logo d'Évangile et Liberté

articles du N° 165 - Avril 2003

( sommaire )

Éditorial : La violence et les violences publiques

La violence est inscrite dans les lois de la nature. Elle fait partie de son fonctionnement. A ce titre, nous ne pouvons pas totalement nous en extraire. Nous vivons tous de la mort des autres, ne serait-ce que biologiquement. L'humanité émarge pour une part aux lois de la nature qui sont celles de la jungle. Pour cette raison, les chrétiens gnostiques déclaraient que le Dieu de l'Evangile ne pouvait pas être à l'origine de telles conditions d'existence.

Sans doute, honorer sa condition d'homme, c'est progresser sur la voie de la maîtrise de ses pulsions négatives, donc néfastes pour soi et pour les autres. Ce constat ne contredit pas le fait qu'il existe des êtres naturellement bons, donc respectueux et soucieux des autres sans efforts, ni le fait que l'amour le plus authentique, dans certaines circonstances, n'exclut pas des formes de violences.

.

Les violences publiques ont des causes et des modalités diverses. Certaines sont plus remédiables que d'autres. La classification qui suit n'en est qu'indicative. Un législateur avisé devrait en faire un listing plus rigoureux. Il y a donc :

- Les violences des déséquilibrés ou des cyniques. Elles peuvent faire suite à une contrariété importante et traduisent souvent une grande souffrance. Parfois, elles sont sans cause apparente. Elles concernent les tireurs-fous, ceux qui agressent pour faire parler d'eux, tel l'auteur du coup de couteau dont le maire de Paris a été victime. En partie, les viols et les tournantes.

- Les violences crapuleuses. Elles visent les enlèvements d'enfants et d'adultes pour obtenir une rançon. Elles concernent aussi les trafics de drogue, de prostitution et de pédophilie.

- Les violences des idéologies sans compromissions. Elles émanent des vrais terroristes : les brigades rouges, le mouvement Al Qaïda, tous ceux qui, à tort ou à raison, considèrent qu'ils n'ont plus leur place dans notre société et qui ne voient pas d'autre moyen pour faire entendre leur protestation que de tout casser.

- Les violences portées en soi et générées par certains systèmes politiques. De ce nombre, on peut évoquer le stalinisme, le régime des taliban, l'Inquisition. Elles sont instaurées ou crées par le capitalisme (se reporter aux Raisins de la Colère de John Steinbeck), par des idéologies totalitaires et la bureaucratie d'état qui en est la conséquence (voir les citations de Camus et de Steinbeck, à la page 2 et 11).

- Les violences des opposants qui n'ont pas d'autre moyen pour se faire entendre. Ce sont les violences des non-violents ( Gandhi ou Martin Luther King ) ; mais aussi certaines grèves, le mouvement de José Bové ou les intifadas palestiniennes.

.

Socialement, que suggérer ? Il ne faut pas vouloir instaurer un ordre moral ou une société vertueuse par la loi, tels la Genève de Calvin ou les systèmes communistes durs.

Il ne faut pas non plus une morale à deux vitesse : que les dirigeants de nos sociétés puissent frauder en toute impunité, tel cet ancien ministre déclarant publiquement et sans aucune gêne que les sanctions aux infractions au code de la route ne concernent pas les gens de sa condition.

Il est des formes de violences que la prévention peut éviter et, malheureusement, d'autres pour lesquelles c'est peu probable. Dans l'attitude à adopter à leur égard, le souci civique, le discernement et la volonté de s'adapter aux différentes situations doivent être prioritaires. “ Prudents comme les serpents et simples comme les colombes ”, disait Jésus.

Sans nous poser en modèles de vertus, soyons également honnêtes envers nos engagements privés et publics, pour les honorer ou nous en démettre. Individuellement et collectivement, ayons le souci du droit des autres, notamment des pauvres et des petits. A terme, c'est le moteur le plus efficace contre la violence. Dans toute la mesure du possible, créons des conditions de vie qui remédient aux différentes formes de violences, sauf, malheureusement, les violences essentiellement maladives et crapuleuses.

.

L'amour n'est jamais doucereux et cauteleux. Dans ce monde, il est parfois obligé de s'opposer, de contester et de provoquer. “ Je suis venu apporter l'épée et non la paix ”, dit Jésus (Matthieu X 34) et encore : “ S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ” (Jean XV 20). La Croix nous rappelle, s'il en est besoin, que l'épanouissement harmonieux n'est pas seul de mise aujourd'hui.

Pourtant, l'amour est toujours d'intention généreuse et pacifique. C'est là son identité profonde, même lorsqu'il parle de révolution : “ Le loup habitera avec l'agneau... et le lion comme le boeuf mangera de la paille ” (Esaïe XI 6 et 7).

Il est des violences accoucheuses d'aurores nouvelles. On les reconnaît à leur finalité et aux moyens mis en œuvre pour qu'elles adviennent.

L'aurore du jour de Pâques appelle, justifie et annonce toutes les aurores.

Pierre-Jean Ruff

haut de la page sommaire du N°

La violence de Pâques

la violence de vivre

Dans la Bible, la plupart du temps, la violence est attachée à ceux qui combattent Dieu. Elle est le signe de l'Ennemi, du Péché, du mauvais chemin emprunté (ex : “ ... jusqu'à maintenant on attaque le Royaume des cieux avec violence, et les gens violents cherchent à s'en emparer ” Mat 11,12). Le comble de cet indicible de la violence est bien sûr toute la passion de Jésus et sa mort sur la Croix, qui place chacun d'entre nous en face du reflet de ce qu'il a de plus lâche, d'intolérant, de terrifiant.

Et pourtant il me semble que le récit que les quatre évangiles nous font du récit du matin de Pâques est aussi empreint d'une grande violence. Brutalité de la découverte du tombeau vide qui saute à la figure de celles et ceux qui le découvrent. Irruption brutale d'une réalité Autre qui vient faire exploser tous les schémas. Expérience extrême dont on sent bien qu'elle n'a jamais réussi à être contenue dans des mots, fussent-ils étalés en 27 livres dans un livre réputé saint. Violence faite à la logique, à l'histoire, à la religion.

A la violence qui est source de Mort, est opposée il me semble une autre violence, tout aussi grande, qui est source de Vie.

Alors, je ne crois pas que l'inverse de la violence soit la non-violence, le dialogue, le consensus. Et je ne crois pas non plus que la violence soit forcément porteuse de mort et la parole porteuse de vie. Non. Il y a des paroles qui détruisent aussi efficacement qu'une mine. Il y a des consensus qui brisent toute espérance. Il y a des violences qui sont jaillissement de la Vie.

Mais ce qu'il y a, par contre, c'est cette ambivalence, justement, au coeur même de chacun d'entre nous. Ce corps à corps de la mort et de la vie qui s'entremêlent en un combat qui bien souvent semble être sans issue. Ce qu'il y a, par contre, c'est à entendre ce qui se dit dans cette expression de la violence sous toutes ses formes dont nous sommes les témoins. Nous avons peut-être en tant que chrétiens à savoir écouter aussi ce qui semble inaudible. Parce que c'est là que le choix de Dieu pour l'Humanité se dit. Parce que c'est là que se joue le combat. Parce que c'est là qu'il se gagne, aussi, à l'ombre d'une croix, sur le chemin d'un choix posé dans la suivance du Christ : “ Je mets devant vous la vie et la bénédiction, la mort et la malédiction. Choisissez donc la vie afin que vous viviez, vous et vos enfants. ” (Deut 30,19). Parce qu'un autre, pour nous, devant nous, a définitivement choisi la violence de la Vie.

Anne Faisandier

haut de la page sommaire du N°

Textes divers

Les voies du pouvoir usurpé et la dérive étatique

Reconnaissez votre vrai souverain et apprenez la peur. Auparavant, vous prétendiez craindre Dieu et ses hasards. Mais votre Dieu était un anarchiste qui mélangeait les genres. Il croyait être puissant et bon à la fois. Il manquait de suite et de franchise. Moi, j'ai choisi la puissance seule. J'ai choisi la domination. Vous savez maintenant que c'est plus sérieux que l'enfer. ...

Maintenant, vous êtes gouvernés. Le grand principe de notre gouvernement et qu'on a toujours besoin d'un certificat. On peut se passer de pain et de femme, mais une attestation en règle et qui certifie n'importe quoi, voilà ce dont on ne saurait se priver

Albert Camus

Etat de siège : Le châtaignier cévenol

Notre monde est sous-tendu entre des forces contraires. En morale, on appelle cela le bien et le mal. Mais la nature elle-même connaît ces pulsions ou ces impulsions contradictoires. Les bras noueux et tordus des châtaigniers en sont une expression privilégiée particulièrement évocatrice en ce temps ecclésiastique de la Passion.

Le châtaignier de la photographie qui illustre la couverture est aussi l'illustration des forces de vie et de mort que nous connaissons tous. Cet arbre, de longue date, est tel, moitié vivant et moitié mort. N'est-il pas l'image de ce que nous sommes tous, partagés sur des plans multiples entre vie et mort, même si , pour lui comme je l'espère pour nous, la vie ne capitule pas ?

haut de la page sommaire du N°

Dieu a-t-il voulu la Croix ?

Le lecteur du Nouveau Testament y trouve plusieurs interprétations possibles du drame de la Croix. Elles s'entrecroisent et, quoique apparemment contradictoires, elles semblent coexister ensemble et défier nos logiques. Quels sont, d'après les textes, les responsables de la Croix ?

Une première réponse consiste à désigner Jésus lui-même. Il marche vers la mort qu'il aurait pu éviter. Les disciples lui disent d'ailleurs qu'il a tort de retourner en Judée où il a déjà failli être lapidé Jn XI 8. Mais Jésus reste inflexible. Et c'est bien sa mort qui donne du poids à son message : il le signe avec son sang. Qu'en resterait-il s'il s'était dérobé devant la Croix ? Il déclare : “ Personne ne m'enlève la vie, mais je la donne de moi-même. ” Jn X 18. Cette attitude volontaire du Christ, que d'aucuns estimeront suicidaire, peut s'inscrire dans la perspective d'un sacrifice voulu par Dieu pour le salut du monde. Albert Schweitzer, lui, voit bien dans la mort de Jésus un acte libre. Il parle même à son sujet d'une mort volontaire destinée à hâter la venue du Royaume de Dieu. Mais Dieu l'accueille et non pas la demande. “ La pensée avec laquelle Jésus va à la mort est donc que Dieu acceptera le sacrifice librement consenti par lui comme une expiation en faveur des croyants. ” (Ma vie et ma pensée).

Dans une deuxième interprétation, c'est Dieu qui a voulu la Croix. Tout ce drame s'inscrit dans une histoire du salut et correspond au plan divin. Une prédestination marque l'histoire de la Passion. Les paroles du Christ en Croix disant “ Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ” ne sont pas à entendre dans une lecture psychologisante, mais proprement théologique : les hommes ignorent qu'ils servent un projet dont la portée les dépasse. Ne peuvent-ils pas alors être regardés comme des jouets entre les mains de Dieu ? En tout cas, une expiation et une rédemption sont à l'oeuvre. Comme le dit Paul de Jésus : “ Dieu l'a livré pour nous tous. ” Rm VIII 32. C'est en obéissant à la volonté de son Père que Jésus meurt. Cette image d'un Dieu voulant que coule le sang de son propre Fils innocent pour pardonner aux hommes est-elle compatible avec la vérité d'un Dieu d'amour ? Dieu n'a-t-il pas mis fin à l'ère des sacrifices en refusant celui d'Isaac ?

Bien sûr, l'interprétation historiquement la plus évidente consiste à dire que ce sont bien les hommes qui sont la cause de la mort de Jésus. Le reniement, la trahison, la lâcheté, l'incompréhension, le complot des autorités religieuses et politiques, tout cela aboutit à un procès injuste et à une condamnation scandaleuse. Que pouvaient, face aux conservatismes et à la haine, une telle liberté et une telle libération religieuses, un amour porté au plus haut degré de son incandescence ? Mais pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ? Que devient, dans une telle perspective, sa toute-puissance ? Wilfred Monod a raison d'intituler une de ses prédications de Vendredi Saint “ Dieu vaincu ”. Dieu est en effet la première victime du drame de la Croix plutôt que sa première cause.

Comment concilier ces trois interprétations qui ont chacune des fondements bibliques ? Certes, les hommes ont tué Jésus et ne peuvent être, à cause du plan divin, dédouanés de ce meurtre. Certes, la mort de Jésus est bien sa mort et l'on ne saurait la lui enlever. Oui, Dieu ne peut être considéré comme absent de ce drame, sans faire de lui un Dieu étranger et lointain, “ muet, aveugle et sourd au cri des créatures ”, comme l'écrit Vigny en parlant du “ silence éternel de la Divinité ” (Le Mont des Oliviers). Où est là, alors, l'Humanité de Dieu ?

Il est en fait impossible d'être fidèle aux évangiles en séparant la Croix de Pâques. Toute lecture de Vendredi Saint sans le message de la Résurrection est un contresens. Autre chose est de souscrire ou non à cette lecture croyante. Pour le Nouveau Testament, la mort de Jésus devient véritablement l'action de Dieu à travers la Résurrection. C'est ainsi que Dieu fait sienne la croix du Christ. D'après Luc, comme en témoigne le livre des Actes des Apôtres voir III 15, c'est Dieu qui a ramené Jésus de la mort à la vie et ce sont assurément les hommes qui l'ont crucifié. La violence de la Croix est humaine et non pas divine. La mort de Jésus devient pleinement l'oeuvre de Dieu à travers cette entreprise transfiguratrice. Dans une telle perspective, croire au Christ vivant aujourd'hui n'est pas tant souscrire à une donnée abstraite, à une croyance stérile ou à un dogme purement théorique concernant la résurrection de Jésus (quelles qu'en soient les modalités), c'est d'abord et surtout pour chacun de nous, de manière présente et dynamique, vivre, agir, combattre en transfigurant le mal en bien, le négatif en positif. “ Là où est le désespoir, que je mette l'espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie. ” Ainsi dit la prière de François d'Assise.

Laurent Gagnebin

haut de la page sommaire du N°

La violence originelle

Peut-on échapper à la violence ? Elle est de partout et de toujours. On en trouve des traces dès l'aube de l'humanité. Elle remplit l'espace et le temps de chaque vie. Elle est là dans les rues, les métros, aux lieux de travail ou de loisir, sur les écrans, même dans les familles.

Heureusement existent des remèdes, mais ne sont-ils pas pires parfois que la violence elle-même ? Ne vaut-il pas mieux laisser parler, laisser agir cette violence plutôt que la lier, la ficeler de peur qu'elle ne s'échappe ?

Il m'arrive d'avoir l'impression d'avancer en déséquilibre comme sur une crête surplombant la violence où je me retiens de tomber. Souvent j'ai tort, sans doute : une bonne gifle, une grosse insulte me soulagerait peut-être autant que celui qui m'agresse. Quoi de pire qu'une violence rentrée qui ronge de l'intérieur jusqu'à l'explosion ou l'implosion dont le retard ne fait qu'aggraver les effets ? On croise ainsi des gens aux visages fermés sur leur rancoeur ou leur mépris, gonflés d'une violence contenue qui visiblement les ronge et les paralyse.

Chacun peut aussi, bien sûr, détourner le problème, surtout quand la cause des violences subies semble inaccessible, floue ou intouchable. On peut ainsi prendre des victimes de substitution, certes innocentes, mais plus faciles et moins risquées, objets, animaux ou même enfants ou conjoints. On peut aussi transformer cette violence contenue en jeu ou en sport. On peut se gaver, s'abrutir de violence visuelle, qu'elle soit de fiction ou d'information voyeuriste. Mais est-ce réellement efficace dans la durée ? N'est-ce pas comme un sédatif dont l'effet passager ne fait que retarder ou refouler des déchaînements inéluctables, mais qui à la fois coupe toujours plus le sujet de la réalité, de la lucidité, de la responsabilité ?

Une méthode qui depuis toujours a fait ses preuves consiste à rejeter la violence hors de la sphère quotidienne, à la localiser de force à l'extérieur : trouver à tout prix un Saddam Hussein, un juif, un arabe, une sorcière, un hérétique, pour conserver avec nos proches ou nos semblables une apparence de paix. Dans un pays rongé par la violence, les conflits, les inégalités, on peut ainsi polariser cette violence en guerre ou en menace de guerre.

Et si la violence était d'abord et avant tout en moi, comme en chaque homme, ou encore à la base, au fondement de toute relation humaine, depuis toujours et à jamais, si elle avait sa source au-delà de mon souvenir et de mon expérience, si je portais en moi, dès l'origine, une violence sourde et diffuse qui m'agresse de l'intérieur et dont je ne peux me débarrasser qu'en tentant toujours à nouveau de l'extérioriser ? D'ailleurs je sens bien que la violence que je ressens dépend parfois de mon humeur du jour, de mon état d'esprit, qu'elle est juste éveillée par quelque détail extérieur qui dans d'autres circonstances me laisserait indifférent.

Regardons vers celui que nous croyons notre Sauveur, et en ce temps dit de Carême, vers les derniers jours de sa vie : Jésus, dans sa Passion, va traverser la pire violence, celle qui humilie, qui fait taire, qui écrase et qui tue. Il va passer au-delà de cette violence, pas pour se perdre dans le lourd silence de toutes les violences refoulées, mais pour une explosion de vie, sans colère ni vengeance, une explosion de pardon, de paix et de lumière. De siècle en siècle, de vie en vie, c'est un signe d'espérance grande ouverte, une piste tracée dans ces enchaînements sans fin qui enferment et sclérosent la vie des hommes et l'histoire des peuples.

Et si vraiment, comme semble le révéler le signe de Pâques, il existait un amour, une joie, une paix capables de dépasser la violence, d'ouvrir dans ses murs de mort des trouées de lumière ?

Jacques Juillard

haut de la page sommaire du N°

Penser la rébellion comme anti-violence

“Apparemment négative puisqu'elle ne crée rien, la révolte est profondément positive puisqu'elle révèle ce qui, en l'homme est toujours à défendre... La révolte est l'une des dimensions essentielles de l'homme. ” Albert Camus, L'Homme révolté.

Quels que soient son objet, ses modalités d'organisation (groupes d'intérêt, syndicats, associations, et organisations non gouvernementales) la rébellion apparaît toujours comme politique : elle conteste l'ordre social, force la législation, oriente les politiques publiques.

La tradition philosophique est longue de réflexions sur la légitimité de la résistance à l'oppression, depuis Locke et Rousseau jusqu'au marxisme. De nos jours les contestataires invoquent encore l'auteur des Deux traités du gouvernement civil, John Locke, qui défend un “ droit de résistance ” légitime, pour ceux dont les libertés fondamentales sont menacées par un pouvoir autoritaire qui rompt la confiance nécessaire entre le peuple et ses représentants. Sont invoquées également des figures célèbres, comme celle de l'américain Henry David Thoreau qui en 1849 justifiait son refus de payer l'impôt au gouvernement par son rejet de l'esclavage et de la guerre contre le Mexique, ou encore celle Martin Luther King. (Son nom est réapparu dans les défilés contre la guerre en Irak le 15 février 2003).

Le rebelle a une conviction philosophique : désobéir est un devoir. Il le fait au nom d'une morale supérieure, avec la certitude d'être dans son bon droit : il dit non à l'ordre établi jugé insupportable car générateur d'inégalités, d'injustices dans un monde moderne qui lui semble absurde à bien des égards. Il se révolte contre le pouvoir, toujours répressif et la modernité capitaliste au nom de valeurs sociales, culturelles et politiques, l'intérêt des puissants coïncidant actuellement toujours avec le point de vue américain.

Si la figure du rebelle fascine, c'est parce qu'elle pose l'énigme de l'obéissance au pouvoir politique, énigme qui resurgit constamment (par exemple avec les tentatives d'explication de l'obéissance au régime nazi...)

Mais pour être rébellion la révolte intérieure doit se muer en révolte sociale organisée (comme celle des Camisards contre les troupes royales de Louis XIV et plus près de nous celle des Résistants).

La contestation peut déboucher sur des actions illégales (manifestation ou grève interdite, désobéissance civile) voire violentes (affrontements avec les forces de l'ordre, barricades, pillages, enlèvements, attentats), mais la grande majorité des entreprises de contestation alterne entre participation politique conventionnelle et participation politique non conventionnelle.

On notera que la contestation de l'ordre politique et social est toujours garantie en démocratie à condition que sa violence ne franchisse pas un certain niveau, sous peine de ne pas être reconnue par la société. En effet si le rebelle se transforme en terroriste, il passe d'adversaire politique à ennemi à anéantir.

Deux dates-clefs permettent de rendre intelligibles les rébellions de la France d'aujourd'hui : Mai 1968, où il s'agit de déloger en soi comme en l'autre le travers petit-bourgeois qui invite au respect de l'ordre alors que l'extrême-droite vit cette rupture comme l'épisode fondateur de la culture de la permissivité et de la décadence morales abhorrées, et mai 1981 avec l'accession de François Mitterrand à la présidence de la République française et la fin de l'anomalie française que constituait l'absence d'alternance politique depuis l'avènement de la Vè république.

Le réveil de la rébellion au cours des années 1990 est dû au fossé grandissant entre la gauche institutionnelle et la gauche des mouvements sociaux, désenchantée par l'action du gouvernement.

L'originalité des mouvements contestataires contemporains, qui se vivent comme supérieurs à leurs prédécesseurs, réside bien dans le fait qu'il ne s'agit plus de rébellion contre mais pour : pour le droit d'étudier dans des universités dotées de moyens suffisants, pour le droit à l'intégration (sans-papiers), pour le droit de manger sainement (Confédération paysanne), etc... (1)

Les modes d'expression de la rébellion d'aujourd'hui apparaissent donc comme plus souples (naissance de coordinations d'étudiants, d'infirmières, de cheminots, etc...), glorifiant la démocratie directe (médiatisation de la figure du porte-parole), et se posant en champions du pragmatisme (importance accordée aux résultats concrets, organisations ad hoc ). Ils renouent avec la dimension affective de la contestation (création de happenings, street parties, réveillons mondialistes, carnavals anticapitalistes, antimilitaristes et antifascistes...) mais aussi ils s'appuient sur la science (recours à l'expertise) ou sur le registre de la scandalisation (actions de Greenpeace). Enfin et surtout, ils remettent à l'honneur la notion de désobéissance civile, à laquelle s'ajoute la dimension transnationale croissante de l'action contestataire qui dénonce la mondialisation capitaliste et ses effets désastreux sur le plan social et écologique, son caractère inégalitaire, sexiste et raciste qui appelle à une mondialisation des luttes et des solidarités.

Le développement de ces mouvements est l'un des enjeux majeurs des relations entre le pouvoir politique et la société civile au XXIe siècle. Leur activisme souvent d'inspiration non-violente, quoique favorable à l'action directe, prône des méthodes non-violentes et souvent festives d'obstruction pour interdire l'accès des participants aux réunions internationales. Les seules images qu'en retiennent les médias sont celles des violences de la frange d'inspiration anarchiste. On peut se poser la question des nouvelles formes que va devoir prendre la rébellion du fait des obstacles posés à la mobilisation et de l'hétérogénéité des participants et de leur revendications.

Catherine Asquier

(1) On lira avec intérêt La France rebelle, (2002, éditions Michalon), de Xavier Crettiez et Isabelle Sommier sur les différents mouvements organisés de contestation opérant en France.

haut de la page sommaire du N°

La violence au coeur du social
Ce que voit la Mission populaire évangélique au jour le jour

“On assiste à une envolée du non-respect des codes, des règles et des lois, qui éclate en bouquets de violences, de corruption, de transgressions de tous ordres. Point besoin de statistiques. Il faut être bien à l'abri du monde pour contester ou minimiser le phénomène ! ” (1).

Dans l'évolution libertaire des moeurs de ces dernières décennies, le fameux “ il est interdit d'interdire ” est devenu emblématique qu'il soit dénoncé ou revendiqué avec arrogance du genre : “ c'est mon choix, c'est mon gosse, c'est mon bien-être, mon identité. Je fais la "teuf" quand je veux, où je veux, que ma volonté soit fête ! ” Comment comprendre cette violence sourde que la Mission populaire évangélique constate, cette atmosphère de tous les instants qui, dans tel quartier de nos agglomérations, rend la vie pénible voire insupportable ? Ce climat d'insécurité latente franchit les murs de certaines des Fraternités de la Mission populaire jusqu'alors protégées. Mais comment ne pas en rester à l'écume des choses ? Ne pas hurler avec les loups contre les sauvageons ? Comment pointer au delà de ce qui est violence, ce qui fait violence et que l'on ne sait pas toujours voir ou dire ?

Je retiens dans le cadre de cet article trois éléments souvent présentés par les sociologues aujourd'hui, pour parler de la violence sociale.

Le premier élément est le plus militant : la concurrence érigée en système social créée la délinquance. Le sociologue Pierre Bourdieu, récemment décédé, le périodique Le Monde Diplomatique défendent ce point de vue. Les violences et les délinquances se multiplient lorsque la compétitivité économique et sociale est placée au rang d'impératif. La précarisation des couches populaires due à la néo-libéralisation du monde a fait voler en éclat les relations sociales dans l'entreprise et dans la cité elle-même. L'insécurité provient ainsi de la situation socio-économique, elle-même fruit d'une politique au service des puissants : “ il y a corrélation entre les politiques néo-libérales et les taux de délinquance et de criminalité ” (2).

La deuxième thèse, pour expliquer la violence rampante est élaborée, entre autres, par le sociologue François Dubet. Elle est plus fine : les institutions qui protégeaient les plus faibles se sont fragilisées. Le propre d'une institution sociale est d'inculquer à l'individu simultanément les exigences sociales (l'obéissance) et les principes de son autonomie personnelle (la liberté), tout cela au nom de principes universels (Liberté Egalité Fraternité, Dieu, le socialisme à venir...). Aujourd'hui les institutions sociales que sont l'école, la République, les Eglises, les organisations syndicales, n'arrivent plus à “ réduire le tragique ” (3), à établir le lien entre socialisation et autonomie : “ lorsque vous ne croyez plus à Dieu, à la charité, au marxisme, vous ne cessez de dire aux gens : "ce qui t'arrive est de ta faute"... et cela est source de violence ” (4).

Un troisième élément doit être ici affirmé, non pour expliquer mais pour pointer une violence latente : on a oublié que le monde populaire faisait la majorité de la France. Et que la vie du peuple n'est pas rose. A force d'écrire et de dire que le travail changeait, que le secteur secondaire (l'industrie) diminuait au profit du secteur tertiaire (les bureaux), qu'il y avait de moins en moins d'ouvriers, toutes choses plus ou moins justes, on en est venu à croire que le peuple n'existait plus. Que la France était une grande classe moyenne avec une petite minorité de riches et un groupe de perdants ou d'exclus. Les classes sociales étaient sensées disparaître mais les disparités sociales augmentaient. Les nouvelles générations entrant aujourd'hui dans le monde du travail vivent, selon le sociologue Louis Chavel, une situation toute faite d'inégalités “ certainement plus violentes que celles qu'ont connues leurs parents, entrés dans le monde du travail en 1970 ” (6). Il a fallu le 21 avril 2002, la désaffection des urnes et la chute de la gauche pour le mesurer : il y a “ un grand peuple qui vit difficilement et qui de ce fait a souvent du mal à distinguer sa droite de sa gauche ” (7).

Tout n'est pas dit sur la violence avec ces trois réflexions qui se combinent plus ou moins. Une question reste cruciale : s'il est vrai que l'instance politique ne suffit plus, comme nous l'avons cru, comment transformer les coeurs, la société et la vie dans la perspective d'un monde plus juste, moins violent ? En tissant des paroles disent les théologiens car “ la violence naît de l'absence de parole ” (8). Condition certes nécessaire, la réalité comme l'Evangile le montrent. Mais non suffisante : il nous faut aussi retrouver une espérance collective, ce que l'Evangile appelle une promesse.

Bertrand Vergniol
Président de la Mission populaire évangélique

1. Présence janvier 2003 p 8 . Présence est le journal national de la Mission populaire évangélique

2. Pierre Bourdieu, Le Monde Diplomatique Manière de voir novembre-décembre 2002, p 78

3. François Dubet , Le déclin de l'institution, Seuil, 2002, p 75

4. François Dubet, Sud Ouest 16 septembre 2002

5. on : les “ faiseurs d'opinion ” comme ils s'auto-proclament

6. Louis Chavel, sociologue, Sciences Humaines hors série n° 39, décembre 2002-janvier 2003, p 78

7. Jacques Walter, pasteur retraité à la Mission populaire, décembre 2002 (publication interne).

8. Gérad Delteil, Réforme, 30 janvier - 5 février 2003

haut de la page sommaire du N°

Une histoire de bénédiction

La bénédiction est au fondement de la spiritualité du judaïsme. Dès son réveil, le juif religieux bénit Dieu pour le jour qui vient, puis il bénit Dieu en s'habillant, car “ il a paré à tous les besoins ”. On bénit Dieu pour le repas et pour tous les événements de la journée. Quand le soleil apparaît, on loue Dieu d'en octroyer ses rayons ; si la foudre tonne, on bénit Dieu d'en préserver l'homme ; lorsque la pluie tombe, on bénit Dieu qui fertilise la terre ; quand on se lave les mains, qu'on va aux toilettes, qu'on respire un parfum ou qu'on fait une bonne action, c'est encore l'occasion de prononcer de nouvelles bénédictions.

Un homme se rend à la synagogue en lisant un livre de prière. Il est tellement absorbé par ses lectures qu'il ne voit pas un caillou sur le chemin. Il trébuche, perd l'équilibre et se rattrape de justesse. Il lève les yeux et voit un poteau dans lequel il allait se cogner : “ Béni sois-tu Seigneur pour ce caillou qui m'a empêché de heurter ce poteau ”. Il continue sa route et cette fois-ci percute un autre poteau. Il lève les yeux et voit une jeune femme avec une poussette : “ Béni sois-tu Seigneur, pour ce poteau qui m'a empêché de blesser cette femme et son enfant ”. Il poursuit sa route, toujours aussi absorbé dans sa lecture, et reçoit une fiente d'oiseau sur le front. Il lève les yeux au ciel, l'air soucieux. Il réfléchit un bon moment jusqu'à ce que son regard s'illumine : il a trouvé ! “ Béni sois-tu Seigneur... de ne pas avoir donné d'ailes aux vaches ”.

Paru dans Réforme du 23 janvier. Bien entendu, cette perception de la Providence et de la prière de reconnaissance n'est de loin pas propre au seul judaïsme.

haut de la page sommaire du N°

L'Église que j'aime

Peurs, anxiétés, frilosités, tout cela entraîne une politique volontariste où l'on veut montrer qu'on est là, marquer le coup, imposer son magistère, affirmer fiévreusement son identité, prêcher croisades : on cherche à prendre en main les espaces médiatiques en pensant convertir les foules par ce moyen.

Emmanuel Mounier a parlé du goût de terrasser plus puissant que la joie de communiquer.

L'avenir, pour l'Eglise de France, n'est pas du côté de ceux qui, apeurés, sont obsédés de terrasser, elle est du côté de ceux, ils se taisent mais sont plus nombreux, qui vivent la joie de communiquer.

Je pense à tous ces prêtres qui, comme le Horsain, se sont insérés dans l'épaisseur de la terre où ils ont été plantés, aux prêtres qui sont venus de ce monde du travail que l'Eglise avait ignoré ; à tous les catéchistes de tous âges, les parents, les éducateurs, qui ne veulent pas enfoncer du moralisme ou des principes doctrinaires dans la tête des jeunes, mais partager simplement ce qui forme un bonheur de leur existence ; à tous les chrétiens-laïcs, évêques, prêtres, qui acceptent de se laisser interroger par l'Esprit Saint à travers leurs rencontres avec ceux qui ont de tout autres convictions que la foi chrétienne. Voilà le peuple de Dieu, non plus un peuple de la peur, mais de l'espérance.

Le Dieu de l'Evangile est un Dieu caché, un Dieu qu'on cherche toujours et qu'on ne possède jamais, un Dieu qu'on cherche sans cesse avec ardeur et qu'on propose avec une infinie douceur, un Dieu qui reçoit des coups, mais pour qui on ne donne pas de coups, même pas des coups de pub ; et il est temps, là-dessus, de cesser de vouloir s'aligner sur ce que saint Jean appelle le monde.

Notre Eglise est l'Eglise des humbles... celle de tous les obscurs qui ont le désir ardent, non pas de guerroyer contre les ennemis de la religion et de les mettre au pied du mur, mais de comprendre le cœur de l'autre.

Jean-François Six, prêtre

haut de la page sommaire du N°

Si vous divorcez j'me coupe en deux !

D'un seul coup c'était parti : “ si mes parents ils divorcent, j'me coupe en deux ! ” Etonnante intention de cette petite fille de sept ans, qui n'avait d'ailleurs pas pris le temps de réfléchir si elle se coupait en deux horizontalement, verticalement pour faire deux parties vraiment égales ou si elle coupait en deux son temps de vie ou son coeur !

Mais si ses parents se “ démarient ” pour reprendre un autre mot d'enfant, en aucun cas elle ne voudrait perdre ce qui est une partie d'elle-même, son père ou sa mère, elle voudrait être présente dans la permanence et avec l'un et avec l'autre. Pour cette petite fille, se “ couper en deux ”, cela veut dire je me dédouble, et comme ça je reste avec chacun de mes parents. C'est à dire : “ je ne veux pas me séparer de l'un ou de l'autre, je refuse votre histoire de grands et de séparation ”.

C'est une manière de nier la réalité de la séparation et de renoncer à perdre non seulement la permanence de la présence des deux parents, mais aussi la réalité de son identité de petite fille. De façon paradoxale, sa manière de rester entière, c'est de se diviser !

Les parents aussi l'ont bien compris qui demandent de plus en plus souvent une garde alternée. Une semaine chez l'un ou l'autre des parents, ou parfois la semaine coupée en deux. Mais au bénéfice de qui ? De l'enfant ou des parents ? La garde alternée peut être parfois une manière déguisée de masquer la séparation parentale.

A l'inverse, Anna qui a fini par en venir aux mains avec son mari, a décidé de se séparer et à tout mis en oeuvre pour que ses enfants ne voient plus leur père. Attitude qui me paraît scandaleuse, quelle qu'en soit les circonstances, que de vouloir priver un enfant de l'un de ses deux parents. C'est faire porter à l'enfant, souvent sous prétexte de le protéger, un conflit qui est d'abord celui des parents. C'est le priver d'une partie de lui-même, dont il a besoin pour grandir et se construire même si c'est dans l'opposition à ce parent rejeté par un des deux parents.

On a beaucoup dénoncé les troubles scolaires que pouvaient subir les enfants du divorce marqués par cette souffrance familiale.

On s'aperçoit aujourd'hui que les enfants de parents divorcés ont acquis dans leur histoire une forme de maturité et de capacité d'autonomie que des enfants de parents sans discontinuité n'arrivent pas toujours à acquérir.

Dans le processus de maturation et d'individuation de l'enfant, les mots posés sur une séparation conjugale sont souvent plus constructeurs que le silence tacite et parfois complice d'une vie conjugale apparemment sans détours. Mieux vaut, parfois, l'épée avec des mots, que la paix, sournoise.

Etre parent est une tâche délicate. Et je n'oserai pas dire qu'un modèle est préférable à un autre. Je sais juste que les mots posés sur ce qui se vit ou ne se vit pas permettent à l'enfant de se construire sans qu'il ait à se couper en deux, avec ou sans ses deux parents. Je connais des parents qui ne veulent jamais parler du conjoint séparé. Pourtant il appartient à chaque parent separé de maintenir une forme de présence du parent absent, pour éviter que l'enfant se coupe en deux.

Jean-Paul Sauzède

haut de la page sommaire du N°

Où trouver Dieu ?

L'antilope cherche partout le musc, ignorant qu'il se trouve dans son propre corps.

Ainsi, nous cherchons le Seigneur au-dehors.

Le musc se trouve dans le nombril de la gazelle, mais celle-ci le cherche dans la forêt.

Ainsi le Seigneur demeure dans tous les corps, mais le monde l'ignore.

Quelques rares parfaits savent le reconnaître, qui ont soumis leurs cinq sens.

Ce Seigneur qui demeure dans le corps, par erreur, on ne le reconnaît pas,

Comme l'antilope musquée qui s'obstine à flairer le gazon...

J'ai cru que le Seigneur était loin, mais il est présent en plénitude en tous les êtres ;

Je l'ai cru extérieur à moi et, de proche, il est devenu lointain !

Le Seigneur était caché sous les brins d'herbe

Et je le croyais en haut de la montagne.

Comme la prunelle dans les yeux, ainsi est le Seigneur au milieu du corps.

Les insensés ne le reconnaissent pas et vont le chercher au-dehors.

Kabir
Bénarès. 15° siècle
Texte proposé par Christine Durand

haut de la page sommaire du N°

Lectures suggérées

Le Christianisme social

Il faut se réjouir d'avoir enfin un livre présentant de manière panoramique le christianisme social et cela dans une approche à la fois théologique et historique (1). L'ouvrage de Klauspeter Blaser est un instrument remarquablement pédagogique. On ne possédait pas en effet, jusqu'à ce jour, d'introduction claire, aussi complète que possible, à la fois structurée et nuancée, d'une grande lisibilité, pour faire découvrir le christianisme social à quiconque désirerait le connaître sans passer par les savantes études de spécialistes. Cela dit, chacun des 8 chapitres de ce livre est conclu par une petite bibliographie suggestive de 10 à 20 titres, aidant à approfondir les choses et à poursuivre une recherche. Un index des noms permet, en fin de volume, de procéder à de précieux repérages. L'auteur, mort en juin 2002, n'aura pas eu la joie d'assister à la naissance de ce petit livre si important. Professeur, à partir de 1972 de théologie systématique et pratique à la Faculté de théologie de l'Université de Lausanne, K. Blaser avait été précédemment missionnaire et enseignant en théologie en Afrique du Sud et au Lesotho. Cette expérience africaine a marqué tout son parcours et c'est là que sa réflexion sur et pour un christianisme social s'est renforcée et que son combat contre l'apartheid l'a lancé, infatigable, sur la route du christianisme social. Cela avec un regard largement oecuménique.

L'ouvrage de K. Blaser ne se contente pas de définir un mouvement très complexe, d'en donner un tableau général et d'en rappeler les programmes axés principalement sur le Royaume de Dieu ; il fait revivre, à travers leurs oeuvres et leur pensée, certaines grandes figures des pionniers du christianisme social (Christophe Blumhardt, Léonard Ragaz et son débat avec Karl Barth, Elie Gounelle, Wilfred Monod, par exemple), mais il a le rare mérite d'ouvrir les fenêtres sur de vastes horizons. Là sont prises en compte les perspectives du christianisme social non seulement en France et en Suisse alémanique ou romande, mais aussi en Allemagne, Angleterre et même aux Etats-Unis. L'avant-dernier chapitre est d'ailleurs consacré à Paul Tillich. K. Blaser a parfaitement raison, dans un avant-propos daté de mai 2002, de dire que son livre veut donner “ un aperçu général d'un mouvement et d'une tradition qui n'étaient pas restreints à une aire géographique ou une zone linguistique particulière ”. Ces pages ne sont pas seulement un bilan, elles ne se contentent pas de saluer avec reconnaissance et sans complaisance un héritage, elles ouvrent aussi à un questionnement sur la pertinence actuelle et l'avenir possible du christianisme social. Il attend pour demain des successeurs inventifs et non des succédanés trompeurs, comme il l'écrit dans le dernier chapitre. Le livre est magnifiquement et magistralement préfacé par Jean-François Zorn, membre du christianisme social, dont il a été le secrétaire général, et doyen actuel de la Faculté de théologie de Montpellier (Institut protestant de théologie).

Cette recension ne saurait se terminer sans le rappel de la revue trimestrielle du mouvement du christianisme social : Autres Temps (83, bd Arago, 75014 Paris), dont le dernier numéro (double : 76-77 : 20 euros, port compris)) est essentiellement constitué d'articles de Paul Ricoeur parus entre 1946 et 1992 dans la revue du christianisme social, mouvement dont il fut longtemps le président.

Laurent Gagnebin

La violence du monde

Ce petit ouvrage se compose de deux textes tirés d'une conférence toute récente donnée à l'Institut du Monde Arabe sur le thème du terrorisme et de la mondialisation. Le premier intervenant, Jean Baudrillard, expose d'une manière originale la complicité entre le terrorisme suicidaire et l'effondrement, délibéré dit-il, des tours américaines le 11 septembre, symboles d'un système qui génère sa propre destruction. Les terroristes créent l'événement radical dans un monde enfoui sous la profusion d'informations et la virtualité.

Edgar Morin décrit la domination américaine sur une mondialisation particulièrement économique et irrespectueuse. Le capitalisme suscite lui-même ses forces contraires par un phénomène d'humiliation plus que d'inégalités. Le pessimisme de l'auteur est compensé par l'espoir d'événements historiques aussi imprévisibles que le fut la disparition de l' U.R.S.S.

D. Ruff

Témoignage du pasteur Marc Boegner (1940-1945)

Il y a dix ans, avant de disparaître, Philippe Boegner présentait au public les Carnets dans lesquels son père avait consigné, à chaud et sans retouches, quantité d'informations sur les évènements du moment et sur ses nombreuses activités (3).

Le pasteur Boegner, président de l'Eglise réformée, de la Fédération protestante et du Comité administratif du Conseil oecuménique des Eglises, disposait d'un accès direct avec les hautes autorités de l'Etat auprès desquelles il protestait énergiquement et inlassablement contre les mesures antisémites, contre les camps, contre les répressions.

Il accumule, au cours de ses nombreux déplacements pour rencontrer les protestants dispersés, une foule de “ petits faits vrais ” qui témoignent de la vie pendant cette difficile période. Il relate aussi tous les contacts qu'il a entretenus avec celles et ceux qui menaient le même combat que lui pour informer, aider, sauver.

Bernard Bernicot

La quête du bonheur

Qui a dit que l'histoire ne sert à rien ? Le livre de B. Cottret nous démontre le contraire. Dans une oeuvre très fouillée, aux notes très riches, nous suivons la montée d'une tension entre la Grande Bretagne et ses colonies d'Amérique qui conduira à la guerre d'indépendance. Déjà se dessine la mentalité nord-américaine, faite d'un esprit de liberté mais aussi d'espace, non sans ambiguïté (l'esclavage n'est pas aboli et les amérindiens sont exclus des préoccupations des nord-américains) ni sans une certaine naïveté (la quête du bonheur). Cette révolution nous apparaît comme héritière des Lumières plus que du puritanisme. Par là, elle est marquée d'une certaine modernité et explique sa prétention à l'universalité. On ne manque pas de faire un parallèle avec la Révolution Française et ses idées. France-Etats-Unis, un couple à la fois uni et opposé... que l'on retrouve encore aujourd'hui !

Notons aussi que ce livre nous explique clairement pourquoi le Canada, et en particulier le Québec, conquis quelques années avant par l'Angleterre, est resté fidèle à son vainqueur. “ Nous, peuple des Etats-Unis... décrétrons et établissons cette Constitution pour les Etats-Unis d'Amérique ”.Préambule à la Constitution des Etats-Unis (1787).

Vincens Hubac

Klauspeter Blaser. Le Christianisme social. van Dieren. Paris. 143 pages. 20 euros

Jean Baudrillard et Edgar Morin. La violence du monde. Le Félin. 2003. 10,50 euros

Carnets du pasteur Boegner (édité par Fayard) est encore disponible en librairie au prix de 22 euros

Bernard Cottret. La Révolution américaine : la quête du bonheur. Perrin. 2003.

haut de la page sommaire du N°

Israël et la Palestine

En mai dernier, nous consacrions un numéro de notre journal au conflit israélo-palestinien. A peu près, tout ce que nous disions alors, sous forme journalistique, se trouve développé et explicité dans le dernier ouvrage d'Emile Shoufani (1).

J'écris ce compte-rendu à la veille des élections législatives israéliennes qui vont reconduire Ariel Sharon au pouvoir, alors que celui-ci vient de prendre l'initiative de la première incursion réelle des chars et des hélicoptères israéliens au centre de Gaza.

L'analyse d'Emile Shoufani de la situation politique, économique et militaire au Proche Orient ne manque pas de pertinence. Nous ne pouvons que vous la recommander. Il s'agit ici de la trahison d'Ehoud Barak à la cause travailliste, de sa volonté de brader le climat indispensable à toute possibilité d'établir un accord de paix (p. 20, 21 et 143) et du désenchantement qu'il a suscité chez les arabes israéliens (p. 137 à 139) ; de l'habileté ou de la roublardise de Yasser Arafat qui tenait un langage double, selon qu'il s'exprimait en anglais pour les israéliens ou en arabe pour les palestiniens, qui éludait la question cruciale de l'éventuel retour des réfugiés palestiniens chez eux, qui était incapable ou peu enclin à doter le nouvel état palestinien de structures juridiques et d'institutions claires (p. 22 à 25) ; des raisons qui ont suscité la deuxième Intifada : l'assassinat de Yitzhak Rabin qui enterrait les accords d'Oslo, et la venue volontairement provocatrice d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées qui transformait le conflit politique en conflit religieux (p. 27, 28 et 92) ; de la volonté d'Ariel Sharon de s'imposer en créant pour tous un climat de peur (p. 39) ; du développement de la vocation de martyre chez les enfants palestiniens (p. 73 à 77) ; de la duplicité de tous les gouvernements israéliens qui n'ont jamais eu le courage d'avoir sur le terrain la politique qu'ils déclaraient.

A propos de la situation nouvellement créée, Emile Shoufani dénonce le discours pervers qui voudrait séparer le problème de la sécurité des personnes de celui de la paix : “ Le problème primordial n'était plus le statut du futur Etat palestinien, de Jérusalem-Est, etc... mais, dans la conscience israélienne, se réveillait l'obsession de la sécurité au quotidien... Une véritable panique s'est emparé des israéliens... Le malheur c'est que Sharon s'est saisi de cette situation pour délégitimer tout de suite son vieil ennemi Arafat, pour construire un discours dans lequel la sécurité et la paix étaient dissociés - comme si l'une ne dépendait pas de l'autre - et surtout pour commencer à assimiler la sécurité à l'extension du territoire d'Israël ” (p. 163 et 164). Il explique l'effondrement du parti de ceux qui militaient pour la paix entre israéliens et palestiniens : “ Quelque chose de nouveau arrive qui explique cet effondrement du camp de la paix : la guerre, la guerre sale, sanglante, écoeurante, telle que les civils la voient rarement, cette guerre abjecte a surgi pour la première fois au cœur du quotidien des familles ” (p. 165). Enfin, notre auteur rappelle que la personnalité d'Arafat est politiquement incontournable : “ Le problème n'est pas de faire confiance ou non à l'homme Arafat, le problème est que le personnage public Arafat est devenu au fil des années un symbole historique incontournable ; sans lui nous ne pouvons arriver à une solution ” (p. 167).

Cet ouvrage est une bonne synthèse de tous les éléments qui constituent la problématique actuelle au Proche Orient. Il faut encore apporter au crédit d'Emile Shoufani le travail admirable qu'il accomplit pour conscientiser au mieux les élèves du lycée dont il a la charge à Nazareth, comme pour créer des lieux de dialogue entre palestiniens et israéliens, tel celui créé entre son lycée et l'école juive qui regroupe les enfants des professeurs de l'Université Hébraïque de Jérusalem.

Pour moi, l'analyse politique d'Emile Shoufani est sans faille, comme son dévouement à la cause de la paix. En revanche, je conteste et trouve dangereux son désir de considérer qu'en tout conflit les torts sont réciproques et qu'il convient de renvoyer les protagonistes dos à dos. C'est parfois vrai, mais pas toujours. Qu'il y ait des personnes de coeur et d'honneur dans tous les camps, c'est l'évidence. Pour autant, la responsabilité politique d'entamer un conflit et parfois de l'entretenir pèse souvent sur les épaules d'un seul groupe de responsables. La guerre du Proche Orient a été voulue dans son intention et dans ses méthodes par des responsables juifs seulement. De même, M. Milosevic et ceux qui l'entouraient ont été les seuls instigateurs de la guerre de Bosnie, il y a dix ans. Aussi, lorsqu'Emile Shoufani répète que les torts sont toujours partagés, cela me paraît vrai, faux et dangereux à la fois. Je veux dire qu'il énonce alors une vérité partielle.

De même, lorsqu'il déclare que, lors d'un conflit, le fait de calmer les esprits ou de désamorcer les passions est la seule voie pour résoudre le différend, je ne puis le suivre. A mes yeux, cette voie est parfois la bonne, mais de loin pas toujours. Elle supposerait que tous les hommes soient de bonne volonté, soucieux de leur prochain ou, pour le moins, raisonnables.

Pierre-Jean Ruff

(1) Emile Shoufani. Comme un veilleur attend la paix. Albin Michel.2002. 230 pages.

Les violences dérisoires de la guerre

L. avait déjà fait partie des troupes d'occupation en pays ennemi et il s'efforçait d'oublier ce que l'expérience lui avait appris : il savait qu'une guerre c'est la trahison et la haine, les ordres contradictoires de généraux incompétents, la fatigue et la maladie, la cruauté et la mort, jusqu'à ce qu'enfin tout soit terminé, sans que rien n'ait été changé et sans autre résultats que de nouveaux tourments, de nouvelles haines. L. voulait n'être qu'un soldat chargé d'exécuter les ordres donnés.

John Steinbeck
Nuit sans lune

haut de la page sommaire du N°

Les religions, moteurs de guerre ?

Identités religieuses et guerre

L'actualité internationale donne tout son relief à cette question. Après la guerre froide qui opposait la liberté capitaliste et théiste (In God we trust, en Dieu nous mettons notre confiance, est la devise des Etats-Unis) à la révolution socialiste et athée, le monde connaît, depuis le onze septembre 2002, des conflits entre des puissances théistes les unes comme les autres. Sans qu'on puisse parler de guerre de religion à la mode médiévale, le Moyen-Orient est aujourd'hui le théâtre d'un affrontement entre pays indissociables de leur connotations religieuses respectives. Et la mondialisation de la crise proche orientale renforce encore cet aspect des choses. La culture laïque de notre pays avait presque réussi à faire oublier l'importance de cette dimension de la vie des hommes.

Les facteurs économiques et les intérêts financiers sont évidemment toujours les causes majeures des conflits. Mais, qu'on le veuille ou non, le référent religieux ou théologique est devenu un paramètre incontournable de toute réflexion géopolitique, notamment le problème des relations entre les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l'islam. Le problème palestinien, et le conflit entre le monde musulman, menacé d'intégrisme, et l'Occident dit chrétien, symbolisant la modernité et la puissance technologique, pose la question du dialogue inter-religieux bilatéral entre les deux grandes religions issues du judaïsme.

Ces deux religions ont démontré tout au long de leur histoire commune que l'une comme l'autre a du mal à reconnaître le droit à l'existence de ceux qui n'ont pas la même foi. Chacune contient un ferment d'intégrisme ou de fanatisme que nourrit le rêve d'un monde trouvant son harmonie grâce à une système religieux universel. Ce fut longtemps la tentation, pour le christianisme, de vouloir faire un monde chrétien. C'est la tentation de l'islam pour qui le véritable coran est au ciel, mettant en devoir les Musulmans de soumettre l'humanité à sa vérité.

Il semblerait que le remède à ces antagonismes universalistes soit que le dialogue inter-religieux permette de retrouver le noyau foncièrement pacifique de l'absolu (Dieu) sur lequel se fonde chacune des religions, et de le faire s'épanouir sans cesse davantage. Tel serait l'horizon des rapports entre islam et christianisme. Mais souvent le débat s'arrête sur ce vœu pieux, surtout quand il réunit des théologiens.

Lieux sacrés et terres saintes

En plus de leur conscience d'être revêtues d'une mission universelle, les religions monothéistes ont en commun un autre trait qui constitue un obstacle majeur à la tolérance réciproque. C'est leur conviction que leurs vocations divines fondatrices respectives s'inscrivent dans l'espace et dans le temps, créant par là une histoire sainte et des lieux saints. Des processus de sacralisation divers les opposent. Il y a une terre promise, ou sainte, pour les juifs, et une histoire sainte. Il y a l'hégire, et la terre sacrée de la Mecque, et d'autres lieux saints comme Jérusalem, pour les musulmans. De même, pour les chrétiens, il y a une terre sainte et des lieux d'église consacrés par l'histoire, tels le saint Siège pour les catholiques ou les divers sièges patriarcaux chez les orthodoxes. Dans la même perspective il faut aussi ranger les lieux de pèlerinage et les lieux de mémoire. C'est ainsi qu'ont surgi dans la vie religieuse les thèmes de tradition, d'héritage, de patrimoine, souvent liés à un pays ou à un terroir .

Si le judaïsme est exempt de la tentation de prétendre convertir l'humanité, bien conscient du caractère particulier et géographiquement limité de sa vocation, il est par contre menacé par la tentation d'inscrire son identité dans un espace précis. Le sionisme en est l'exemple patent, avec la tragique crise du Moyen-Orient. Mais le peuple juif n'est pas le seul à présenter cette tendance à sacraliser une terre. Le cinquième pilier de l'islam est bien le hadj, le pèlerinage à la Mecque. De plus son projet missionnaire est bien de mettre en place une société musulmane partout où cela est possible, et de multiplier les terres musulmanes, où la pratique d'une autre religion est souvent considéré comme une profanation.

Le christianisme n'est pas non plus à l'abri de ce danger. Heureusement le temps des croisades est terminé, qui voulaient restaurer une terre sainte. Mais il y a eu aussi et il y a encore des pays chrétiens où une Église officielle est religion d'Etat, où les autres cultes sont plus ou moins admis, à commencer par le Vatican catholique, la Grèce ou la Russie orthodoxes, et l'Irlande du Nord pour certains protestants. Dans le même sens, il y a des terroirs protestants dotés d'un fort taux identitaire (par exemple, les Cévennes, les vallées Vaudoises d'Italie, le Pays de Montbéliard) où les intérêts fonciers ou patrimoniaux mobilisent beaucoup de forces et d'intelligences, et dont la perte partielle ou totale serait vécue tragiquement.

Retrouver une vocation religieuse nomade

Toutefois, le christianisme semble le mieux placé pour résister à cette tentation, et aider les autres religions monothéistes à s'affranchir de ce lien. Par exemple, l'attitude du Vatican au sujet des lieux saints de Jérusalem est significative. Par une internationalisation de la ville, il s'agirait de permettre à chaque religion de pratiquer ce qui lui est propre, dans l'état actuel du site, sans perspective de le posséder en propre au détriment des deux autres.

La même veine est apparue récemment dans une émission de télévision au cours de laquelle un auteur juif exprimait son espoir que chaque religion, y compris la sienne, retrouve la dimension nomade de sa spiritualité, et apprenne le déracinement de la foi par rapport à une terre sacralisée. Le peuple d'Israël conduit par Moïse après la Pâque deviendrait ainsi l'archétype de la conscience religieuse chez chacun des trois monothéismes. Certes la vie nomade doit être distinguée de l'errance. L'errant a oublié son origine, et il ignore où il va. Le nomade sait d'où il vient, et il a un but, une destination. Il est toujours prêt à se mettre en route, sans perspective de conquête ou de possession , sans stratégie de gestion d'un avoir, sans position à défendre.

Cette perspective n'est pas sans analogie avec l'espérance eschatologique chrétienne du Royaume de Dieu, qui donne à l'existence à la fois son caractère éphémère et son dynamisme. Le christianisme est fondamentalement apostolique, au sens littéral d'envoyé, toujours dans le provisoire. Sa mission est d'autant plus universelle qu'il sait vivre une mobilité radicale, loin des establishments, et de l'institutionnalisation foncière, sociale, ou doctrinale, voire politique ! Ascèse redoutable et, il faut l'avouer, invivable à vues humaines. La communion des saints la redécouvre périodiquement en période de persécution, ou bien quand un souffle prophétique circule dans ses rangs, au sein d'un monde où la possession du pouvoir comme l'affirmation de soi sont les règles les plus courantes de la vie sociale et internationale.

L'islam aussi a une forte conscience des limites de la vie terrestre. Le croyant se prépare au jugement d'Allah, et rien dans son existence n'a de prix au regard de l'obéissance à son commandement. Le bonheur ne peut avoir d'autre contenu que la présence divine.

Si les religions travaillaient respectivement l'esprit nomade qui leur est propre, alors les antagonismes d'universalité, de même que les conflits de territoire, deviendraient d'une importance seconde, et ne feraient plus obstacle au principe de tolérance qui semble appartenir au génie de chacune.

Le judaïsme pourrait rappeler aux autres qu'il n'est pas besoin de couvrir le monde pour être universel. Le christianisme serait à même de rappeler que la terre entière est sacrée et que rien n'est profane. L'islam aussi serait l'utile témoin d'une parole divine que personne ne peut ignorer, et qui donne leur sens à tous les moments de l'existence humaine et de la vie de l'univers.

Le vent de l'Esprit

Cette conclusion peut paraître un vœu pieux supplémentaire. Qu'y a-t-il de plus utopique que d'espérer une telle remise en cause de la part de chacune des familles spirituelles monothéistes ? Certes. Aussi il se peut que l'histoire elle-même contraigne les toutes prochaines générations de ces trois mondes monothéistes à de telles révisions de façon douloureuse sinon dramatique. Pour les croyants, les moteurs de l'histoire sont sans doute les prophètes, et les religions monothéistes n'en ont jamais manqué. Certains se font entendre chez les uns ou les autres, aujourd'hui encore. Mais les prophètes prêchent souvent dans le désert; les cœurs sont endurcis; les nuques sont roides ! L'humanité, tel un âne cosmique, n'avance le plus souvent qu'à coups de bâtons qui ont pour noms, crises, guerres et affrontements de tous genres. A moins que le vent de l'Esprit n'enlève aux conflits et à leur violence le soin de briser les coeurs, de les ouvrir et de les rendre capables de passer du voeu pieux au sens de l'histoire.

Gilbert Charbonnier

haut de la page sommaire du N°

Le numéro spécial d'Évangile et Liberté sur Église et homosexualité

Le 18 octobre dernier, le Comité Évangile et Liberté me demandait de prévoir ce numéro spécial de notre journal sur Église et homosexualité. En effet, suite à d'autres Églises protestantes dans le monde, sans préjuger des reflexions engagées, les Églises protestantes de France ont décidé de porter à l'étude de leurs synodes la question des demandes de certains homosexuels souhaitant recevoir une bénédiction religieuse ou être admis comme pasteurs de nos Églises. Pour ce faire, le Comité protestant luthérien-réformé de France a rédigé un texte d'étude sur la question à soumettre aux différentes églises concernées. Notre Comité Évangile et Liberté a jugé souhaitable d'apporter sa contribution à ce débat et il m'en a confié la rédaction.

Comme on pouvait le supposer, ce numéro a suscité beaucoup de réactions : surprise, hostilité - parfois violente - (voir les deux courriers publiés en mars), mais aussi encouragements et félicitations. On relèvera, fait inhabituel pour notre publication, qu'en quinze jours, une centaine d'exemplaires de ce numéro ont été commandés, parfois par des particuliers, le plus souvent par des groupes d'étude paroissiaux.

Je souhaite ici m'adresser à ceux que notre entreprise a surpris ou choqués. Je regrette profondément de vous avoir troublés ou heurtés. En même temps, je ne renie rien de ce que j'ai écrit ou publié. Je suis également tout prêt à continuer un dialogue difficile mais fraternel avec ceux d'entre vous qui le souhaiteraient.

La foi chrétienne invite à dire non en certaines circonstances. Il revient à chacun de juger, en conscience et au regard de l'Évangile, en quoi il dit non au monde. Aussi, nous respectons pleinement votre refus partiel ou total de reconnaître une place aux homosexuels dans les Églises. Mais permettez que, sans justifier ou encourager cet état, d'autres soient moins sévères que vous à l'égard des homosexuels.

Les Églises ne devraient-elles pas être des lieux où des questions diverses puissent être abordées et débattues, sans a priori, tant qu'elles ne contrecarrent pas ouvertement le commandement d'amour ? De plus, nous qui nous disons de sensibilité libérale - ou qui essayons de l'être - ne devrions-nous pas être ceux qui particulièrement acceptent la diversité et ceux qui respectent ceux qui pensent autrement ?

Je souhaite que dans nos colonnes ce débat soit clos. A la lecture des événements du jour comme des soucis et des souffrances évoqués dans le présent numéro de notre journal, vous conviendrez avec moi qu'il existe présentement dans notre pays et dans le monde bien d'autres sujets de préoccupation, voire d'inquiétude ou de révolte qui appellent notre attention, nos prières et notre militance.

P.-J. Ruff

haut de la page sommaire du N°

Courrier des lecteurs

Notre numéro sur Église et homosexualité

Voilà déjà quelques mois que je suis abonnée à Évangile et Liberté et ce, pour très longtemps, je pense. La diversité des points de vue m'enchante, me réconforte et m'encourage dans mon propre cheminement. J'ai particulièrement apprécié le dernier numéro reçu, sur l'homosexualité, notamment l'éditorial de P.J. Ruff, ainsi que l'article de Thomas Römer... P.J. Ruff dit bien que l'opinion sociale est en mutation. Il faut attendre, avoir la sagesse d'attendre avant de légiférer. Oui, mille fois oui !...

J'aime beaucoup le point d'interrogation après homosexualité. Il traduit tellement bien notre perplexité et toutes les questions que nous nous posons.

Geneviève Reuss, Gif sur Yvette (91)

N.D.L.R. Le mois dernier ont paru deux réactions défavorables à notre numéro de février sur Église et homosexualité. Or, ce numéro de notre journal a suscité beaucoup de réactions, favorables tant que défavorables. Il convenait donc de vous proposer l'une des réactions favorables que nous avons reçues.

Divisés afin que le monde croie

Ce titre de l'article d'André Gounelle (le monde croira-t-il vraiment à la division ?) pourrait être remplacé par exemple par “ Complémentaires afin que le monde croie ” ou mieux, par “ la sagesse multicolore de Dieu ”.

Ce que l'on observe, c'est que chaque couleur a une caractéristique : les réformés la parole, les pentecôtistes l'Esprit et les dons de l'Esprit, les baptistes la conversion personnelle, les catholiques le don (eucharistie), les orthodoxes la gloire de Dieu, mais aussi la fidélité aux sources, à l'histoire, les salutistes mettent plus que d'autres Matt 25 en pratique, les évangéliques l'évangélisation. On fait le constat que chaque couleur a une identité et que cette identité est liée à une mission. Et comment le bleu peut-il dire au jaune : “ Tu es trop ceci ou cela, il faut être comme moi ! ” Et quel chrétien peut vivre tout en même temps ?

Johan Onck, Beauvoisin (30)

haut de la page sommaire du N°

Nouvelles et informations

A propos du projet de guerre en Irak
Lettre du Conseil national de l'Eglise réformée de France au président de la République

Le Conseil national tient à se joindre à toutes les voix qui vous demandent de vous opposer fermement par tous les moyens qui sont à votre disposition, au déclenchement d'une guerre en Irak. Il approuve la position du gouvernement français quand elle exprime :

1 que le déclenchement d'une intervention armée contre l'Irak serait illégitime dans les circonstances actuelles, selon le résultat connu à ce jour des inspections en cours sur le territoire irakien, qui devraient pouvoir se continuer.

2 que, en tout état de cause, il est de la responsabilité de l'Organisation des Nations Unies et ses instances qualifiées - et non des seuls Etats-Unis - de gérer la crise irakienne, dans le cadre du droit international.

A cette occasion, le Conseil national tient à dire son souhait que le gouvernement français soutienne résolument toutes les initiatives contribuant à la construction de la paix dans le monde, notamment l'élaboration continue du droit international et la détermination des moyens susceptibles de le faire respecter. L'usage de moyens politiques et économiques appropriés, de missions de médiation, voire d'interventions militaires limitées, devrait être renforcé, comme celui de la menace et de l'utilisation de la guerre comme d'un moyen parmi d'autres pour régler les conflits... Au nom de cette conviction, le Conseil national dit son opposition totale à toute forme de guerre préventive.

De leur coté, des responsables d'Églises protestantes américaines ont aussi pris position :

C'est le coeur lourd qu'une fois de plus nous entendons les tambours de guerre résonner contre l'Irak. Attachés au règne de Dieu, règne de justice et de paix sur la terre, ainsi qu'à la juste conduite de notre pays, nous sommes fermement opposés à cette marche vers la guerre.

Au lieu d'aligner les nations contre un axe du mal, notre peuple devrait se lancer dans une consultation honnête et ouverte avec des partenaires dans le monde entier, et notamment au Moyen-Orient, afin de rechercher une solution non militaire à la menace que peut constituer l'Irak. Cette solution doit commencer par la levée des sanctions économiques qui n'ont fait que renforcer le leader irakien tandis qu'elles affaiblissaient son peuple (Collège des responsables de l'Eglise unie du Christ aux Etats-Unis).

Le président Bush et le Vice-président Cheney sont membres de notre Eglise. Aussi, notre silence pourrait être interprété comme une approbation tacite de cette guerre.

Avec un mépris sans précédent pour la démocratie, et avec un manque étonnant de preuves susceptibles de justifier ce genre d'attaque préventive, le président à tout fait, sauf ordonner le feu (septembre 2002).

Je demande aux membres de l'Eglise méthodiste unie de s'élever contre ces mesures irréfléchies... Notre Eglise s'oppose catégoriquement à l'intervention de nations puissantes contre des nations plus faibles. Pour nous, le premier devoir moral, de tous les pays est de résoudre par des moyens pacifiques tout différend surgissant entre les nations ( Jim Winckler, responsable de la Commission Eglise et Société de l'Eglise méthodiste unie ).

Ces prises de positions ecclésiastiques risquent de paraître complètement obsolètes lorsque vous recevrez ce journal. Mais la protestation de ceux qui se refusent à faire le jeu des pouvoirs en place garde toute son importance, même lorsqu'ils ne sont pas entendus, voire qu'ils sont étouffés ou broyés par le système (N.D.L.R.).

Femmes prêtres excommuniées

Sept femmes catholiques d'Autriche, d'Allemagne et des Etats-Unis avaient été ordonnées prêtres illégalement, le 29 juin 2002, par Romulo Braschi, ancien évêque d'origine argentine, lui-même excommunié pour avoir fondé une communauté schismatique. En 1976, la Congrégation pour la doctrine de la foi, réaffirmait le refus de l'Eglise catholique d'offrir l'ordination sacerdotale aux femmes. Un décret du cardinal Ratzinger a confirmé la sentence d'excommunication de ces femmes.

Consécration de femmes évêques dans les pays scandinaves

Le 9 février, la deuxième femme évêque de l'église luthérienne de Norvège a été intronisée dans ses fonctions.

Aujourd'hui, la plupart des pays nordiques ont des femmes évêques : deux en Suède, une au Danemark, ainsi que l'évêque de l'église luthérienne du Groenland. En revanche, ce n'est encore le cas, ni en Islande, ni en Finlande.

L'archevêque de l'Eglise de Suède pour le boycott de produits israéliens.

L'archevêque luthérien de Suède, K.G. Hammar, a signé une pétition invitant à boycotter les produits israéliens des territoires occupés par Israël. Bien entendu, cette prise de position a suscité des réactions variées dans la population suédoise.

Le Christianisme au XXI° siècle n'est plus

Fondé à l'époque des diligences, sous Louis XVIII, le successeur des Archives du christianisme au XIX° siècle, n'est plus. La chute inexorable du nombre d'abonnés y a obligé. En revanche, les animateurs de ce journal nous promettent en échange un mensuel protestant évangélique qui s'intitulera : Christianisme aujourd'hui. Nous souhaitons longue et heureuse carrière à ce nouveau confrère.

haut de la page sommaire du N°

Requête

Donne ton pain, Seigneur, à tous ceux qui ont faim,

Donne faim de toi à ceux qui ont du pain,

Car toi seul, Seigneur, peux rassasier notre désir.

Donne ta force à ceux qui sont faibles.

Donne l'humilité à ceux qui se croient forts,

Car toi seul, Seigneur, tu es notre force.

Donne la foi à ceux qui doutent

Et donne le doute à ceux qui croient te posséder,

Car toi seul, Seigneur, tu est la vérité.

Donne confiance à ceux qui ont peur,

Donne ta crainte à ceux qui ont trop confiance en eux,

Car toi seul, Seigneur, tu soutiens notre espérance.

Donne la lumière à ceux qui te cherchent,

Et garde dans ton amour ceux qui t'ont trouvé

Pour qu'ils te cherchent encore,

Car toi seul, Seigneur, tu peux combler ton amour.

texte proposé par Michel Jas

La force de l'amour

Fort comme la mort est amour ;

Inflexible comme enfer et jalousie ;

Ses flammes sont des flammes ardentes :

Un coup de foudre sacré.

Les grandes Eaux ne pourraient éteindre l'Amour

Et les fleuves ne le submergeraient pas

Cantique des cantiques

Vivre à la fois

la bénédiction et l'inssurection,

l'amour et l'humour,

l'inimportance de tout

et l'importance infinie

Jean Sulivan

Le plus grand des miracles consiste en ceci :

Dieu maintien son regne et gouverne le monde contre tous les efforts du diable, par de pauvres et misérables mortels.

Sans doute, cela se fait dans une grande infirmité, mais il me dit comme à Saint Paul : ma grâce te suffit

Martin Luther

haut de la page sommaire du N°

Merci de soutenir Évangile & liberté en vous abonnant :)

 


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www


Liste des numéros

Index des auteurs

Archives d'É&l

N° Suivant

N° Précédent


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions