES RITES, INSTITUTIONS, DOGMES
L'esprit vaudois s'oppose à tout ce qui est figé.
Vaudès apparaît à Lyon au XIIe siècle
en pleine montée sociale des laïcs, des femmes et des
marchands. Les marchands font éclater la société
féodale. Leurs richesses dépassent parfois celles des
propriétaires terriens. Les foires qui prennent de l'essor
sont l'occasion d'échanges de marchandises et d'idées.
Les développements économiques favorisent le brassage
des monnaies et des livres. Et Lyon est articulation et jonction des
terres de Provence et de France et les terres d'Empire germanique.
Vaudès et le père de François d'Assise (Bernardone)
ont été participants de ces foires de Lyon.
A la différence de François d'Assise, Vaudès
n'a pas voulu que les disciples qu'il envoyait « deux à
deux, pieds nus, vêtus de laine grossière, nus sur les
pas du Christ nu » (note le prélat romain Walter Map
chargé de l'enquête à leur sujet), portent un
costume particulier. « Les Pauvres de Lyon » ne se signalent
par aucun vêtement spécifique qui les distinguent des
autres et constituent une organisation disciplinée ou autoritaire.
Seules les sandales rappelaient l'itinérance évangélique
des disciples de Jésus en Galilée.
Avant la réforme et les affrontements doctrinaux (1540),
les Vaudois ont peu pratiqué les confessions de foi.
Se distinguant des cathares, les Vaudois n'ont pas eu de rigoureuses
structures d'Église alors que le mouvement vaudois commençait
quand les cathares s'organisaient, par exemple avec le synode de Saint
Félix de Caraman (1167).
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L'ESPRIT DE RÉSISTANCE
Beaucoup aiment faire partie du nombre, de la majorité et
du consensus du moment. « Faire comme tout le monde et penser
comme tout le monde » donne un confort et sert d'argument de
vérité.
Dès l'origine, les vaudois ont accepté d'être
minoritaire. Marie Durand, enfermée à 15 ans dans la
tour de Constance (Aigues-mortes) pendant 38 ans, a gravé sur
la margelle du puits le célèbre mot « RESISTER
».
Elle symbolise cet esprit de liberté personnelle face à
l'oppression. La formule qu'elle a refusé de prononcer -pour
obtenir sa libération-était : « Je me réunis
».
Lors de la Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV (1685),
les vaudois d'Abriès (Queyras dans les Hautes-Alpes) ont préféré
s'exiler : les 3/4 des familles ont choisi l'exil plutôt que
« l'abjuration » (pour eux « apostasie » et
reniement).
« Faire semblant », « On en prend et on en laisse
» ne correspondent pas à leur attitude spirituelle.
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CARACTERE INTERNATIONAL DE LA FOI CHRÉTIENNE.
Jean Duvernois, spécialiste des cathares et des vaudois,
insiste dans ses travaux sur le caractère interrégional
(international, mais il n'y avait pas encore de « nations »).
Jacques Fournier, inquisiteur à Pamiers, interroge un «
hérétique » en 1314 : il a étudié
16 ans. Né à Saint André (Isère, Dauphiné),
il a séjourné à Lyon, Orange, Montpellier, Viviers...
Les historiens Molnar et Giovanni Gonnet ont mis en évidence
« Alliance valdo-hussite ». Les meilleurs théologiens
vaudois étaient les hussites, de Bohème aux XVe, XVIe
et XVIIe siècles !
Très tôt au XVIe siècle, les vaudois sont en
relation avec les premiers réformateurs. Par exemple, le synode
de Mérindol en 1530 envoie deux de ses représentants
consulter Farel à Neuchâtel et Oecolampade à Bâle.
Nous avons les lettres de Georges Morel (de Freissinières)
avec Oecolampade et Bucer (Strasbourg). Des « péticions
» ont les réponses de leurs questions. L'autre délégué
était le bourguignon Pierre Masso.
Au synode de Chanforan (1532) les barbes venaient de toute l'Europe.
Farel et Saunier avaient fait le voyage depuis Genève.
Les persécutions ont encore accentué ces transferts
de populations à travers l'Europe et aussi, l'Amérique.
Actuellement il y a plus de vaudois en Uruguay (région de la
Plata), qu'en Italie dont les pionniers sont originaires.
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LA MISE EN PRATIQUE
La mise en pratique dans la vie quotidienne compte plus que les
rectitudes dogmatiques.
Dans la « Noble lession », poème du XVe siècle
(conservé à Cambridge) nous trouvons dans la traduction
de Léger (1669) :
« Mais l'Ecriture dit, et voir nous le pouvons :
Que s'il se trouve un bon aymant Dieu et son Christ
Qui ne veuille médire, ni jurer, ni mentir,
Ni commettre d'adultère, tuer ni dérober,
Et de ses ennemis ne se veuille venger,
C'est un vaudois, dit-on, qu'on le fasse mourir ! »
Sa conduite quotidienne définit le vaudois et le désigne
aux yeux de tous.
Nous avons mentionné la base biblique de la formation des
barbes. Les subtilités dogmatiques n'entrent pas dans leur
enseignement.
Devant l'inquisiteur Jean de Roma (nous avons les minutes des huits
interrogatoires mais pas les supplices infligés et les pressions.)
Jean Griot est interrogé sur la sainte Trinité.
- Crois-tu à la sainte Trinité ?
- Oui.
- Crois-tu au Fils ?
- Oui.
- Crois-tu au Saint Esprit ?
Oui.
Cette confirmation est signe d'hérésie. Il faut croire
« en l'Esprit », et non « au saint Esprit ».
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LA FOI VAUDOISE, UNE MANIERE DE VIVRE
On connaît les représentations de la famille vaudoise
réunie autour de la table avec le père lisant la Bible
pour toute la famille.
Savoir lire la Bible impose de savoir lire. Des écoles de
montagne ont été ouvertes un peu partout dans les «
vallées ». Au moment où les vaudois sont sortis
de leur « ghetto » pour se répandre en Italie (1848),
une école était toujours jointe au temple.
Aux USA, en Caroline du Nord, lorsque les vaudois du Piémont
ont créé la ville de Valdèse (1893), ils ont
construit l'école avant de bâtir le temple. Ainsi était
cette tradition vaudoise. On ne peut oublier que la première
« école normale » (formation d'enseignants) a été
créée par Félix Neff dans le village de Dormillouse
(à 1800 m. d'altitude tout au fond de la vallée de Freissinière)
et cette « école de régents » fonctionna
durant deux ans entre 1825 et 1828.
En famille, l'éducation s'efforce de vivre la « non-violence
», la rectitude de la parole dite, la transparence de la vie.
Des universitaires ont évoqué des séances nocturnes
débridées dans des familles vaudoises de Provence. Il
ne semble pas que les documents sérieux appuient cette thèse.
Nous ne saurions faire de l'hagiographie de ce mouvement de foi.
On retrouve des incohérences et des inconséquences :
des vaudois riches, ou des vaudois qui défendent leur famille
par les armes.
Mais notre pensée a voulu accompagner un élan spirituel
qui est pour nous un stimulant et un encouragement.
Ils se savaient et se savent « le sel de la terre ».
Leur actualité se lit avec joie.
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Les vaudois de Provence
L'ÉGLISE DU MOYEN-AGE
Depuis Jésus de Nazareth, dans les siècles qui ont
suivi, jamais il n'y eut d'organisation complète des Églises.
La légende raconte que l'apôtre Thomas créa une
église chrétienne en Inde. Les montagnes de l'Arménie
isolèrent les chrétiens de ces contrées des controverses
et luttes méditerranéennes. De même aussi pour
les chrétiens de la haute vallée du Nil. Dans le monde
de la Méditerranée, des mouvements divers animèrent
les Églises : l'arianisme (un moment majoritaire), le donatisme,
les cathares au XIe et XIIe siècles...
Avant la rupture et l'excommunication réciproques du pape
de Rome et du patriarche de Constantinople en 1054, des disputes et
conflits continuels n'avaient cessé de diviser latins et orientaux
: date de la fête de Pâques, légitimité
et usage des images, liturgies, épiscopats et surtout autorité
sur l'ensemble des églises et primauté d'un siège
de pouvoir sur l'autre siège. On fait remarquer que souvent
l'histoire de l'Église est celle de ses divisions.
Au Moyen Age, beaucoup de dogmes et doctrines diverses n'étaient
pas codifiés (ils le seront pour l'Église romaine par
le concile de Trente 1545-1565 dit de la Contre-Réforme). Par
exemple, aux IXe et Xe siècles on pouvait discuter entre théologiens
scolastiques au sujet de l'eucharistie : « si une souris mange
l'hostie, est-ce qu'elle a mangé Dieu ? » (controverse
Ratramme et Radbert à Corbie).
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LA RICHESSE DE L'ÉGLISE OFFICIELLE ET LES « LES PAUVRES
DU CHRIST »
Au XIIe siècle en Occident devant la scandaleuse richesse
et le luxe effréné des princes de l'Église officielle,
des « sociétés » (Societas) apparurent.
Comme il en existait pour les marchands et les artisans. Ces groupes
chrétiens s'appelaient « les pauvres ». Si aujourd'hui
les Églises sont pour la plupart pauvres dans une société
de consommation, au XIIe siècles les prélats étalaient
dans une société de misère, les apparats de leur
richesse.
Chez les « lombards » de la plaine du Pô, surviennent
Arnaldo de Brescia, Jean de Ronco et tout un mouvement des «
pauvres lombards ». En Bohème et d'autres régions
de l'Europe, on remarque des groupes semblables désirant vivre
selon l'Évangile. Ils s'opposent aux moeurs dissolues et la
hiérarchie ecclésiastique de leur temps.
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VALDO & VAUDES
Ainsi, dans ce contexte social et religieux, en 1773 un riche marchand
de Lyon se convertit à la pauvreté. Son nom, comme c'est
le cas à cette époque peut s'orthographier Valdo, Valdus
Valdesius, Vaudés. Le prénom (inusité à
l'époque) ne lui sera donné qu'un ou deux siècles
plus tard par les Lombards ; Pierre, évoquant la vraie succession
apostolique spirituelle du Christ. On ne sait avec exactitude ni la
date de naissance (vers 1140), ni le lieu. On ne connaît pas
non plus, les circonstances de sa mort : en Provence en 1207 ou en
Bohème en 1217.
Marié, père de famille, Valdo change de vie dans des
circonstances mal connues de nous.
On peut penser à 3 raisons qui ne sont pas exclusives les
unes des autres.
1) La prédication des « pauvres de Lyon ». Les
marchands étaient les grands aventuriers de l'époque.
La prédication venant des compagnons de mêtier et de
foi ne pouvait être que convainquante pour un homme sincère
et conséquent.
2) La mort brutale d'un ami lors d'un banquet. Quel est le sens
de la vie et des urgences du temps ?
3) Un ménestrel (les ménestrels et troubadours véhiculaient
des idées religieuses souvent peu conformes aux théologies
officielles mais toujours sous une forme poétique et voilée)
chante le poème et le récit d'Alexis : le jour de son
mariage, le riche noble disparaît de chez lui ; on ne sait ce
qu'il est devenu. A la porte de sa riche demeure, un mendiant est
venu quémander pendant des années. A la mort du quémandeur,
on s'aperçoit qu'il n'est autre que le seigneur disparu et
revenu incognito chez lui.
Par la chronique dite de Laon (1220), nous savons qu'il découvrit
la pauvreté et voulut s'y consacrer. A Pentecôte 1173,
il fait don des immeubles à sa femme, place ses deux filles
à l'abbaye de Fontevrault, distribue pain et viande aux pauvres.
Après une dernière distribution de ses biens aux pauvres,
il se réfugie chez un ami (15 août). Sur le seuil de
la demeure, celui qui fut un très riche marchand (draperie,
soies, épices) déclare : « Vous ne pouvez servir
Dieu et Mammon ».
« Étant donné que, selon l'apôtre Jacques,
la foi sans les oeuvres est morte, nous avons renoncé au monde
et distribué tous nos biens, comme Dieu le veut et nous avons
décidé d'être nous-mêmes pauvres de telle
façon que nous n'ayons plus aucun souci du lendemain et que
nous n'acceptions de personne ni or ni argent, ni quoi que ce soit,
si ce n'est le vêtement et le pain quotidien. Notre intention
est de vivre les conseils évangéliques comme étant
des préceptes impératifs ».
1180. Ce document, digne de foi, est le seul texte que nous possédions
qui émane directement de Valdés.
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LA PROVENCE DES XIVe ET XVe SIECLES.
A la fin du XIVe et au cours du XVe siècle la Provence est
décimée par la guerre, les pillages, les calamités
et les pestes. Les papes se protègent par la construction de
remparts (env.1350) autour d'Avignon. La guerre entre les deux branches
de la maison d'Anjou ravage le pays. Les « Grandes compagnies
» sévissent dans la contrée. En 1470, dans la
viguerie d'Aix, 50 villages ont disparu, 47 % des agglomérations
ont été abandonnées, 60 % dans le pays d'Apt.
On parle du « siècle de l'homme rare » (Leroy Ladurie
: Montaillou).
Les seigneurs se préoccupent de faire cultiver le pays, mis
à l'abandon et dépeuplé. Ils ne se préoccupent
pas de la religion des nouveaux colons qui viennent à des conditions
spécialement avantageuses, remettre en culture en défrichant.
Ce sont : l'évêque de Marseille qui a en fief Mérindol,
les moines de Sénanque et de Silvacane, l'évêque
de Cavaillon Sadolet dès 1517, qui eut une correspondance avec
Jean Calvin à Genève), les papes d'Avignon. Philippe
III « le Hardi » donna ses terres au pape Grégoire
X en 1274.
Les papes séjournèrent en Avignon de 1307 à
1376.
Des « actes d'habitation » sont signés à
ces « fermiers perpétuels », travailleurs honnêtes,
peu intéressés par les gains et avantages qu'exigeaient
d'autres travailleurs (Dr Arché). Le légendaire roi
René meurt en 1480. Selon les articles de son testament, un
premier neveu, Charles du Miane lui succéde. Son règne
ne dure pas plus d'un an. Le second hérite de la Provence en
1481 : c'est Louis XI qui nomme Forbin vice-roi (on raconte que Louis
XI lui aurait dit : « tu m'as fait comte » - allusion
au fait que Forbin l'avait fait mettre sur le testament du roi René
: « je te fais roi »).
La Provence perd ses privilèges et libertés. Le comté
devient sénéchaussée et le Parlement d'Aix aligné
sur les autres provinces (1501). Les deux derniers représentants
de la famille de Sabran, ruinés, vendent à Foulk (ou
Foulquier d'Agout), seigneur de Sault, le pays d'Aigues et une partie
de la Provence, qu'il gouverne pendant 70 ans jusqu'à sa mort
en 1490. La succession est ensuite assurée par Louis puis le
beau-frère, les Boiliers et la dame de Cental.
La Provence est envahie par les troupes impériales du connétable
de Bourbon (1524) et celle de Charles-Quint (1536). Amies ou ennemies,
les armées de passages ne laissent que ruines et famine.
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LES VAUDOIS DESCENDENT DES ALPES
A XIVe siècle, les vallées de Freissinières,
de Valpute (appelée dès 1469, val Louise en reconnaissance
à Louis XI), le Briançonnais et le Valcluson en Piémont
sont peuplés de familles vaudoises. Des persécutions
sont périodiquement exercées contre ces paysans. En
particulier en 1487, Albert de Catane, grâce au consentement
de Charles VIII et au désir du pape, se déchaîne
contre les vaudois. C'est une véritable croisade, partie de
Grenoble, pour l'extermination des vaudois. Le Parlement de Grenoble
charge Hugue de la Palud de cette mission. 8000 volontaires s'engagent
pour bénéficier des biens des hérétiques.
Les survivants vaudois doivent porter une croix sur la poitrine et
une autre sur le dos.
La deuxième raison qui a conduit les vaudois des Alpes à
s'expatrier est la misère. 1/3 de la population peuplée
de Vaudois ne peut payer d'impôt « à cause de la
pauvreté ». Les registres du fisc classent la population
en quatre catégories : les solvables, les habitants à
revenu modeste, les pauvres et ceux qui sont partis depuis le dernier
pointage. Le fisc pressure autant qu'il est possible, et même
au delàS(
Il faut vraiment être dans le besoin pour être taxé
« pauvre ». A Freissinières, sur 95 feux, il y
a 48 % de pauvres ; sur 295 à Vallouise, 12 % ; à l'Argentière
88 % d'après la recension de 1474. Deux ans plus tard la situation
a empiré : l'appauvrissement s'accrut de 10 %.
La misère est un phénomène des pays alpins.
Elle ne touche pas seulement les vallées vaudoises. Mais on
trouve chez ces familles une volonté de s'en sortir.
La solidarité religieuse et familiale, joue un grand rôle
: les familles émigrantes sont accueillies par ceux des leurs
qui les ont précédés dans les pays plus favorisés
aux plans climatique et agricole. L'entraide existe fortement au sein
de cette communauté de foi. Ces hommes et ces femmes ont confiance
que « Dieu fait la route devant eux » et leur permet une
nouvelle implantation. La lecture de l'Ancien Testament avec l'exode
du peuple d'Israël dans le désert et l'implantation en
Terre Promise nourrit leur pensée.
La troisième raison : la famille des Bouliers, seigneur à
la fois en Piémont (Roccasparvera, Demonte, Centallo) et en
Provence (La tour d'Aigues et sa région) aurait délibérément
exercé une action pour ce transfert de population paysanne.
« La dame de Cental a fait venir des vaudois » dit le
président du Parlement d'Aix, de la Fonds, en 1546.
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L'IMPLANTATION EN LUBERON
On sait que l'émigration humaine se fait souvent en descendant
les cours d'eau. Il est donc naturel que les familles vaudoises des
Alpes, pour presque la moitié, suivent le Guil, la Biaisse,
la Guisane et la Durance. De plus cette migration s'effectue d'est
en ouest, selon un phénomène bien connu aussi. On retrouve
à Pertuis et à Cucuron, des hommes de Ristolas (Queyras).
Chacun « se loue, lui et ses oeuvres ». Le Luberon est
particulièrement attractif. 95 % des colons venant des Alpes
s'installant en Provence sont des vaudois. Toutes les hautes vallées
de la Durance et celle du Cluson sont massivement vaudoises. Il suffit
d'être originaire de ces vallées pour être suspecté
d'hérésie (procès du jeune barbe Griot devant
l'inquisiteur, Jean de Roma, en 1532). Le 10 mars 1495, 80 chefs de
familles vaudoises de Freissinières partent pour s'installer
à Cabrières d'Aigues, village entièrement abandonné.
Ils signent un acte d'« habitation » avec le seigneur
du lieu, Raymond d'Agoult (de la grande famille des Simiane). Cinq
siècles plus tard 1/3 des habitants portent encore un nom vaudois...
Une des première installations fut Saumane en Comtat Venaissin.
Le pape est le premier à accueillir des hérétiques
pourvu qu'ils soient de bons paysans !
Les moines de Silvacane installent aussi des vaudois. Les vaudois
construisent le beau château de Loumarin, toujours debout. Les
colonies vaudoises sont tellement prospères qu'il se produit
une seconde vague d'immigration ; depuis les villages construits,
les vaudois partent pour des implantations nouvelles : la Roque d'Anthéron,
St Estève-Janson, Velaux (avant la révocation de l'édit
de Nantes, 1685, Velaux sera le siège du consistoire de Marseille
replié à cause des restrictions incessantes qui sont
imposées aux protestants).
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LA FOI DES VAUDOIS DE PROVENCE
Les vaudois de Provence vivent leur foi dans le secret de leur vie
de famille. Les « bastides » sont fermées vers
l'extérieur. la lecture de la Bible est quotidienne, si possible.
La bibliothèque Imguibertine de Carpentras conserve une bible
du XIVe siècle, en parchemin, écrite en langue romane
comme tous les textes vaudois d'avant la Réforme. Cette bible
est enluminée.
Les familles vaudoises reçoivent la visite clandestine de
« barbes ». Les barbes sont des prédicateurs itinérants
qui passent la nuit de hameaux en hameaux, et de ferme en ferme, surtout
durant la période d'hiver. On les appelle « barbes »
parce que ce mot, en langage populaire de l'époque, signifie
« oncle ». C'est un titre de respect pour eux et pour
leur ministère.
Jésus dans l'Évangile de Mathieu (23/9) affirme «
n'appelez personne votre père ». Les vaudois veulent
respecter cette interdiction. Les barbes circulent toujours 2 à
2, un plus âgé et expérimenté, l'autre
plus jeune et en apprentissage. Ils connaissent les maisons vaudoises,
arrivent la nuit pour ne pas se faire repérer. Ils tiennent
des réunions au cours desquelles la Bible est lue et commentée,
les confessions reçues avec une parole de pardon, l'enseignement
donné.
Les barbes se réunissent périodiquement pour décider
des grandes orientations du mouvement et les répartitions des
régions à visiter par eux.
Mais en dehors de ces rencontres secrètes, les familles vaudoises
participent à la vie sociale et religieuse des villages, aux
cérémonies et habitudes locales.
En dehors de l'institution des barbes (relativement tardive si on
considère le mouvement évangélique depuis le
XIIe siècle) et des réunions clandestines, il n'y a
pas d'organisation ecclésiastique, ni de théologie contraignante.
La bible et les écrits étaient soigneusement cachés
dans les « caches » dans l'épaisseur des murs,
par exemple. On en retrouve dans le vieux Mérindol. La possession
d'une bible était passible du bûcher.
La population vaudoise est paisible et travailleuse. Les témoignages
dans ce sens abondent.
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LE MASSACRE DE 1545
La vie paisible ne fut pas de longue durée. Dès 1530
la persécution sévit contre ces familles paysannes sans
défense. Il y a l'affaire du moulin d'Apt. Vers 1538-39 on
comptait 10000 maisons vaudoises et protestantes dans la basse vallée
de la Durance, Avignon, Cavaillon et Orange (principauté de
la maison de la maison de Bourgogne).
En 1537, un édit royal de François Ier faisait obligation
aux « mal-pensants » d'abjurer dans les 6 mois pour cause
de possession d'une bible. Colin Pelenc, le meunier du moulin d'Apt
est brûlé vif. Son moulin devient la propriété
de son dénonciateur, le juge d'Apt. De nuit, 19 personnes viennent
saccager le moulin pour empêcher l'acquéreur de prendre
possession du moulin. Contre cette escouade vaudoise, un arrêt
du parlement d'Aix du 18 novembre 1540 condamne 20 personnes de Mérindol
et (bien curieuse condamnation dans les annales judiciaires) la localité
entière...
Devant la « supplique » des gens de Mérindol
à lui même, à la Cour, au cardinal Sadolet, et
leur profession de foi, François Ier hésite à
ordonner l'exécution de l'Edit. Mais diverses pressions s'exercent
sur le roi : l'influence du cardinal de Tournon, un gage d'orthodoxie
donné à Charles-Quint, la pression du légat du
Comtat-Venaissin, le besoin d'occuper une soldatesque désoeuvrée
qui venait du Piémont et attendait d'être embarquée
à Marseille, malentendu dans les signatures du roi.
Le 31 janvier 1545, l'ordre d'exécution est signé
par François Ier.
En avril, c'est la semaine sanglante, croisade épouvantable
contre des chrétiens sujets du roi, conduite par le président
du parlement d'Aix, le baron Meynier d'Oppéde. Jaloux de la
prospérité de la famille de Cental ou éconduit
par la Dame, le chef du massacre utilise toutes les cruautés
imaginables. 23 barbes sont exécutés, 3000 vaudois massacrés
dans les tortures et tourments, 660 galériens emmenés
à Marseille, 225 non-vaudois exécutés pour avoir
reçu ou nourri les femmes et les enfants pourchassés
(qui meurent de faim sur les chemins), 25 villages rasés. En
particulier Mérindol et Cabrières du Comtat sont entièrement
détruits. Nobles, ecclésiastiques, soldats, paysans
s'enrichissent des dépouilles des Vaudois.
Un cri d'horreur monte de toute l'Europe protestante.
François Ier meurt en 1547. Henri II, qui succède
à son père, décide de frapper : les « coupables
si haut placés » doivent être « punis ».
Jacques Aubery, lieutenant du roi et ambassadeur, fut chargé
d'une enquête. Elle reste un document précieux et très
documenté sur les atrocités, massacres et évènements.
Le Parlement de Paris acquitte le Parlement d'Aix ! Le baron d'Oppède
triomphait. Il est nommé « chevalier de Saint Jean de
Latran » par le pape Paul IV.
Pour la petite histoire, on raconte que ses descendants, partis
en Allemagne sont devenus protestants...
En constante pression d'arrestations, emprisonnements, tortures,
exécutions, vexations de toutes sortes, des escouades de vaudois
ont tenté de résister pour maintenir quelques libertés.
Après de multiples escarmouches, le génocide de 1545
met fin au rayonnement visible des vaudois du Lubéron. Les
réfugiés se rendent à Genève, en Suisse,
en Allemagne, en Hollande pendant toute la période qui suivit
en particulier dans les années 1555-1561.
La présence du valdéisme en Provence ne subsiste pas
seulement par des patronymes très nombreux, mais par la survivance
de communautés importantes lors de la Révolution et
du début du XIXe siècle, et par un esprit de liberté.
Nous aimerions que ceux qui visitent la Provence en touristes ou
ceux qui s'y installent apprennent à connaître l'histoire
des familles qui ont mis en culture ce paysage ensoleillé et
qui ont contribué, à travers leurs tribulations et drames,
à forger l'âme de ce pays. Cette présentation
voudrait aider la recherche de cette identité.
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